Un « plan de transformation de l’économie française » vient d’être publié chez Odile Jacob. Son auteur est un collectif, le Shift Project, un think tank « qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone. Si les propositions qu’il avance sont, prises isolément, familières, rassemblées elles forment un tout qui a au moins un mérite : associer les échéances climatiques à des objectifs crédibles. Rien ne se fera selon les auteurs sans faisabilité économique.
La démarche est assez inspirée par l’esprit de la planification du Commissariat général du Plan (qui a marqué la IVe République puis une partie de la Ve). Elle s’efforce d’être une vision nationale et globalisante destinée à « transformer tout ce que l’énergie abondante a façonné autour de nous en deux siècles. » (p.17) Il y a l’idée d’un plan de marche qui accompagne la vision, la volonté de « décrire un début de chemin praticable cohérent avec l’objectif de sortie des énergies fossiles en une génération. Son but n’est surtout pas d’offrir l’illusion réconfortante d’une transformation réussie d’avance d’un programme clé en main : nous attirons aussi l’attention sur les zones méconnues et les points durs. » (p.42)
Si les thèses du Shift project sont parfois controversées, elles présentent au moins l’avantage d’être concrètes, structurées et organisées selon un plan opérationnel. On n’est pas dans le yaka fokon. Les auteurs proposent d’approcher la décarbonation de l’économie pour laquelle ils militent en s’attachant à « une analyses des stocks et des flux physiques de matières et d’énergie. » (p.28)
En pratique, le plan propose une description selon 15 secteurs (ou axes essentiels) : les grands usages et les processus productifs sont analysés et des transformations à l’échéance 2050 sont proposées, le tout devant présenter une image cohérente d’une économie bas carbone.
Quinze axes
Pour situer les idées, et en attendant d’en discuter plus avant, voici un tableau des 15 axes étudiés par la plan. Tous ne sont pas de la même nature. Certains, comme l’énergie ou les mobilités, pèsent directement sur l’émission des GES (gaz à effet de serre); dans ce cas, la contribution aux émissions actuelles est indiquée en pourcentage. Ces pourcentages sont des ordres de grandeur qui visent à situer l’importance de chacun des thèmes. Ce sont des arrondis, ce qui explique que la somme dépasse un peu les 100%.
D’autres thèmes, comme la culture ou l’administration ne génèrent pas es qualité des GES. Quant à l’automobile, son impact GES est dans l’industrie pour son aspect fabrication ou dans les mobilités pour son aspect fonctionnement. Le Shift project l’a cependant considérée comme un thème à part entière du fait de l’effort important et très spécifique qu’elle impose.
En commentaires, quelques indications sur les types de transformation imaginés. Ce ne sont que des aperçus qui demandent à être regardés de plus près dans le livre ou sur le site https://ilnousfautunplan.fr/
Thèmes | % | Exemples de transformations |
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Énergie | 9 | Impulser de grands travaux électriques pour limiter les risques de crise d’approvisionnement : programmes électronucléaires, énergies renouvelables, etc. Préparer le déclin des carburants liquides et gazeux : plan |
Industrie | 20 | Augmenter le recyclage des plastiques, la réparation et le réemploi, et relocaliser la production d’engrais Créer un cadre propice aux ruptures technologiques : hydrogène, capture du carbone, nouvelles manières de construire Baisser la consommation d’emballage plastique de 70 % |
Agriculture et alimentation | 25 | Accompagner l’installation et le renouvellement de la population agricole Raccourcir les chaînes d’approvisionnement (circuits courts, production locale, autonomie fourragère, etc.) et recycler les nutriments Réduire les produits d’origine animale tout en rémunérant mieux les éleveurs |
Fret | 9 | Électrification des camions , réduction de la consommation (aérodynamisme, vitesse réduite) Remplissage optimisé des véhicules En zone urbaine : mutualisation des flux de marchandises, |
Mobilité quotidienne | 14 | Regrouper les lieux d’habitat, d’achat et d’activité sur les surfaces déjà urbanisées Renforcer la qualité de la desserte en transports en commun et étendre les réseaux Sécuriser la pratique de la marche, du vélo et des autres cycles légers |
Mobilité longue distance | 9 | Mise sur le marché de voitures électriques, économes et peu puissantes, avec vitesse limitée sur autoroute Équipements touristiques adaptés pour le train, développement du réseau transversal et des trains de nuit à travers l’Europe Appui au tourisme local et bas carbone |
Automobile | Orienter la fiscalité vers des véhicules de plus en plus sobres (masse, aérodynamisme, équipements) Aider les ménages les plus contraints à remplacer leur véhicule par un moyen de transport plus sobre S’appuyer sur la commande publique pour soutenir la production locale | |
Logement | 12 | Sobriété dans les constructions neuves en favorisant le logement collectif Massification de la rénovation énergétique globale et performante |
Emploi | Repenser les formations initiales et continues : former l’ensemble des métiers aux enjeux énergie-climat, Lever les freins à la demande de formation : faciliter les démarches, mutualiser les moyens, aider les TPE-PME Appuyer les reconversions entre secteurs et au sein d’un secteur en améliorant l’attractivité de certains métiers | |
Administration publique | Faire des bilans carbone complets dans toutes les administrations Rendre la décarbonation prioritaire : intégrer l’impact carbone, la résilience et la sobriété à tous les niveaux (du numérique aux déplacements professionnels) | |
Santé | 8 | Raccourcir les chaînes d’approvisionnement via la relocalisation et la diversification Intégrer aux formations initiales un module de compréhension des enjeux énergie-climat et financer la recherche sur le sujet |
Culture | Relocaliser les activités : inscrire la culture au cœur des territoires et en faire un moteur pour la transition locale au travers de tous ses besoins (achats, alimentation, bâtiments, énergie, mobilité et transports) | |
Villes et territoires | La connaissance : améliorer la compréhension des effets du dérèglement climatique et de la transition post carbone sur les territoires Mettre en cohérence les politiques et ses actions avec les objectifs et la vision partagés sur le territoire Faire des interdépendances des opportunités de coopérations | |
Mobiliser les finances publiques et l’épargne |
Encore une fois, ces quelques exemples ne résument pas le plan; ils essaient d’en donner l’esprit. Il va être soumis aux candidats à l’élection présidentielle. La raison de sa parution maintenant est précisément de tirer parti de l’échéance politique pour faire connaître les propositions. Et les discuter. Je n’ai pas compris que le plan était à prendre ou à laisser. C’est plutôt une base de discussion et de prise de conscience.
Un base de dialogue et d’actions
On comprend qu’il y a de fortes marges d’interprétation et que certaines propositions sont d’une grande généralité. Ainsi, pour agir sur la mobilité quotidienne, l’idée de « Regrouper les lieux d’habitat, d’achat et d’activité sur les surfaces déjà urbanisées… » procède de vœux qui, pour être présentés depuis des décennies, ne voient pas réellement le début d’une réalisation. Mais s’il y a loin de la coupe aux lèvres, il faut quand même avancer. Les échéances sont là. La décarbonation est une priorité. C’est le credo du Shift project. Encore faut-il organiser les conditions sociales qui la rendent soutenable. Avec l’emploi en premier lieu.
Le travail a été mené par plusieurs centaines de personnes. Il a été guidé par la volonté d’être explicite et détaillé sur les transformations estimées nécessaires, la volonté aussi de provoquer le débat sur leur acceptabilité. Les auteurs sont conscients de toucher les points essentiels de nos modes de vie : « se nourrir de manière saine, accéder aux activités qui nous plaisent, être en bonne santé, ou encore disposer d’objets et d’équipements qui nous rendent réellement service. » (p.41) Ils savent que la tâche est immense et ne se réalisera pas en un tour de main ni même en 30 ans.
Ils se positionnent par rapport aux politiques comme une force de proposition pour démontrer l’ampleur du programme, de la mobilisation nécessaire et, en conséquence, du pilotage très serré à mettre en place. La place importante accordée à la gouvernance de la transition et à la programmation des actions structurantes de long terme confirme, s’il le fallait, l’orientation.
Pour construire cette mobilisation, clé de voûte de l’ambition, le plan parle (p. 236) de « rendre désirable les limites qui s’imposent à nous et pour cela présenter un discours positif de transformation. » On ne saurait mieux situer le problème.
On pourra apprécier le plan de façons très diverses et probablement opposées. Il n’en fournit pas moins une base de réflexion solide et argumentée, étayée de chiffres et d’énoncés détaillés, ce qui n’est pas fréquent en ces temps de raccourcis, de jugements lapidaires et de colères qui se dispensent d’arguments.
[…] le think tank qui s’est imposé comme référence dans le domaine de la transition climatique. La Gazette en avait parlé au moment de la sortie d’un livre sur le Plan de Transition Énergétique France (PTEF). […]