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Chez Ponpon, tout est bon

Au RER Robinson, juste à côté du Nicolas de l’angle de la rue Houdan en descendant vers la gare, une vitrine montre un bel arrangement de fromages aux surfaces moelleuses. Chez Ponpon est une boutique tenue par un jeune couple portant élégant tablier noir. Un coup d’œil sur le site et l’on sait qu’Estelle et Benjamin sont à la manœuvre. Sur Youtube on apprend d’où vient le nom un rien facétieux qu’ils se sont donné, à savoir un sobriquet d’Estelle : une référence personnelle, a « private joke » pour les branchés.

Avec l’entretien, on comprend vite que le choix du lieu ne relève pas du hasard. La famille d’Estelle habite à Sceaux ; cela aide à saisir le potentiel de ce quartier, disons, décentré. Ils n’ont pas les moyens de reprendre une affaire existante, il leur faut un commerce à transformer. Ils repèrent une pizzeria-kebab à vendre; elle est dans leur budget. Encore faut-il tout refaire. Ils n’hésiteront pas. Chacun apporte ce qu’il a, ils s’endettent lourdement, il faut savoir convaincre, les banques ne sont pas de bureaux de bienfaisance. Ils y parviennent. Ils suivent les travaux de rénovation. Ils n’ont pas alors 30 ans, ils se lancent. Aux âmes bien nées, dit-on, la valeur n’attend pas le nombre des années.

Mais étaient-ils nés dans la tomme, le double-crème, le livarot ? Absolument pas. Au contraire. Lui vient d’un milieu modeste, où les seuls fromages connus venaient des grandes surfaces. Elle, infirmière, termine un master Santé. Lui, travaille sitôt le bac en poche. Il est agent immobilier dans le Var. Il aurait pu tomber plus mal. Il y prospère, ça marche bien, il accumule. Au bout de 10 ans, il a besoin de changer. Il lui faut du plus tangible du plus tactile. Il ne se voit pas passer sa vie dans le métier même s’il s’y plaît. Elle le rencontre à Cavalaire-sur-mer. Il y habite, elle y vient en vacances. Elle étudie à Marseille. La distance ne les sépare pas. Ils forment ensemble des projets.

Un projet partagé

Alors, d’où vient cette sorte de passion ? D’amis, tout simplement, côté Benjamin. Il se sont lancés dans une fromagerie à Marseille. Pour lui, c’est une découverte. Tant de formes ! Tant de saveurs ! Des grands, des petits, des ronds, des carrés, des cendrés, des bleus persillés, des jaunes, des oranges ! Comment le lait de vache ou de brebis peut-il engendrer tant de nuances ! Au début, c’est une sorte d’émerveillement. Tout aurait plu s’arrêter là. Mais Estelle au fond d’elle-même a dû désirer un autre destin que la direction d’un établissement de santé à quoi elle se destinait. Elle s’est laissé convaincre. Elle dit :  « On a qu’une vie. Il faut aller au bout de soi-même ». Elle termine son master et en reste là.

Rêveurs, ils le sont sans doute, mais rationnels. Ils décident de se former d’abord. Ils commencent au début, reconnaître les fromages, savoir les classer, les couper, les empaqueter. Ils se font vendeurs. Estelle, dans la région parisienne, est en boutique ; Benjamin dans le Var fait les marchés. Ils apprennent, mais n’en restent pas là. Pendant les jours de repos et les congés, ils parcourent la France, cherchent des producteurs, goûtent, observent, lisent[1] échangent avec des fromagers, découvrent des produits qu’ils n’avaient jamais imaginés. Un souvenir marquant : la Jonchée, cette fantaisie charentaise en forme de baguette, enveloppée dans un jonc à consommer le jour même de sa fabrication. Il ne l’aura jamais en vitrine. Elle aurait séché avant d’être vendue, mais ce n’est pas grave, ils ont appris quelque chose : la créativité humaine est sans limite.

Quand la décision est prise de s’installer à Sceaux, l’appréhension commence, perturbe le sommeil. Ils sont seuls. Les travaux de rénovation s‘éternisent, coûtent plus cher que prévu. Les familles les trouvent casse-cou. Ils quittent des situations établies pour se lancer dans l’inconnu. Pas d’hostilité, mais de cette inquiétude qu’ont des parents qui craignent pour leurs enfants. Elle diffuse, elle angoisse.

Et puis, il y a les erreurs de jeunesse, si l’expression a un sens, vu leur jeune âge : les pertes inévitables au début pour disposer d’une offre convaincante ; le coût des matériels sous-évalué, celui du papier, des sacs, « les premiers prix sont vraiment trash ; pour du correct, c’est plus cher », celui de la caisse, des balances, de la machine à étiquettes qui ne se connecte pas à leur ordinateur, il faut en acheter un autre. Plein de petites choses toutes bêtes. Il paraît qu’on apprend comme ça, en marchant. Ils apprennent.

Une clientèle fidèle

Mais tout n’est pas sombre. Au contraire. Ils ont de bons fournisseurs, des petits producteurs qu’ils connaissent et suivent, des produits de qualité, une vitrine alléchante, ils associent des gelées, des confitures, ils ont des yaourts qu’on trouve exceptionnels, ils sont accueillants. La clientèle arrive d’emblée. A croire que le quartier n’attendait qu’eux. Très vite, ils gagnent une chalandise régulière. Plus de la moitié est hebdomadaire. Les nouveaux habitants sont souvent de nouveaux clients.

Ils ont été soutenus, et disent volontiers leur reconnaissance, par l’UCAS et par la mairie. Ils ont reçu des conseils précieux pour les démarches administratives, pour la conception de l’enseigne, les travaux. Ils savent combien les expériences qui leur ont été apportées ont contribué à leur succès.

Car c’est un succès. Évidemment, les emprunts courent, le travail est dur, mais la satisfaction est là. On peut même la repérer dans la confection de leurs plateaux. Instagram vous en dira beaucoup plus. Une première année s’achève et, malgré la Covid, la fidélisation est croissante. En face des pâtes cuites ou non, pressées ou non qui font les tommes, les comtés, un rayon crèmerie que Benjamin aime à développer. Il y apporte des produits maison, avec par exemple, cette semaine, un tiramisu café, une charlotte poire et copeaux de chocolat, un yaourt stracciatella.

Il faut abréger l’entretien. Les clients arrivent maintenant sans interruption. Benjamin rejoint Estelle qui commente, recommande et sert des pâtes affinées, des petits frais, avec une application souriante et détendue.


[1] Benjamin recommande chaudement la lecture de l’Atlas pratique des fromages aux éditions Marabout

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