Appuyez sur “Entrée” pour passer au contenu

Bêtisier #5 : On dispose d’un traitement efficace qu’on interdit de prescrire

Depuis son affirmation péremptoire « fin de partie »[1], Didier Raoult prétend disposer du traitement efficace contre le Covid-19 (l’infection respiratoire la plus facile à traiter de toutes). Les chaînes de désinformation en continu lui ont complaisamment tendu leur micro et il dispose de nombreux fans dans le pays.

Le refus d’une méthodologie rigoureuse

Didier Raoult a très vite publié dans la revue d’un de ses adjoints un article sur les bienfaits de son traitement. Cet article présentait les résultats obtenus sur 26 patients. Il a fait l’objet d’analyses critiques par les chercheurs, ce qui est une procédure normale : la présentation de résultats et de conclusions par une équipe de chercheurs, puis ce que peuvent en dire d’autres chercheurs, avec leurs accords et leurs désaccords, est la méthode normale pour faire avancer la science. La méthode consistant à affirmer « j’ai raison parce que je suis le meilleur » n’est pas une méthode reconnue comme scientifique !

Les analyses de cette première étude ont immédiatement fait ressortir des biais méthodologiques graves. Le plus frappant est que seuls 20 des 26 patients ont vraiment été suivis : sur les 6 autres, 2 ont arrêté le traitement ou quitté l’hôpital avant la fin, 3 ont été transférés en réanimation et un est décédé !

Devant les nombreuses critiques, Didier Raoult remet en cause selon l’AFIS les principes de la méthodologie scientifique :

 « Dans un colloque intitulé « Contre la méthode » qu’il a organisé le 13 février 2020, il expose ses principaux arguments qui se révèlent en fait être des arguments contre la démarche scientifique en général »

Les études publiées ensuite, avec des échantillons plus nombreux, conservent les mêmes biais méthodologiques. Si tant de scientifiques s’élèvent contre les discours de Didier Raoult, c’est qu’il piétine allégrement les principes patiemment construits pour faire avancer la science, et en particulier ce qu’on appelle la médecine par la preuve.

Des biais systématiques

Aujourd’hui, une série d’études publiées ont montré que le traitement proposé par Didier Raoult (HCQ + un antibiotique) n’ont pas d’effet contre le Covid et qu’il contribue au contraire à une augmentation de la mortalité du fait des effets secondaires (connus) de l’HCQ. Pourtant, l’IHU met au contraire en avant des études montrant au contraire une certaine efficacité du traitement (il y a bien longtemps que Didier Raoult ne prétend plus que son traitement sauve tout le monde, ce qu’on aurait pu attendre de son expression « fin de partie »). Ces études ont montré généralement des biais assez bien connus aujourd’hui.

Le premier biais dénoncé est celui consistant à avoir un échantillon de patients, dont la moyenne d’âge est nettement inférieure à la moyenne des malades Covid, alors que la mortalité Covid dépend beaucoup de l’âge. Le deuxième biais est de ne pas afficher les critères de sélection des personnes à qui on donnait le traitement et de ceux à qui on ne le donnait pas. Et puis, il y a un troisième biais plus subtil !

Didier Raoult (et d’autres qui l’ont suivi comme Christian Perronne ) ont annoncé qu’il fallait donner le traitement pendant au moins 3 jours. Du coup, les patients qui meurent pendant les 72 premières heures sont considérés comme étant exclus du traitement et donc exclus de ce fait de l’échantillon test. Et pendant qu’on y est (pourquoi se gêner ?) reversés dans l’échantillon témoin, qui est donc alourdi de ces patients-là. Quand on sait que l’étude de la première vague a montré que 24 % des décès survenaient dans les trois premiers jours, on comprend à quel point cette petite astuce permet de démontrer ce qu’on a envie de démontrer !

De quelle manière les échantillons sont-ils constitués (quand il y a un échantillon témoin) ? On peut supposer que le traitement de Didier Raoult n’est pas donné aux personnes dont les caractéristiques font qu’il leur est contre-indiqué. Or, plusieurs des contre-indications de l’HCQ (diabète de type 2, maladies cardiaques) sont considérées comme des facteurs aggravants du Covid. Ne pas les intégrer à un groupe à qui on donne le traitement est normal, mais cela suppose que l’on compose le groupe témoin de la même manière…

Liberté de prescrire

La préconisation de ce traitement a donné lieu à une autre polémique, sur la « liberté de prescrire ». Tous les médicaments utilisés par la médecine bénéficient de ce qu’on appelle une AMM (autorisation de mise sur le marché), accordée à partir d’un dossier produit par le fabricant, dossier qui répond à des règles strictes. L’AMM est délivrée pour un type précis de problème de santé, pour lequel des essais ont été faits. Prescrire un médicament hors AMM est dangereux. Presque tous les médicaments ont des effets secondaires. S’ils ont été autorisés, c’est parce que la balance entre bénéfices et risques a été jugée suffisamment favorable. Mais rien ne prouve qu’il en soit de même si le médicament est utilisé pour d’autres utilisations : il faut refaire toute l’étude. Rappelons que c’est exactement ce qui s’est passé pour le Médiator[2] : ce médicament a été utilisé pour des situations pour lesquelles il n’avait pas été étudié.

Avant l’AMM et après de nombreuses études in vitro et sur animaux, un médicament doit être essayé sur l’homme. Cela se fait dans des conditions très strictement encadrées.

Trouver une nouvelle molécule pour soigner une nouvelle maladie est un processus très long. Une solution transitoire peut consister à tester des médicaments existants et ayant des résultats sur une maladie proche. C’est ce qui a été fait pour le Covid 19, sans résultats probants. Il s’agit de tester une molécule pour lequel l’AMM ne prévoit pas l’utilisation pour cette nouvelle maladie. Vouloir l’utiliser dans le cadre d’une prescription normale est un non-sens et, en pratique, dangereux. Les essais réalisés officiellement l’ont été dans un cadre hospitalier, avec des moyens de suivi sans commune mesure avec ce dont dispose un médecin généraliste dans son cabinet.

Rappelons qu’en mars 2020, le fait que les études publiées par Didier Raoult n’étaient pas rigoureuses ne prouvait rien sur l’efficacité ou non de l’HCQ pour le Covid : il fallait attendre des études sérieuses pour trancher, c’était le point de vue de la plupart des commentateurs scientifiques. Ceux qui réclamaient la liberté de prescrire l’HCQ pour le Covid 19 (donc hors AMM) considéraient qu’ils pouvaient, à l’encontre de toutes les règles de la profession, se passer des dites études : il était d’autant plus judicieux de ne pas leur permettre de le faire !

Sur le même sujet :


[1] Le 25 février 2020, déclaration de Didier Raoult
[2] Dans les années 1990/2010, le Médiator a été prescrit comme coupe-faim pour maigrir alors qu’il est présenté comme un antidiabétique

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *