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Quand dansent Lola Li et Bérenger Marques

On les a découverts lors de la soirée de rentrée de la MJC de Sceaux, début octobre. Ils dansaient le swing comme on ne le voit jamais. Le coulé, le suivi « évident » des cadences élastiques du Blue Rose Big Band. La complicité entre eux. Étrange que deux jeunes gens trouvent du plaisir à reprendre des danses vieilles d’un siècle conçues dans les clubs de Harlem.

Tenue décalée exigée

Il est onze heures du matin. Béranger Marques qui a sans doute un entraînement dans l’après-midi arbore une chemise très habillée. N’attend-elle que son nœud pap ? Pas sûr, car on est dans le clin d’œil et non dans le costume. La paire de bretelles rouges bien visibles ne laisse aucun doute sur l’ironie. On imagine que le costume trois-pièces n’est pas de rigueur sauf s’il est bousculé par quelque clin d’œil ou quelque signal qui mette à distance.

Pour Lola Li, son top sans manche sous une salopette ne relève pas, dit-elle, d’un dress code particulier. On sent pourtant qu’un souci d’originalité s’est imposé. A commencer par le défi aux frimas que sa tenue légère semble relever ce jour-là. Mais, alors que Bérenger envoie de la référence vestimentaire, Lola n’en fait pas grand cas : « Pour danser, je peux être en jogging, ou en simple vêtement ample (robe ou pantalon), en jupette, peu importe. La scène swing ne porte pas de jugement sur les styles vestimentaires. » « C’est du Macdo like, complète Bérenger en souriant : venez comme vous êtes. »

Bon, mais si vous allez sur des sites de vente comme celui-là, on est plus directif : « Privilégiez une jupe au tissu stretch pour rester libre de vous défouler sur le dancefloor. Et pour vous éclater au maximum, enfilez une paire de Miss Nude, la derby en nubuck beige avec ses semelles microlites et ses détails vintage : un vrai plus pour danser en toute légèreté. ». Business is business, mais pas seulement. Les nombreux clips sur YouTube montrent qu’une mode vestimentaire, toute libertarienne qu’elle soit, structure les silhouettes.

Frontière étanche de la danse

Lola est graphiste. Elle a fait les Beaux-Arts à Caen et pendant ses études elle suit un cours de lindy hop. Au bout d’un an et demi : Covid. Arrêt complet. Comme le RER B assez souvent. Cette année Lola suit des cours dans trois écoles. Le week-end c’est le « social » (ne vous trompez pas, c’est le sens british qui renvoie à sociabilité et non aux grèves ou aux reportages sur la misère moderne).

Elle s’installe ensuite en région parisienne et reprend dès que possible. Danser, c’est pour elle sortir de sa timidité. Elle se libère par la danse. Dit autrement, « la danse m’émancipe. Je m’oublie. » On sait que nombre d’acteurs célèbres sont timides à la ville et complètement extravertis à la scène. Chez Lola, il y a dans la danse une réalisation personnelle. Un passage réussi. A jurer qu’elle deviendrait chagrine si elle ne dansait pas.

Bérenger est ingénieur, spécialité bâtiment. Difficile de faire plus éloigné. C’est ça qui est bien. Son expérience est proche de celle de Lola. Il connaît le lindy hop depuis quatre ans. Il suit aussi un cours pendant un an de demi, puis arrêt covid. Reprise il y a un an. C’est alors une grosse révélation. « Comment ai-je pu vivre sans ? » Une volonté farouche de « monter en compétence ». D’aller chercher son « plafond de verre » histoire de s’y frotter.

Ils se rencontrent lors d’une soirée… dans un bar parisien, évidemment. Ça a dû particulièrement fitter. Ils sentent qu’ils s’entendent. Le couple (au sens de la danse, pas de la vie privée) se construit progressivement. Lentement. Le potentiel semble bien là. On se pressent. On danse ensemble lors des soirées. Ensemble, on creuse des passes, on dialogue mieux.

« C’est important, mais attention. A trop connaître une personne, on n’est plus dans l’écoute. Il faut multiplier les expériences. C’est tout l’intérêt des social events. »

Cette année, ils se perfectionnent. Ils suivent un cours ensemble, s’entraînent de leur côté dans une salle qu’ils louent. La complicité, ça se travaille.

Contenu de la danse

On peut danser sur le swing de façon aussi variée que le swing lui-même. C’est pourquoi, on parle des danses swing et le pluriel n’est pas superflu. Il y a le Lindy hop, si tendance, mais aussi le charleston qui est une version rapide ou le blues (eh oui, c’est aussi une danse !) qui est une version lente. Ajoutons le balboa et le shag, mais on n’insistera pas, n’en ayant jamais entendu parler avant l’entretien. Jetez un coup d’œil ici.

Pour Lola, le rock et le swing sont proches. Certes le rock, comme musique est « très réglée » tandis que le swing est plus glissé. Cela se ressent dans les danses, la première est « très droite » tandis les secondes sont plus chaloupées. En lindy hop, une passe peut prendre 4, 6 ou 8 temps, c’est très variable. Beaucoup se joue dans la connexion entre les deux partenaires. « Une danse est une conversation, dit Bérenger. »

Au sein du couple de danseurs, le leader a l’initiative de la passe ; il est placé à gauche. Le follow suit, exécute ; il est placé à droite. Bérenger et Lola insistent d’une même voix, des fois qu’une horrible ombre machiste (donc patriarcale) ne chuchote quelque sous-entendu. Les rôles sont interchangeables entre deux danses. Ou même pendant le déroulé d’une seule, à condition de s’entendre et de se comprendre. Pas évident.

Les notions de leader et de follow semblent challengées par la novlangue sympa/cool. On préférera lefty et righty pour ne retenir que la position spatiale, plus politiquement correcte. L’usage intensif de l’anglais semble être la règle lors de l’entretien. Rien de snob. Et puis, ce n’est pas pire que week-end ou rock & roll.

Compétition

S’il est clair qu’on danse le plus souvent pour le seul plaisir, il existe nombre de compétitions. Parmi les grands organisateurs (ce qui n’est guère surprenant) sont les écoles de danse. Lola et Bérenger évoquent, pour Paris, Jazzy feet, Swing delight, les Chatons swingueurs. Plus près de nous, à Issy-les-Moulineaux, Méduse céleste.

Au niveau européen, la Savoy cup se tient à Montpellier ou la ILHC (International Lindy Hop Championships) se tient à Sofia pour l’Europe et à New York pour le monde.

Dans un certain profil de compétition, le couple de danseurs est formé au hasard. On ne connaît pas a priori son ou sa partenaire. Du coup, les prouesses sont moindres puisqu’on ne s’est jamais entraîné auparavant. C’est le sens de la communication qui est au centre de l’épreuve, la capacité à se faire comprendre d’une personne que l’on découvre. Les hésitations et les incompréhensions sont observées à la loupe par le jury.

Photo LGdS

Dans un autre profil, les couples se connaissent. Ils découvrent la musique au moment de l’épreuve, mais ils disposent par expérience d’une palette de réflexes acquis et mis au point ensemble. On juge alors la précision.

Ni pour Lola ni pour Bérenger, la compétition n’est une fin en soi. Elle est plutôt un moyen de progresser. Ils n’ont pas expressément l’ambition de devenir des professionnels. Ils ont des métiers qu’ils aiment. Ce qui revient constamment, c’est l’envie d’apprendre. D’en savoir plus. De savoir mieux. D’avoir un meilleur contrôle de son corps.

Communiquer est au cœur de la danse, telle qu’ils la voient. On est loin des replis autocentrés des raves ou de la techno hardcore. Mais que se dit-on par les seuls mouvements ? « J’aimerais que tu fasses tel pas, que tu exécutes cela, dit Bérenger. » « Je veux que tu me passes le lead, ajoute Lola. 😉 »

Ainsi, on tente une nouvelle passe, on joue avec les attentes de l’autre ; on y répond ou non ; on innove ; on apprend de l’autre. On est deux et on se parle.

La professionnalisation ? Why not. Mais d’abord se faire plaisir. Lorsque des opportunités se présentent, on les saisit. Ils en ont à travers Eksa Swing, une association qui se veut « une porte d’entrée non intimidante au swing ». Elle veut le rendre plus accessible auprès des néophytes et organise des soirées, en général dans des bars (plutôt parisiens). Elle organise également et anime des événements pour des associations ou des entreprises, avec des représentations de danse, des initiations.

Tous les soirs que Dieu a voulu mettre dans la semaine, chacun des deux, de son côté ou ensemble, les consacre à la danse. Si ce n’est pas une passion, on ne comprend plus le sens du mot. Leur vie non professionnelle semble consacrée à cette raison antérieure qui capte le rythme et précède le langage (verbal). La danse est une parole primitive et dans le swing elle devient un instinct de l’autre.

Ainsi, ce ne sont pas les seuls corps qui dansent, c’est le couple qui s’interroge. « Je veux » devient « Est-ce que je peux ? ». Il n’y a pas de maître, mais un échange d’intimités sous le regard des autres. A écouter Lola et Bérenger, le swing libère des doctrines. La liberté est là. Le dialogue réinvesti dans les pulsations élémentaires prend autant de formes que de chorégraphies. Et nous savons qu’en matière de chorégraphie, le génie humain est sans limites.

Où les trouver ?

Quand on en est à ce niveau d’investissement, on a envie de transmettre. Il faut transmettre. Impossible de tout garder pour soi. Indispensable surtout de mettre en ordre ses pratiques, de les penser pour les revitaliser.

Lola Li donne un cours de solo jazz à Paris de 18h à 19h. Avec Bérenger Marques, elle donne un cours de lindy hop de 19h à 20h30 à la Méduse céleste dans le 10e arrondissement de Paris, au CRL10, 116 quai de Jemmapes.

Méduse céleste est également présent à Issy-les-Moulineaux.

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