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Prises de paroles à l’EPF

Avez-vous entendu parler des concours d’éloquence ? Vous lancez un appel à des jeunes gens convaincus de la force oratoire, vous leur donnez un thème, un peu de temps pour le préparer, une estrade, éventuellement un micro et vous les écoutez. L’éloquence, c’est d’abord de la parole, ce qui veut dire une voix donc un corps. Et un corps, ça bouge, tout se voit. Un concours d’éloquence, c’est l’observation et l’évaluation de toutes les subtilités d’un corps parlant. La scène s’est passée à l’EPF, près de la Ménagerie, en décembre, juste avant Noël.  

Amélie Planche, présidente de l’association d’éloquence de l’EPF accompagnée de Romain Talleneau de l’EPF aussi, maîtres de cérémonie jouent l’ouverture, passent aux présentations des membres du jury. Humour de rigueur. Prière de ne pas rester coincés. Roulement de tambour. Les candidats arrivent. 

Trois finalistes s’opposaient ce soir-là dans un amphithéâtre copieusement rempli d’étudiants bouillonnants. Tous ne sont pas neutres, nombreux sont les supporters. Trois finalistes donc, deux garçons, Paulin et Alexandre et une fille, Justine. Le concours initialement comptait douze compétiteurs. Les trois élèves ingénieurs se sont imposés au terme d’une série d’éliminatoires.  Nous n’évoquerons pas ici le classement final pour vous laisser juge de ce qu’aurait été le vôtre.

Thèmes redoutables

Deux thèmes avaient été mis au choix : « Le moi est haïssable » et la « La vraie vie est ailleurs » thèmes éminemment empreints de spiritualité, de christianisme même, avec Pascal et son exigence folle, inspirée de Port-Royal, de régler les cœurs à l’unisson des paroles divines. Thèmes casse-gueule s’il avait fallu les traiter avec une rigueur nourrie de culture littéraire. Le XVIIe siècle n’est pas ce qui inspire les trois challengers. Et comment aurait-il pu ? Il ne fait sans doute pas partie de leur enseignement. Tel ne fut donc pas le cas. Le jury n’attendait rien de tel. 

Il regardait les gestes, il écoutait les voix, il évaluait les postures, les mains, le cou, le mouvement des yeux, les silences, les montées en intensité, les insistances sur un mot, les silences encore, le rythme donc. Le contenu, semble-t-il, n’est qu’un paramètre.  

L’esprit du temps, à ce que j’ai compris, dit que dans l’éloquence le fond, les idées, l’approche, prennent une part contingente rapportée à la façon de s’exprimer. Dominent l’intonation, l’expression, la capacité à convaincre, la capacité à se détacher du support écrit. 

En d’autres termes, la performance orale prévaut et elle se repère aux inflexions de la voix, à l’étendue du vocabulaire, à la spontanéité. Elle est aussi dans le respect du temps (chacun disposait de huit minutes), la gestuelle, la tenue (et il faut souligner le soin que chacun y mit ; rien des négligés ordinaires). C’est dans ce contexte qu’est évalué le contenu de l’intervention, c’est-à-dire les idées, les exemples, les illustrations, la logique de la réflexion.  

Incidemment, on imagine volontiers des thèmes qui anticiperaient ce que les ingénieurs auront à traiter dans leur carrière. Et ils sont nombreux. Les enjeux techniques ou industriels doivent être racontés. La solution proposée par un ingénieur doit être accompagnée d’un discours convaincant. La pédagogie liée à la présentation d’un produit ou d’une idée est aussi une situation où l’éloquence est un atout déterminant.  

Mais revenons à ce qu’ils ont dit. Huit minutes, c’est beaucoup. Il faut savoir les meubler. Ils s’y sont efforcé. Nous mettons en ligne les textes. Il faut les lire en imaginant des voix très modulées, les yeux scrutant les réactions du public, une main levée pour appuyer un mot. C’est à cette condition que vous pourrez associer à votre lecture la présence dont chacun a su faire montre. Présence au pupitre, présence dans l’amphi. Aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années. En l’occurrence, ils ont quelque chose comme vingt ans. Ils ont envie de parler. Ils aiment la mise en forme. Pas de substance sans forme. Autant s’y attarder et retrouver les voix par-delà les mots.

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