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Retirer la couleur pour la faire advenir

Dans un article récent de la Gazette, les fresques réalisées par les élèves de l’école primaire des Blagis avaient impressionné nos lecteurs et ils l’avaient fait savoir. Vous vous souvenez ? elles sont là. La cohérence de toutes ces productions d’enfants avait surpris, une cohérence comme instrumentée par les couleurs et les formes. Quelle mystérieuse organisation avait conduit à ce résultat ? Seule Hélène Szumanski, l’instigatrice des opérations, pouvait en révéler le secret.

Verser, extraire, verser, extraire, former

Son métier ? « Je suis peintre. » Sa méthode avec les enfants? Travailler avec les enseignants qui, avec leurs élèves, ont défini les quatorze thèmes, autant de « prétextes à l’expression. On ne cherchait pas à reproduire. » L’Australie a évoqué aux enfants arbres, huttes d’aborigènes, animaux. Une Australie imaginaire. « De quoi rêvez-vous pour votre avenir ? » a évoqué le cinéma, l’agriculture, la famille et la fresque en montre de nombreuses représentations.

Ensuite (d’abord devrait-on dire) Hélène Szumanski a sa technique, une technique de peintre, celle qu’elle utilise peu ou prou (après adaptations) avec les enfants. Elle répand la couleur, l’étale, la gratte, recommence jusqu’à imbiber la toile. Les formes se dégagent par retrait de couleur. Tout est bon pour gratter. Enfin presque tout, ça dépend de ce qu’elle a en tête, mais le panel est large : protège-cahier, carte de fidélité (no logo), couteau de cuisine, pointe de ciseaux pour tracer les lignes fines, tout objet capable de soustraire et de dégager des couleurs dessous, des traces. Elle en fabrique elle-même.

La peinture est versée par généreuses goulées, répandue ci et là, surtout là pour le bleu, ici pour le jaune. Quand vient le rouge, des surfaces ont déjà été extraites. La somme des couleurs est la différence algébrique des strates en dessous. Ou quelque chose comme ça, ne le prenez pas à la lettre.

Apprendre à peindre, apprendre quoi peindre

Elle dit que ses fils lui ont appris à peindre. Son aîné, elle le regardait, petit, mélanger spontanément les couleurs primaires. Elle était fascinée. Son benjamin, quelques années plus tard, « a réalisé d’un seul jet une composition abstraite aboutie. Je ne lui avais rien suggéré. » On ne saura jamais ce que son amour de mère a placé dans sa vue, toujours est-il que les gestes de ses enfants se sont immiscés en elle. On dirait qu’ils l’ont construite.

« Je m’en tiens toujours aux primaires. Les complémentaires sont de moi. Je n’achèterai jamais du vert ni du violet. J’achète des nuances de bleu ou de jaune, mais ça ne va pas plus loin. Sauf le blanc, c’est vrai, je ne le fais pas moi-même, mais c’est tout. A mes élèves, je dis toujours : pas de couleur complémentaire à acheter. Le noir, c’est de l’outremer, du carmin, du jaune cadmium. » Encore faut-il savoir doser.

Une toile dans l’atelier. Photo LGdS

Les expériences de la vie se sont chargées d’apporter des contenus. Dix ans d’humanitaire. Ses missions à Tirana en Albanie, à Banja Luka en Bosnie ou au Yémen l’ont profondément marquée. En Albanie, un enfant a dessiné un visage ficelé avec une pierre. A sa voix, on comprend que l’instant où elle découvrit (et comprit) le dessin fut très fort.

Un jour, elle connaît une nuit très singulière. Elle vit une sorte de révélation. Cela arrive parfois. L’illustre Claudel a vécu cela à Notre-Dame. Chez elle, c’est resté plus discret, mais peut-être pas moins intense. Une technique se révèle à elle. Elle a entre les mains tout ce qu’elle voulait dire.

« Je n’ai pas dormi. J’avais trouvé ma méthode. La technique, j’ai compris que j’y arriverai comme ça. J’ai fait couler de la peinture. Le premier jour, j’ai pris trois malheureux tubes de gouache du papier Canson et du coton-tige. Le 2e jour, j’ai pris une toile, de l’acrylique, des couleurs primaires. J’avais le geste. »

Elle n’est pas égoïste, c’est cela qu’elle voudrait transmettre.

Sortir la couleur du tube, la manipuler, tout cela doit suivre un mouvement. « J’ai besoin de travailler en musique. Elle me donne le rythme du travail sur la toile. Au début, j’étais dans le vertical et l’horizontal. Je suis passée à des arrondis, assez petits au début et peu à peu plus grands. » Les petits yeux sont devenus des grands yeux. Leur présence dans les toiles s’est accrue. On pense à Jean-Luc Parant.

Travailler, animer

De retour en France, elle travaille pour gagner sa vie. Elle enseigne (elle n’aime pas le mot, elle anime ? elle intervient ?) auprès de plusieurs organismes.

Le premier fut EM Pro (Établissement médico-professionnel) à Bourg-la-Reine. « Vers 2007, j’ai proposé d’animer des ateliers de peinture. L’éducatrice m’a regardé faire. Mon envie de donner à l’autre devait être tellement forte que j’ai réussi à la convaincre. Elle m’a dit ça, ça va plaire aux jeunes »

Elle montrait une démarche simple, sans prérequis : mettre de la couleur, enlever, effacer, suivre son envie. « Je voulais surtout transmettre une envie d’expression. »

Avec les Apprentis d’Auteuil, ce sont des jeunes entre 16 et 18 ans, des jeunes migrants, d’autres placés en institution pour échapper à des situations pénibles. « Les migrants ont une capacité à s’approprier l’abstrait qui est extraordinaire. Quand ils voient ce que je fais, ils se l’approprient. »

« Je me souviens d’un jeune Tunisien absolument extraordinaire. Devant lui, je n’avais fait que peindre pour lui montrer. Il a tout de suite compris. Il a perçu tout ce qu’il pouvait en tirer. Son tout premier tableau, composé spontanément a été absolument magnifique. Des pastels roses, bleus, verts qui ont impressionné la Fondation Foujita, sponsor des projets artistiques de jeunes des apprentis d’Auteuil. »

A l’école des Blagis à Sceaux, tous les jours, pendant la pause méridienne, elle anime des ateliers. Le mercredi soir, elle est à Fontaine Saint-Ex à Antony. Au CSCB, le samedi, elle s’adresse à des adultes, à des ados, à des enfants. Elle trouve encore le temps de donner des cours particuliers.

Une maïeutique plutôt qu’une pédagogie

Pourtant, « je ne suis pas une pédagogue. Je ne suis pas une enseignante, je ne veux pas être suivie, imitée. Chacun doit utiliser les facilités trouvées en lui-même. J’aime que les créations se démarquent de moi. » Son idée de base : « Si j’y arrive. Pourquoi pas d’autres ? Pourquoi d’autres n’y arriveraient-ils pas ? » Faire couler des couleurs, étaler, en prendre de nouvelles, gratter, découvrir des zones informes ou formées, des lignes, des surfaces, des strates. Montrer que le geste est majeur, que grâce à lui l’harmonie des couleurs se dégage peu à peu. Que le fond est le tréfonds géologique de la toile.

Ensuite, les petits points, les traits. « Avant de les placer, les fresques ne tenaient pas la route. Quand il y a beaucoup de couleurs, il faut les unir pour que ça ne soit pas agressif. » On voit aussi des formes détourées de noir ou de couleur. Souligner la figuration plutôt que l’abstraction correspond à l’envie des enseignants et des enfants. « Elle est aussi plus simple à mettre en œuvre et moins problématique. L’abstraction, plus individuelle, devient compliquée en collectif. »

Son secret, elle le révèle volontiers. Sa technique permet de produire (reproduire ?) un espace mental. Sa magie est de surprendre en retour son créateur. Elle est simple dans son principe, mais pas dans la durée. « Il faut se renouveler et pour cela, pas de mystère… il faut bosser. » C’est toute la différence entre une création sympathique et une œuvre aboutie qui rencontrera un public. « Ce qui compte ? L’organisation, l’harmonie, les nuances, la composition, la force et … le renouvellement. » En effet, il faut bosser.

Pour Hélène Szumanski, maintenant, c’est Bruxelles. Elle expose en ce moment à l’invitation de la Galeria Arte Gaudi. La même galerie l’expose à Madrid en décembre et janvier.

Au salon d’art contemporain de Jouy-en-Josas en février 2023, elle est… l’invitée d’honneur.


Pour en savoir plus sur le travail d’Hélène Szumanski

  1. Julien R Julien R 2 décembre 2022

    C’est toujours très agréable et intéressant de lire tes portraits Maurice.
    Je garde un très bon souvenir de notre balade au parc où tu nous avais montré les œuvres d’Hélène Szumanski, et d’autres choses passionnantes qui t’animent.

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