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Nucléaire civil, nucléaire militaire

Historiquement, de nombreux militants antinucléaires ont d’abord milité contre la bombe atomique. Puis contre le nucléaire civil. C’est particulièrement le cas de l’association Greenpeace. En France, les filières nucléaires civiles et militaires se sont séparées depuis plus de 40 ans.

Pour les antinucléaires, deux applications indissociables

Le nucléaire civil est-il la porte ouverte à la bombe atomique ?  C’est ce qui a été évoqué dans le débat précédent. On trouve d’ailleurs sur un site antinucléaire une affirmation en ce sens : l’armée a besoin des centrales nucléaires pour fabriquer ses engins de mort. Dans une intervention récente à l’Assemblée nationale, le député Aymeric Caron a encore fait ce rapprochement.

On rappellera aux Scéens qu’en 1939, Frédéric Joliot Curie, prix Nobel et futur dirigeant du CEA, dépose trois brevets. Deux détaillent une méthode pour produire de l’électricité et le troisième un moyen pour un explosif atomique. Dès l’origine, nucléaire civil et militaire s’appuient sur les mêmes outils scientifiques.

En France, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) a été créé en 1945 pour mettre en œuvre un projet politique majeur – développer toutes les applications issues des sciences de l’atome –.

La Gazette a rapporté une séance du Café Histoire où intervenait Michel Labrousse, ancien ingénieur au CEA et militant antinucléaire connu. Il y affirmait : « Mon point de vue est qu’on ne peut pas dissocier le nucléaire militaire et le nucléaire civil ».

Un peu d’histoire et de physique

C’est la mise en évidence de la réaction en chaîne par Otto Hahn et Fritz Strassmann début 1939 qui permet à Joliot-Curie de déposer ses brevets. Cependant cette réaction doit s’emballer dans la bombe et être contrôlée pour produire de l’électricité. Cela conduit à utiliser un uranium contenant plus de 90% d’U235, dans le premier cas, et 2,7% dans le second cas.

La bombe d’Hiroshima contenait de l’uranium, celle de Nagasaki du plutonium 239. Il y a donc deux solutions pour une bombe A. Le plutonium 239 est un sous-produit de la fission de l’uranium.

Pour construire ces deux bombes, il a fallu mettre en place des appareils de séparation isotopique de l’U235 et de l’U238. Pour celle au plutonium, il a fallu construire un réacteur nucléaire, puisque le plutonium est un sous-produit de la réaction en chaîne de l’uranium. Le 2 décembre 1942, une équipe menée par Enrico Fermi déclencha la première réaction en chaîne nucléaire artificielle dans un réacteur expérimental appelé « Chicago Pile-1.

Pour réaliser son programme nucléaire, la France construira elle aussi un petit réacteur nucléaire, la pile Zoé, implantée à Fontenay-aux-Roses. Une seconde pile est ensuite construite à Saclay. Il s’agit de réacteurs de la filière uranium graphite. Laquelle aboutira à l’explosion de la première bombe française en 1960. Les réacteurs civils destinés à la production d’électricité vont suivre dans les années 60, sous la houlette d’EDF.

Une séparation progressive

Il s’agira ensuite de développer un programme civil capable de pallier l’absence de ressources carbonées en France. Selon Wikipédia, deux positions vont alors s’affronter : celle du CEA, qui préconise la filière nationale bicéphale (civile et militaire) UNGG, et celle d’EDF, qui souhaite développer la filière « américaine » (uranium enrichi et eau légère) plus compétitive. Le 15 novembre 1968, la commission de l’énergie recommande de baser le choix de filière sur des critères économiques et de Gaulle se résigne à l’inéluctable. C’est cependant à son successeur nouvellement élu, Georges Pompidou, et au gouvernement Jacques Chaban-Delmas que revient la responsabilité d’abandonner officiellement la filière nationale au profit des réacteurs à eau légère, par décision interministérielle du 13 novembre 1969.

Cela fait donc 53 ans que la séparation des filières civiles et militaires a été actée en France. Cette séparation n’est pas théorique, mais pratique.

Dans un article, Tristan Kamin, ingénieur en sureté nucléaire, explique pourquoi les réacteurs de la filière à eau pressurisée ne peuvent servir pour le militaire. Le plutonium 239 qui sert à fabriquer la bombe est bien produit lors de la fission de l’uranium. Cependant, s’il reste dans un environnement producteur de neutrons, de nouvelles réactions vont produire d’autres isotopes : plutonium 240,241 ou 242. Or ces isotopes ont une faible stabilité et ne peuvent être utilisés pour une bombe : seul un plutonium 239 pur est dit de « qualité militaire ». Le plutonium produit dans les réacteurs à eau pressurisée comprend trop d’autres isotopes et est donc impropre à la fabrication d’une bombe.

La configuration des réacteurs de la filière graphite gaz permettait de sortir une partie des éléments combustibles avant que le PU 239 se transforme. Ce n’est pas le cas avec la filière eau pressurisée. Il faudrait arrêter en permanence le réacteur ce qui est évidemment antiéconomique. Dit autrement, et pour prendre un exemple, la Chine, citée dans le débat précédent, n’a strictement aucun intérêt à utiliser ses réacteurs civils pour produire son plutonium militaire. Il est beaucoup plus simple d’avoir des réacteurs uniquement consacrés à cet objectif (ce qu’elle a évidemment).

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Pour en savoir plus : l’article de Tristan Kamin.

Un commentaire

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