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Vous reprendrez bien un peu de gaz russe ?

L’isolation des logements pour lutter contre le changement climatique, c’est un peu l’Arlésienne : on en parle depuis 3 ou 4 décennies et il ne s’est pas passé pas grand-chose pendant des années, comme on peut le voir sur la courbe ci-dessous (source CITEPA) :


On peut observer que les émissions du secteur résidentiel-tertiaire tournent autour de 100MtCO2e par an depuis 1990, et qu’enfin, elles commencent à baisser à partir de 2014.

Au vu de la stagnation de cette courbe pendant des années, on peut s’interroger sur la volonté réelle de l’Etat d’atteindre cet objectif, tant de nombreux intérêts antagonistes (notamment pour la filière gaz) devaient être préservés. On se rappelle que la division par 2 du budget alloué à la rénovation énergétique a été un des facteurs déclenchants du départ de Nicolas Hulot…

Et d’ailleurs, il suffit de se balader dans Paris pour voir que l’Etat n’a pas vraiment agi pour ses propres bâtiments : quand vous voyez un bâtiment manifestement non isolé, avec des fenêtres simple vitrage (voire avec des vitres cassées remplacées par un carton), à chaque fois ou presque, c’est un bâtiment public !

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la politique mise en œuvre ces 30 dernières années n’a pas produit les résultats escomptés, mais qu’heureusement, des inflexions fortes ont été prises récemment: interdiction totale des chaudières fioul et des chaudières gaz dans les futurs logements.

Gérard Bardier expliquait dans son article qu’un des freins importants à la rénovation était le coût important de l’opération et un retour sur investissement souvent trop long et trop faible.

La solution du tiers financement (quand, par exemple, l’Etat prend en charge l’investissement et se rembourse à la revente du logement) est certainement une piste intéressante à développer puisqu’elle lèverait le frein majeur de l’investissement. Mais on pourrait peut-être prendre le problème sous un autre angle et c’est pourquoi je vous présente mon cas particulier.

Du vécu

J’ai acheté une maison en 1996. Cette maison, construite au début du XXe siècle, avant 1920, consommait alors entre 350 et 400kWh/m²/an selon les années (donc classe F). Chauffage central au gaz (ça aurait pu être pire, mon voisin se chauffe encore au fioul !)

À l’époque, malgré les alertes des scientifiques dès les années 1970, personne ne se souciait vraiment des émissions de CO2, mais j’ai immédiatement réalisé une série de travaux, simplement par bon sens, pour améliorer le confort, éviter le gaspillage et réduire mes factures de chauffage (même si le gaz à l’époque n’était pas cher).

J’ai donc changé très rapidement les vieilles fenêtres peu étanches pour du double vitrage, remplacé le thermostat par un programmateur hebdomadaire (au coût dérisoire, 50F de mémoire) sur ma vieille chaudière, pour qu’elle ne s’allume que quand on rentrait du travail. (Ce simple petit programmateur, en coupant automatiquement le chauffage quand il n’y a personne peut entraîner des économies importantes, de l’ordre de 20%, sans aucun impact sur le niveau de confort).

Puis j’ai agrandi en 2001 la maison en rajoutant un étage, ce qui a permis d’isoler le toit qui était une vraie passoire et fait chuter la consommation à 141kWh/m²/an (Classe C). J’ai ensuite fait installer une pompe à chaleur : la consommation a chuté à nouveau pour se situer entre 97 et 120kWh/m²/an.
Puis un chauffe-eau solaire en 2007 et des panneaux photovoltaïques en 2008 : la consommation s’est positionnée entre 66 à 86kWh/m²/an. Les panneaux PV produisent un tiers de l’électricité que je consomme.

J’ai aussi fait restaurer, avec du double vitrage, des vieilles fenêtres, avec crémone ancienne que je n’avais pas voulu changer pour garder le style de la maison.

Et enfin un poêle à bois, installé en 2018, me permet de ne quasiment plus allumer la chaudière (elle est éteinte de mars à octobre, et l’hiver, elle s’allume automatiquement pendant 30 minutes le matin pour le sèche serviette de la salle de bains et à 17h, pendant une dizaine de minutes pour l’eau chaude, uniquement quand il n’y a pas eu de soleil dans la journée), ni la pompe à chaleur, sauf quelques heures par jour, quand il fait très froid, pour les chambres, le soir avant de se coucher.

Aujourd’hui, je consomme entre 36 et 42kWh/m²/an (Classe A, y compris cuisson, appareils électriques, etc.) avec une chaleur très confortable et très agréable, alors que les murs de la partie ancienne de la maison, au rez-de-chaussée, ne sont toujours pas isolés (car c’est un peu compliqué à faire sur une maison ancienne).

Le poêle à bûches est le chauffage le plus économique (et vu l’envolée des prix de l’énergie, je ne regrette pas mon choix : je dépense environ 500€ de bois par an au lieu de 2.500€ si j’étais resté au gaz) et le moins émetteur de CO2, d’après l’Ademe : 33g/kWh de CO2 au lieu de 105 pour l’électricité, 222 pour le Gaz et 466 pour le fioul.

Comparaison

Ce bon résultat s’explique par le fait que le CO2 émis pendant la combustion du bois l’aurait été également si l’arbre était tombé et s’était décomposé au sol (sous forme de méthane), donc sa combustion ne produit pas de CO2 supplémentaire.

Par ailleurs, les nouvelles normes ont permis une très forte réduction des particules émises par rapport aux anciens poêles (grâce à un rendement supérieur à 80%, un système de double combustion qui brûle les gaz imbrûlés). De plus, la technique de l’allumage par le haut (on met les bûches en bas, puis du petit-bois au-dessus) permet une réduction supplémentaire des émissions de particules, car comme pour une voiture, les pics d’émissions ont lieu au démarrage et quand on accélère fortement.

Pour le poêle à bois, c’est lorsque la combustion se fait à basse température, à l’allumage ou lorsqu’on rajoute une bûche. L’allumage par le haut permet de monter en température le foyer avant de commencer à brûler les grosses buches.

En synthèse, on peut dire que dans mon cas, pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de CO2, l’isolation du toit et des fenêtres a eu un effet majeur, et que le reste de l’effet est principalement dû au changement de source d’énergie : pompe à chaleur, solaire pour l’eau chaude et l’électricité et surtout, le bois.

Cela rejoint ce que disait Jean-Marc Jancovici (même si je ne partage pas tous ses points de vue): l’argent dépensé depuis des décennies par l’Etat pour isoler les logements (qui n’a presque pas eu d’impact) aurait permis de remplacer toutes les chaudières au fioul de France par des pompes à chaleur (air/eau, haute température), gratuitement pour leur propriétaire, ce qui aurait eu un impact majeur sur les émissions de CO2.

La priorité aujourd’hui pour limiter les émissions et le recours au gaz russe, est donc de focaliser les aides publiques sur le remplacement des chaudières gaz et fioul par des pompes à chaleur ou chaudières bois, en aidant les plus précaires en prenant en charge l’investissement, et en obligeant les autres à les changer dans un délai raisonnable. C’est la direction prise actuellement par l’Etat, mais elle pourrait être renforcée.

Nota bene

Il est évident que le chauffage au bois n’est pas une solution à généraliser. Tout le monde ne peut pas stocker les bûches, n’a pas forcément l’envie ni la disponibilité pour manipuler des stères de bois. L’impact sur la forêt serait d’ailleurs trop fort… Mais cela reste une solution intéressante à petite échelle. Les chaudières à granulés (qui se développent énormément actuellement, car elles offrent le même niveau de confort qu’une chaudière gaz/fioul ou pompe à chaleur) sont aussi une solution intéressante… à condition notamment de ne pas importer les granulés d’Amérique du Nord !
Bon, je vous laisse, je vais remettre une bûche dans mon poêle !

  1. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 12 mars 2022

    Merci beaucoup pour ce développement, et je serais bien en peine d’y apporter contradiction si cela s’imposait.
    Si j’ai bien suivi, vous avez également répondu à ma question à propos des méthaniseurs. Il vaut mieux récupérer les déchets organiques et les mettre dans un méthaniseur pour récupérer le méthane résultant et le brûler en émettant du CO2.
    Reste la question de fond : ne vaudrait-il pas mieux encore éviter tout rejet de GES dans l’atmosphère ?
    C’est peut-être beaucoup demander.

  2. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 11 mars 2022

    Pour une fois, on échappe aux grandes idées. Merci François Levy pour ce témoignage personnel. C’est du direct.

    Je suis quand même resté en arrêt devant cette phrase :
    « …Le CO2 émis pendant la combustion du bois l’aurait été également si l’arbre était tombé et s’était décomposé au sol (sous forme de méthane), donc sa combustion ne produit pas de CO2 supplémentaire. »

    À ma connaissance, le méthane est un gaz à effet de serre (GES) beaucoup plus efficace que le CO2. Mais je n’ai pas lu que le cycle du CH4 dans l’atmosphère produise du CO2. Par contre, il est vrai qu’il disparait beaucoup plus vite de l’atmosphère que le CO2.

    Alors, vaut-il mieux le brûler et émettre du CO2 ou bien le laisser s’échapper tranquillement ?

    Je me suis posé la même question à propos des méthaniseurs, très en vogue aujourd’hui.
    Quand on fait le bilan radiatif sur une période assez longue pour être significative, est-il plus favorable d’utiliser le méthane comme combustible (donc production de CO2), ou bien vaut-il mieux le laisser aller… au gré des jours et des vents ?

    • François Levy François Levy Auteur de l’article | 11 mars 2022

      En effet, pour être plus précis, le bois tombé au sol se décompose sous l’effet notamment d’insectes et de micro-organismes (qui respirent, donc émettent du CO2) et la fermentation des débris produit du CH4 (comme dans un tas de fumier). Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme…
      L’effet de serre du méthane est nettement plus puissant que celui du CO2, mais se dégrade au bout d’une douzaine d’années (contre une centaine pour le CO2). Pour reformuler votre question, vaut-il mieux que le bois se transforme par combustion en CO2 (pour 100 ans) ou par décomposition en méthane (pour 12 ans) ?
      Il est un peu compliqué de répondre à la question, mais beaucoup plus simple de regarder la réponse donnée par le GIEC, qui a calculé le PRG, pouvoir de réchauffement global qui prend justement en compte la durée séjour considérée : (en général on retient un PRG de 25, la valeur pour 100 ans qui est la durée de persistance du CO2)

      PRG du Méthane selon la période considérée :
      20 ans : 72
      100 ans : 25
      500 ans : 7,6

      La réponse est donc que le méthane est nettement pire que le CO2, quelle que soit la durée considérée.
      Donc on pourrait même dire que brûler du bois contribue à limiter les émissions de GES par rapport à laisser le bois pourrir. Mais, bien-sûr, il faut d’abord le laisser pousser dans la forêt suffisamment longtemps pour qu’il capte le CO2 pendant sa croissance, et ne le couper que quand il est à la fin de sa vie.

      • François Levy François Levy Auteur de l’article | 12 mars 2022

        Petit complément avec mes souvenirs de chimie :

        1 atome de carbone présent dans le bois va donner 1 molécule de C02 en brûlant ou 1 molécule de CH4 en se décomposant.
        La masse atomique du Carbone est 12, de l’oxygène : 16 et de l’hydrogène : 1.
        Donc la masse atomique du CO2 est de 12 + (16 x 2) = 44, celle du CH4 de 16, soit 2,75 fois moins.
        Donc une quantité identique de bois donnerait 2,75 fois moins (en masse) de méthane en se dégradant que de C02 en brûlant.
        Donc l’impact global sur le réchauffement climatique de la combustion du bois est 25/2,75 = 9 fois plus faible (à l’horizon de 100 ans) que si le bois s’était décomposé.

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