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Une rencontre autour du Shift Project

Faut-il encore présenter le Shift Project, le think tank qui s’est imposé comme référence dans le domaine de la transition climatique. La Gazette en avait parlé au moment de la sortie d’un livre sur le Plan de Transition Énergétique France (PTEF). Jean-Christophe Dessanges, élu municipal de la liste Sceaux Ensemble invitait jeudi Eric Bergé, un membre actif du Shift Project pour un débat très informel. Pas de transparents prévus. Que du « live », du retour d’expérience, des avis. Une quarantaine de personnes étaient présentes dans la grande salle de l’ancienne mairie. Le débat a été simple, direct et… multiforme.

Actionner tous les leviers

Pour Eric Bergé, la spécificité du Shift Projet et sa valeur ajoutée est de passer son temps à compter. Si l’humour est manifeste, il veut dire que la question énergétique doit être appréhendée à travers des quantités de KWh, de terres rares, que l’important est de faire un plan de cohérence entre les flux physiques : quantités d’énergie, de biomasse, de déchets, de sable, de métaux etc. Pour réussir la transition, il faut actionner tous les leviers à la fois. Et non pas un seul.

C’est une approche qu’il qualifie d’ingénieurs et il évoque le travail considérable qui a été accompli pour produire le PTEF. Ils sont partis des usages pour remonter aux consommations. Ce sont des centaines de personnes qui ont contribué à cet effort. Aujourd’hui, le travail est reconnu et les politiques s’y référent. Le Shift se veut absolument non partisan. En même temps, ils savent que les décisions à prendre pour lancer, accompagner, réussir la transition énergétique sont d’ordre politique. En ce sens, ils cherchent à faire connaitre leurs résultats à toutes les sensibilités.

Pas de contradiction à s’inscrire dans la SNBC (Stratégie nationale bas-carbone) telle que définie par le gouvernent et élaborée en application des accords de Paris et des recommandations du GIEC. Pour Eric Bergé, la SNBC a été l’occasion de faire discuter les filières professionnelles auxquelles il a été demandé de décliner ce qui était applicable dans leur domaine. Cette démarche a favorisé la synergie entre les métiers. Par exemple, dans la vallée de la Seine, ça a créé des clusters d’entreprises pour partager l’effort de stockage de CO2. Un petit coup de patte, au passage : l’État produit des normes en direction du privé, mais il se garde souvent de les appliquer au public.

Usages

Au gré de son inspiration, Eric Bergé passe en revue de nombreux aspects de la transition qu’ik appelle de ses vœux. La décarbonation est un objectif compliqué à atteindre. Tout contribue à produire du CO2, même des activités qui semblent bien innocentes. Il cite, avec un humour empreint de provocation, la cuture, avec les jeux vidéo, la littérature, le spectacle vivant, la tournée d’un groupe rock de renom qui attire dans chaque ville des fans qui ont fait des centaines de kilomètres.

Évidemment, il ne cherche pas à traquer les moindres faits et gestes de la population, mais plutôt à faire prendre conscience de la profondeur du sujet et de la variété des usages qui produisent des GES.

Et la technologie ne peut pas tout. L’industrie lourde, même en se mettant à l’hydrogène, même en stockant son CO2 dans le sol, en recyclant au maximum, n’arrivera pas à tenir l’objectif de -80%

Il fut beaucoup question du fameux H2. Si aucun chiffre précis n’a été présenté, on a bien compris que pour lui, les domaines d’efficacité de l’hydrogène sont très délimités : acier, engrais, mais pas dans les transports (sinon pour faire de belles photos). En ce qui concerne le ciment, c’est compliqué.

Atouts de la France

Des fonds d’investissement sont prêts à investir de façon importante dans la transition. Une entreprise fabriquant du plastique à partir de lait a pu réunir 12M€ alors que son chiffre d’affaires ne se monte qu’à 10.000€.

Des solutions sont en cours d’élaboration. Il n’en existe pas de miracle. Les CCS pour Carbon Capture & Storage sont des techniques en cours de développement. Il faut pourtant se méfier des apparences : il cite la biomasse (basée sur les déchets agricoles, les forêts,…) pour lui discutable en ce qu’elle prend sur la surface cultivable et pressure la terre. Sans compter que pour faire du maïs spécial pour biocarburant, il faut des ressources accrues er des pesticides lesquels ont besoin de carbone. Et toc !

La France a des atouts dans les matériaux de construction. La rénovation de l’habitat ne marche pas encore assez bien. Elle reste chère malgré les subventions. Et souvent, il y a manque de main d’œuvre compétente pour les réaliser. « Mais la bonne nouvelle est qu’on ne pourra plus louer des logements qui sont des passoires thermiques. RE2020, qui va sortir en 2022, va booster la compétition entre fabricants, le design. »

L’emploi, au cœur de la démarche

Dans la salle, on demande si calculer les quantités au plan national a vraiment du sens. Éric Bergé répond : au niveau mondial, il n’y a pas de gouvernement. On pourrait imaginer au niveau européen. Mais c’était bien compliqué. Le bénévolat est plus compliqué au niveau européen. Gagner de l’influence au niveau de la France est plus efficace.

Pour Eric Bergé, l’objectif est de travailler avec la société civile. « Les politiques bougeront, quand les gens les pousseront. » Par société civile, il entend les corps intermédiaires. Et il ajoute : « Il faut être d’abord prophète en son pays. » Il existe un fort courant porteur. Lors de la sortie du livre sur le PTEF, une conférence organisée dans et avec Sciences Po a réuni 6000 personnes en ligne. 5000 livres ont été vendus en un temps record. Le Shift Project a été sollicité par le Commissariat au Plan.

L’idée maîtresse qui est revenue sans cesse pendant la rencontre est : comment recréer des emplois. La transition peut entraîner des suppressions comme dans l’élevage ou dans le domaine aérien. Que fait-on des professionnels ?

Il reste, aux yeux d’Éric Bergé, fort à faire. À convaincre d’abord. À creuser, ensuite, des sujets comme la relocalisation. Si tous les candidats aux élections en parlent, c’est une tout autre affaire que de l’organiser réellement. En revanche, au reproche fait parfois au PTEF de ne pas assez traiter la question des financements, il répond qu’elle viendra à son heure, au regard des emplois qui peuvent être créés.

Dans le débat entre décroissance et croissance verte, on comprend que le Shift Project se situe du côté du second terme. L’emploi a besoin de croissance. Parmi les cent idées qui ont été évoquées durant la soirée, on préférera retenir cette idée-là.

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