En décembre dernier, France Stratégie a publié une note sur la rentabilité économique des rénovations énergétiques des logements. La motivation de cette réflexion est annoncée dès le début de la note : Afin de se conformer aux objectifs de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), il s’agirait, selon
le Haut Conseil pour le climat, de passer d’environ 70 000 rénovations globales effectuées annuellement (en moyenne sur la période 2012-2018), à 370 000 par an après 2022 et 700 000 par an à partir de 2030.
L’un des freins connus à cet objectif est appelé « effet rebond » : la plupart des ménages habitant un logement (très) mal isolé chauffent mal leur logement, parce qu’ils n’en ont pas les moyens techniques (la chaudière n’est pas assez puissante) ou financiers. Résultat, quand ils effectuent des travaux, le gain financier est souvent (beaucoup) plus faible qu’attendu, parce qu’ils préfèrent d’abord améliorer leur confort thermique.
France Stratégie a donc imaginé un mécanisme pour limiter cet effet rebond et dépasser la répugnance ou la difficulté des propriétaires à mobiliser l’épargne nécessaire aux travaux : mettre en place un organisme qui prendra en charge le coût des travaux et se fera ensuite rembourser chaque année 75 % du gain financier théoriquement attendu (méthode censée limiter l’effet rebond). C’est sur cette base qu’il a fait faire une étude visant à évaluer quelle part du parc actuel serait rentable économiquement à rénover. L’étude ne porte que sur les résidences principales du parc privé (il n’inclue donc pas les logements sociaux), soit environ 22 millions de logements. Le tableau ci-dessous donne la composition du parc (y compris logements sociaux) selon leur classement thermique en 2018. Un tiers de ce parc est classé en D, un quart mieux que D et le reste moins bien.
France Stratégie a pris comme hypothèses que 30 % du coût des opérations était subventionné et que les éventuelles chaudières au fuel (les plus polluantes) étaient remplacées par d’autres moyens.
Il a fait différentes hypothèses, en particulier sur l’objectif de rénovation : viser un classement C, B ou A. D’autres hypothèses ont été faites, notamment sur le taux d’intérêt.
Quel que soit l’objectif (rénovation vers A, B ou C), aucune opération (ou presque) n’est rentable en 10 ans. Avec l’objectif de référence (donc au cœur de la fourchette des différentes simulations), l’opération est rentable pour 28 % du parc si on vise un classement en A, pour 56 % du parc si on vise un classement en B, pour 72 % du parc si on vise un classement en C.
On ne peut que conclure des résultats de cette étude que les conditions économiques ne sont actuellement pas réunies pour une rénovation complète du parc à l’horizon 2050.
Quelles conditions économiques à plus de rénovation ?
Pour quelle raison un objectif de société important (ici lutter contre le réchauffement climatique) ne peut-il pas être atteint économiquement (alors qu’il peut l’être techniquement) ? Pour les économistes, l’explication est simple : l’opération de chauffage ne supporte pas les coûts liés à l’émission de gaz à effets de serre : on parle d’externalités (parce que les coûts sont supportés par d’autres) négatives (parce que ce sont des coûts, on peut imaginer des externalités positives).
La conclusion des économistes est que le meilleur moyen pour que les acteurs économiques prennent des décisions compatibles avec l’ensemble des besoins (ici celui de limiter les émissions de GES) consiste à « internaliser « ces externalités : dans le cas qui nous occupe, c’est le rôle dévolu à la taxe carbone. Elle est par exemple préconisée par Olivier Blanchard (chef économiste et directeur des études au Fonds monétaire international de 2008 à 2015) ou Jean Tirole (prix Nobel d’économie). Les mêmes proposent d’utiliser une partie du produit de la taxe pour compenser le coût pour les ménages les plus modestes. Ils estiment aussi que la taxe doit être augmentée progressivement, selon un calendrier annoncé à l’avance et permettant aux acteurs de prendre des décisions éclairées.
L’État peut aussi jouer sur deux autres leviers : la réglementation (norme pour les nouvelles constructions ou interdiction de louer une passoire thermique par exemple) et les subventions (ma Prim’rénov par exemple, ou déductions fiscales).
Évolution historique des émissions dues au logement
Les émissions de GES liées au chauffage domestique, à l’eau chaude sanitaire et à la cuisson (les statistiques portent sur l’ensemble) varient d’une année à l’autre en fonction de la plus ou moindre rigueur des hivers. L’ensemble est clairement à la baisse, ce qui montre qu’il y bien un effet des opérations d’isolation. Le volume maximal a été atteint en 2004 avec 66Mt CO2e émises (plus de 60 Mt chaque année de 1996 à 2006), puis le volume a baissé, sous la barre des 50 Mt depuis 2014, avec un minimum à 41 Mt en 2019.
Éléments de coûts utilisés
J’ai retenu deux tableaux, parmi ceux présentés dans la note. Le premier donne des éléments de coûts de rénovation : elle est à multiplier par la surface de l’enveloppe du logement. On comprend aisément que le coût au m2 habitable puisse être plus faible en collectif (puisque le rapport surface de l’enveloppe/surface du logement est plus faible). J’imaginais des coûts plus élevés.
Le deuxième tableau donne le taux de subvention. CEE signifie « certificats d’économies d’énergie ». Comme on le voit, tous les particuliers peuvent bénéficier d’une aide, mais le taux de celle-ci dépend de leurs revenus.
Vous écrivez : « …l’État aurait pu changer TOUTES les chaudières fioul de France… »
Ce conditionnel est-il vraiment opportun ?
Au rythme auquel se font les rénovations énergétiques et changements de systèmes de chauffage, on peut penser qu’une telle politique peut encore être mise en place, moyennant sans doute quelques aménagements, en obtenant à la fin du compte un bilan tout à fait positif.
L’envol actuel des prix des combustibles fossiles est même de nature à inciter l’État à étudier cette solution de manière tout à fait sérieuse. Quand j’écris « sérieuse » je pense en priorité à notre futur exécutif.
Dès son introduction, Gérard pose clairement le cadre de son analyse : une note de France Stratégie sur la rentabilité économique des rénovations énergétiques.
On n’est donc pas vraiment dans la recherche d’une optimisation au regard d’une consommation d’énergie, ni d’une diminution de production de gaz a effet de serre (GES), quoi qu’il en coûte !
Ici, on veut profiter au mieux d’une manne publique pour valoriser son bien. Au passage, on peut faire quelques économies sur sa facture de chauffage et c’est toujours ça de pris.
Tiens, puisque je parle de prix… oui, je sais, c’est facile, la démonstration de François reste-t-elle valide quel que soient les prix des énergies (électrique, gaz, bois, etc.) ?
C’est justement le point que soulevait Jancovici (de mémoire) : il regrettait que « la manne publique » ait plus profité à la valorisation des habitations, alors que l’objectif premier aurait dû être la diminution des GES (et d’ailleurs, c’était l’objectif qui était affiché).
Et pour atteindre cet objectif de réduction des GES, les aides à l’achat d’une chaudière gaz (au prétexte qu’elle est 10 ou 20% plus performante) sont une aberration quand, avec le même argent, l’État aurait pu changer TOUTES les chaudières fioul de France par des pompes à chaleur, qui auraient réduit d’environ 90% (par rapport au fioul) les GES, et ce gratuitement pour les propriétaires.
A la place on a aidé certains propriétaires (en général, ceux qui avaient les moyens de financer le reste à charge) à améliorer leur logement, sans que les émissions ne baissent.
[…] Gérard Bardier dans Coûts de la rénovation énergétique de logements […]
Deux observations : le tableau 1 indique une relation quasi linéaire entre le statut énergétique initial du logement et son statut final. Je suis surpris. Je m’attendrais à ce que faire passer un logement en G vers A ou en F vers A corresponde à des coûts quasiment identiques. Une explication de cette linéarité est nécessaire.
Le tableau 3 indique que 60% du coût des travaux est couvert par les primes. L’intitulé de ce tableau est très insuffisant car prenant l’hypothèse d’un logement de 100 m2 (proche de la médiane des surfaces des logements isolés en France) qui voudrait passer de la catégorie F à A, le tableau indique un coût de 382 x 100 = 38 200€. Si le taux de couverture par MaPrimRenov + CEE est pour un ménage « très modeste » de 61%, on devrait avoir une subvention de 23 000 € soit 230 € par M2.
MaPrimRenov’ atteint environ 6000 €. Les CEE « Coupe de pouce rénovation performante » atteignant, pour les ménages modestes (revenus inférieurs à 37 739 € par an en IdF), 350 € par MWh « de consommation conventionnelle annuelle d’énergie finale économisée, après travaux. » soit, si on passe de F à A soit 370 kWh/m2an à 70 kWh/m2/an on économise 300 kWh/m2. an soit pour 120 m2 36 MWh. La subvention est alors de 36 x 350 = 12 600 €. Avec MaPrimRenov on atteint un peu plus de 18 000 € soit 47% du montant des travaux. On est assez éloigné des résultats du tableau 1 qui, du coup, gagnerait à être détaillé dans son mode de calcul !
Il est urgent de sortir des à-peu-près et d’établir une liste de cas type réels assez large pour que chacun puisse les mettre au regard de sa situation et, surtout, de les confronter à des devis réels de travaux exécutés dans nos communes. Le coût des travaux n’est pas le même partout !
Merci François de ces commentaires
La manière dont les tableaux sont construits n’est pas précisée dans la note
Le tableau 1 est donné comme ayant pour source le Cired et le tableau 3 comme source France Stratégie (calculs avec les données de l’ANAH)
Article très clair
Petite précision concernant l’étude de France Stratégie (nous avions eu la chance d’accueillir l’auteur de l’étude lors du Forum de la Rénovation) qui est très intéressante mais nécessite d’avoir un fonds ou une ligne de garantie pour être mise en œuvre. En effet, si les économies ne sont pas au rdv (malfaçon ou mauvais usage du logement) le modèle ne tient pas. Or, l’Etat ne souhaite pas « couvrir » ce financement, bigrement intéressant, par le FGRE (Fonds de garantie rénovation énergétique) qui est utilisé pour l’EcoPTZ… malgré les demandes portées par la ville de Sceaux dans le cadre du Parcours de Rénovation Energétique Performante.
C’est vraiment dommage car cela pourrait vraiment accélérer les travaux de rénovation avec un impact considérable sur l’environnement (une maison de 100 m2 qui passe de l’étiquette F à B permet d’économiser 6 tonnes par an de GES !) et sur l’amelioration du niveau de vie (prix de la consommation d’énergie divisé par 3 ou 5.