Appuyez sur “Entrée” pour passer au contenu

Michel Romuald et l’espoir d’une peinture sereine

Il dit qu’il est autodidacte, mais il faut le croire qu’à moitié. Il est doué dès son plus jeune âge et on le lui a souvent dit. De l’école, il garde le souvenir d’avoir été toujours premier en dessin. Il fait ses débuts à l’Office national des Forêts (ONF) comme dessinateur botanique ! Lors des missions de collecte, il dessine au rotring les échantillons de faune et de flore. Il n’a pas perdu la main : aujourd’hui, à côté de sa peinture et de sa sculpture, il est graphiste.

Si son métier l’attèle au figuratif, à la rigueur des messages, à l’ordinateur, son intériorité s’exprime dans l’abstrait, lequel « appelle à la réflexion ». C’est par la main que se fait le retour sur soi. Quand il peint, il ressent mille choses, l’état du monde, ses détraquements plutôt, le monde commun que nous partageons avec les animaux et les plantes. On pense à une chanson de Michel Berger : « Les fleurs et les animaux/Sont tous un peu ma famille/On est tous partis de rien/…….Vivre ».

En Guadeloupe, son enfance avec ses frères se passe dans une grande maison entourée de cultures : des bananes, du café, du cacao et le potager qui nourrit la famille. Il monte dans les manguiers, y passe des heures, construit ses jouets. Il y a des poules et des cochons, tout le monde s’en occupe. Il construit dans le jardin des abris pour les animaux. Il joue des percussions, de la guitare et du piano. Sa mère est infirmière et son père est maçon. Il se marie, il a un fils.

Le figuratif s’inscrit dans cette enfance. « On commence tous comme ça, dit Michel Romuald. On voit une fleur ou un oiseau, on veut les reproduire. » [L’auteur de ces lignes, parfaitement nul en dessin, n’a jamais connu cette félicité, même en rêve.] Lui, tout jeune, dessine tout ce qu’il voit : voitures, vélos, visages, arbres, paysages…. On comprend qu’il ait été recruté à l’ONF.

La rupture

« À un moment de ma vie, j’ai voulu changer. Je tournais en rond. C’était devenu urgent. » Son âge d’alors évoque la « crise de la quarantaine » avec les remises en question des choix de vie et la conscience du temps qui passe. Le tournant se traduira de plusieurs façons.

Il part en métropole où il obtient un poste, s’installe en région parisienne, fonde une nouvelle famille, un deuxième enfant arrive, une fille. Michel Romuald se met à voyager autant qu’il est possible. Il arrête de peindre à l’huile. Les odeurs, le temps de séchage. L’appartement n’est pas grand. Le changement pour l’acrylique et les pigments  sont pourtant une renaissance, une liberté nouvelle.

Paris. « Je suis friand de culture, j’aime montrer ce que je fais, j’aime regarder ce que font les autres. » Il découvre Miro, Kandinsky, il aime chez eux l’abstraction venue de lignes, « cette innocence dans leur créativité et en même temps cette intelligence avant-gardiste. »

Il découvre Bali, la Thaïlande, le Maroc, l’Espagne, l’Allemagne, la Suisse, beaucoup la Suisse où il y expose depuis 2010. Tout ce qui aurait été trop cher devient abordable. Michel Romuald croise le chemin de Claudine Dufour Meurisse qui organise des expos, croit en lui et lui ouvre des portes  à Paris.

Il a accès à des matériaux moins coûteux qu’en Guadeloupe où sa peinture était par nécessité parcimonieuse. Il utilisait beaucoup la colle, les copeaux, le fer à pyrogravure. Maintenant, il trouve des brosses à foison, des pigments, des poudres de marbre, des ciments, des toiles de lin.

Il quitte le figuratif. Il s’affranchit d’un réel qui le contraint et le dissimule. « Je ne voulais plus connaître par avance le résultat ». Il travaille alors la matière pour elle-même, ce qu’il appelle les « matériaux nobles », le bois, l’écorce et le sable. Il défait pour la reconquérir la nature qui est la sienne, celle de son enfance, qu’il reproduisait avec ardeur.

L’abstrait libérateur

Désormais, Michel Romuald veut représenter la mer et le ciel comme une relation personnelle. Il exprime avec ses couleurs, les écumes et les touches en suspension. Il est dans la recherche de dynamiques d’émotions et d’intentions qu’il voudrait partager avec le public. Il aime qu’on interprète son travail de façon inattendue.

Aucune envie d’intellectualiser ses toiles. Les explications les figeraient dans une interprétation. Elles figeraient les conditions de leur création, lesquelles obéissent à l’humeur et aux doutes du moment. Et ceux-ci sont oubliés ou, du moins, sont à distance quand il expose en galerie ou dans un salon. « Je ne suis plus dans le jeu », dit-il dans un raccourci surprenant. Il n’est plus dans l’intimité de l’acte de peindre qui semble relever chez lui de la confidence. Il s’en remet au public. Il attend que d’autres s’approprient ses tableaux. Son bonheur est qu’on s’arrête devant une de ses toiles pour la contempler, la murmurer, en parler peut-être, mais pas forcément. Et l’acheter aussi. Dans une expo, ses rencontres le stimulent : « Je capte des énergies nouvelles. »

Avec Artphémère

Depuis 2006, il habite à Sceaux, aux Bas-Coudrais. Son atelier est hébergé dans une ancienne résidence des Sœurs blanches promise à la disparition pour céder la place à un immeuble d’habitation. Avant que les travaux commencent, la ville de Sceaux met le bâtiment à disposition à titre gracieux. Ils sont 10 plasticiens accompagnés de trois compagnies théâtrales. Tout ce monde, à suivre Michel Romuald qui préside l’association Artphémère (créée pour gérer le lieu éphémère), partage une culture qu’il qualifie de respect et de bienveillance.   « J’ai la chance en tant que président d’être accompagné par des artistes de valeurs et talentueux. Artphémère est pour moi comme une grande famille. ».

La sculpture, il s’y lance en 2022 au décès de son père : le maçon qui manipulait tout, cultivait, jouait de l’harmonica, chantait, l’homme qui grimpait aux arbres. Son modèle, au moment de disparaître, semble lui avoir dit dans un dernier souffle : « Continue, fais ce que je fais, transforme les matières. » Il se risque sur le bois, s’y aventure et construit bientôt un personnage montant à un arbre (révérence gardée), un personnage modelé de fil de fer et de papier mâché recouvert d’un acrylique travaillé pour en faire un cuivre. C’est étonnant.

Apaisement

Le peintre travaille ses pigments avec un médium acrylique 35 qu’il préfère pour sa résistance, sa bonne adhésion et sa souplesse. Il utilise parfois du sable. Ses formats sont le plus souvent carrés de 60 ou 130 cm. Si c’est une règle, elle présente comme en grammaire des exceptions. Il montre amusé un tableau de 150 sur 110 cm.

L’horizontalité est une autre règle (aussi approximative que la précédente). « L’horizontalité, pour moi, c’est l’apaisement, être avec soi, être en capacité de se projeter. » Si on comprend ses horizontales comme des transformées de paysages, de rivages et de ciels, on retrouve sa proximité à la nature, son besoin d’elle.

Sa recherche d’apaisement serait-elle liée à une déchirure ? Pas qu’il sache. En tout cas son intention est ailleurs : dire qu’il est possible d’être bien. C’est sa « contribution » dans ce monde dangereux. « Les menaces sont là, mais l’apaisement est possible. » Les dangers ? La guerre, l’écologie, la perte des valeurs, l’autodestruction. « Quel monde laisserons-nous aux enfants ? »

Aussi abstraites qu’elles semblent, ses toiles pour peu qu’on s’y concentre laissent paraître une perspective, une situation, un littoral, un azur. On n’est jamais loin d’un panorama. Michel Romuald est une sorte de « figuratif abstrait » où la figure est celle d’une nature naturée par lui avec ses lois personnelles, ses coulées de couleurs et son désir d’harmonie.

  1. christelle Pontié christelle Pontié 29 mai 2024

    Bravo pour ce magnifique portrait inspiré et inspirant à la fois fidèle à l’homme et à l’artiste. Cela donne envie de le rencontrer.

  2. Claudine DUFOUR-MEURISSE Claudine DUFOUR-MEURISSE 26 mai 2024

    Pour ɓien connaître Michel Romuald, je trouve ce portrait particulièrement juste et fidèle. Autant à l’homme qu’à l’artiste.
    L’écriture est aisée, le ressenti sensible … la rencontre certainement riche donne un bon et bel article. Bravo !

  3. Cécile Croisette Cécile Croisette 24 mai 2024

    UNE VIE …. UN DESTIN….

    • Etienne Dubois Etienne Dubois 25 mai 2024

      Cécile, je ne sais pas ce qui vous a conduit à ce résumé. Mais il est très joli.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *