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Bêtisier # 4 les rares victimes allaient mourir bientôt de toutes manières

C’est l’un des arguments majeurs de ceux qui trouvent largement exagérées les mesures prises pour empêcher que l’épidémie ne déborde les hôpitaux : ceux qui meurent sont des vieux qui n’avaient de toute manière que quelques mois à vivre. Et d’ajouter deux arguments pour appuyer leur thèse : la moyenne d’âge des morts de la Covid est de 82 ans (ce qui est à peu près l’espérance de vie actuellement) et une grande partie de ceux qui décèdent ont des comorbidités (hypertension, diabète, obésité, cancer…) qui les désignaient manifestement pour un décès proche.

Ma mère a-t-elle le droit de vivre ?

En dehors des arguments rationnels exposés plus bas, veut-on d’une société basée sur « laissons mourir les vieux plutôt que de nous obliger à des contraintes » ? Sur le sujet, le mieux est de citer ce témoignage parmi beaucoup d’autres, d’un citoyen lambda, qui, après avoir évoqué la situation de sa vieille dame de mère, écrit :

Je vois plein de gens qui racontent que la mort d’un petit vieux ou d’une petite vieille, ce n’est pas si grave que ça. Et je me demande. Ces gens-là, ils ont eu une mère ? Ou ils ont été fabriqués en laboratoire, comme dans « Le Meilleur des Mondes » d’Aldous Huxley ? Qu’une vieille dame au cœur fragile puisse mourir d’un moment à l’autre, ça, OK. Mais qu’on prône ouvertement l’idée que laisser crever nos petits vieux, ça ne serait pas un drame… D’où sortent ces gens ? Qu’est-ce que leur mère leur a fait ?

Certains pensent peut-être que l’attention aux vieux est une dérive de notre société, comportement qu’on ne pouvait se permettre quand les conditions étaient plus difficiles. Ils ne savent probablement pas qu’on a découvert (à la Chapelle aux Saints et dans la grotte de Shanidar) des restes de néandertaliens âgés et ayant survécu à de graves blessures les rendant incapables de survivre sans l’aide de leur clan (l’un d’eux ne pouvait manifestement plus marcher). C’était dans les deux cas il y a environ 50 000 ans. Ces deux exemples (parmi d’autres) sont considérés comme la preuve de l’humanité des néandertaliens. Ce serait quoi la nôtre si elle devait être différente ? C’est quoi notre humanité ?

Faut il rappeler que l’espèce humaine fait partie de celles qui protègent les individus les plus fragiles, même quand ce n’est pas utile à l’avenir du groupe ?

Espérance de vie à 80 ans

Le taux de mortalité augmente fortement avec l’âge. 53% des personnes décédées lors de la première vague avaient au moins 80 ans. Certains en ont rapidement conclu que, puisque l’espérance de vie est de l’ordre de 80 ans en France, la plupart des personnes décédées seraient mortes de toute manière dans l’année. Si c’était vrai, on aurait dû avoir, après la première vague, une mortalité nettement plus faible que les années précédentes, ce qui n’a pas été le cas. Comme ont pu le remarquer certains observateurs, ceux qui portent cet argument confondent (volontairement ou par ignorance) espérance de vie à la naissance et espérance de vie totale à un âge donné.

Une personne arrivée à l’âge de 80 ans a déjà échappé à tout ce qui aurait pu la faire mourir à la naissance, à 5, 25 ou 60 ans. L’espérance de vie calculée tient compte de toutes les personnes qui sont décédées à ces âges-là, alors qu’elle-même appartient au groupe plus restreint des personnes qui décèderont entre 80 et 122 ans (âge du décès de Jeanne Calment). Actuellement, l’espérance de vie restante pour un homme de 80 ans est de 9 ans, et pour une femme de 80 ans de 11 ans.

A noter qu’il y a plusieurs siècles, les personnes qui avaient survécu à la très forte mortalité infantile, avaient à 5 ans une espérance de vie restante supérieure à l’espérance de vie à la naissance !

État de santé de la population

Pour ceux qui minimisent cette pandémie, s’ajoutent dans les décès tous ceux qui n’ont pas un âge avancé mais des « comorbidités », autrement dit des gens dont les jours étaient comptés, eux aussi. Une fois de plus, cet argument montre l’ignorance (ou la mauvaise foi) de ceux qui les mettent en avant. Pour s’en convaincre, il faut regarder l’état de santé des Français, tel qu’il ressort des études publiées par la DREES. Voilà les réponses des Français à la question « Au cours des 12 derniers mois, avez-vous eu une de ces maladies ou problèmes de santé.

On observe parmi les plus de 65 ans une proportion élevée de ceux qui déclarent l’un ou l’autre des problèmes identifiés comme comorbidités pour la Covid (hypertension : 35%, autres problèmes cardiaques : 12 %, diabète : 20 %, maladies pulmonaires : 22 %…). Dans ce tableau, 12,8 % des plus de 65 ans n’ont aucune pathologie ou problème de santé déclaré : on comprend pourquoi, parmi les victimes de la Covid, il y en a peu qui n’ont pas de comorbidités !

Rappelons que les experts qui ont regardé la solution conduisant à ne confiner que les Français âgées et/ou fragiles en ont trouvé 22 millions, un tiers de la population !

Individu et collectif

Le discours sur « ce sont des vieux qui allaient mourir bientôt » reflète surtout le point de vue de gens qui ne veulent pas supporter de contraintes leur semblant ne bénéficier qu’à d’autres. C’est en réalité la marque d’un individualisme triomphant qui veut rejeter le collectif aux oubliettes. Le même individualisme que ceux qui refusent de se faire vacciner de crainte d’un effet secondaire pourtant exceptionnel, et refusent d’entendre que c’est un élément clé de l’immunité de groupe.

Au temps des chasseurs cueilleurs, chacun savait que sa survie dépendait de celle du groupe. Dans la tradition biblique, les dix commandements valorisent l’individu en s’adressant à lui (tu…) mais immédiatement pour lui rappeler que les autres comptent chacun autant que lui (tu aimeras ton prochain comme toi-même).

Peut-être une société devenue à la fois hyper-spécialisée, profondément marchande et riche, fait elle oublier à certains qu’ils dépendent des autres ? Ceux-là même qui ne veulent plus se consacrer qu’à leur égo ?

Sur le même sujet :

  • Covid : faire bonne mesure
  • Le confinement: mor(S)ceaux choisis
  • Bêtisier 1 : Pas plus de morts qu’avec les trottinettes
  • Bêtisier 2 : On nous cache tout, on nous dit rien
  • Bêtisier 3 : L’épidémie s’éteindra toute seule
  • Bêtisier 5 : On dispose d’un traitement efficace qu’on interdit de prescrire

  1. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 1 février 2021

    Faire référence à un texte comme la Bible pour étayer un point de vue est toujours délicat. Pour ne parler que de la mort, puisque cet article est centré sur cette préoccupation, on pourrait aussi rappeler le meurtre de Caïn sur son frère Abel ou bien l’histoire du déluge qui fait suite aux remords du Créateur devant l’échec de sa Création : »Yhwh regrette d’avoir fait l’adam sur la terre et se tourne douleur vers son cœur. » (Genèse, 5,23 – 6,6 Nouvelle traduction Frédéric Boyer, FOLIO Gallimard). Tous y passent et trépassent sauf Noé, ceux qu’il a embarqués et bien sûr tout ce qui vit dans l’eau ! Ce qui pose plus de questions que ça n’apporte de réponses.
    L’attitude de chacun devant la mort est sans doute unique. Et quand on parle de la mort des autres ne parle-t-on pas surtout de la sienne propre ? Faire rentrer cette réflexion dans un bêtisier me semble déplacé.

  2. Dutheil Dutheil 19 décembre 2020

    Merci pour la richesse de cette analyse et des réflexions afférentes

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