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Ça bouge à la Butte

La Butte Rouge c’est 70ha soit environ 40% de la surface du parc de Sceaux. Pas loin de la moitié. Elle est à Châtenay-Malabry autant dire tout à côté. Un grand projet de rénovation de ce vaste quartier populaire est en cours et l’enquête d’utilité publique arrive à son terme. Qu’en est-il de ce projet de grande ampleur à moins de 3 km de chez nous ?

Une innovation sociale des années 30

La Cité Jardin de la Butte Rouge est un ensemble immobilier qui se situe à la limite sud de Chatenay, en bordure de l’A86, la forêt de Verrières se trouvant juste derrière. Sur 65 hectares, on y trouve 3300 logements, pour 9000 habitants (en 2017, la ville de Châtenay-Malabry comptait un peu plus de 15.000 logements et 33.000 habitants). Créée par ce qui était l’équivalent d’un Office public de l’habitat, celui de la Seine, elle est considérée comme un modèle d’aménagement, au point qu’une page complète de Wikipédia lui est consacrée et qu’elle est labellisée patrimoine du XXe siècle. A noter que Wikipédia parle de 4000 logements, en incluant probablement une zone non affectée par le projet, la cité des peintres et ses 500 logements.

La construction s’est faite en 6 tranches (1931-1932, 1935-1939, 1948-1950, 1955, 1958-1960). Des travaux importants de rénovation ont été menés en 1985. La Cité fait coexister des logements individuels, des logements collectifs de petites tailles (2 ou 3 niveaux) et d’autres un peu plus élevés. Elle était la propriété de Hauts-de-Seine Habitat jusqu’en 2018, date à laquelle elle a été transférée à la coopérative Bièvres Habitat. Le but, d’après Wikipédia, était de permettre à cette dernière d’atteindre les 10.000 logements exigés par la loi Élan. Le site de Bièvres Habitat n’en parle pas. Il faut dire que dans la page publication, le dernier rapport annuel date de …2014 !

Le quartier se trouve en bordure de la D986 (Avenue de la division Leclerc sur Châtenay), sur laquelle un tramway (T10) est en cours de construction. Ce dernier devrait relier La Croix de Berny (ligne B du RER, à Antony) à Clamart et, à terme, à une station de la future ligne 15. La vitesse commerciale espérée est de 19 km/h.

Les bénéfices attendus de la rénovation

Le document de présentation énumère d’abord les points qui justifient la remise en cause du P.L.U. :

> les conditions et le cadre de vie des habitants fortement dégradés;
> l’humidité, le manque d’isolation thermique et l’absence d’isolation phonique des logements;
> l’exiguïté des appartements demeurés aux normes d’origine : des 3 pièces de 49 m², des chambres de moins de 9m²; leur manque de fonctionnalité: des salles d’eau attenantes aux cuisines;
> le déséquilibre dans l’offre de logements en termes de typologie : sur 3300 logements, moins de 50 logements de type F5, la majorité étant des 2 et 3 pièces;
> l’accessibilité difficile des immeubles pour les familles ayant de jeunes enfants et leur inaccessibilité pour les personnes à mobilité réduite par l’absence d’ascenseur, de rampe d’accès.
> le verdissement et les dégradations des façades.

Mais plus globalement la Cité-jardin souffre :

> d’une situation insulaire, enchâssée dans la forêt de Verrières et isolée du reste de la ville du fait de son éloignement des transports en commun et d’un maillage de rues peu hiérarchisé ;
> d’une quasi-exclusivité de logements sociaux (98%) majoritairement de petite taille qui ne répondent pas à aux standards actuels et aux besoins des familles.
> d’une attractivité résidentielle déclinante : beaucoup d’offres de logements sont refusées (plus d’un tiers en 2014) ;
> d’une offre de places de stationnement insuffisante et exclusivement de surface, dénaturant les cœurs d’îlots paysagers, saturant les trottoirs et rendant la circulation piétonne dangereuse.

Fort de ce diagnostic, le projet de P.L.U. propose plusieurs types de rénovation :

  • Protection stricte quand les bâtiments repères sont rénovés strictement dans le respect des principes d’origine : zone en rouge sur le plan
  • Protection forte quand certaines adaptations de façades extensions ponctuelles ou surélévations partielles sont permises : zone en gris clair sur le plan, ou en bleu (pour les maisons individuelles)
  • Démolitions- reconstructions sur la même emprise : zone en vert sur le plan
  • Modification partielle possible du plan de masse en préservant « le sentiment d’unité et l’homogénéité du langage Cité-jardin » : zone entourée d’un trait vert
  • Modification complète possible du plan de masse : zone entourée d’un trait orange

Un coup d’œil au plan permet d’observer que la proportion des bâtiments bénéficiant d’une protection stricte ou forte est finalement relativement faible (bien voir que les immeubles cerclés d’oranges ou de jaunes seront détruits).

Les modifications proposées permettent d’envisager de passer de 3300 à 4200 logements, tout en augmentant le nombre de F4 ou de F5 et la taille des pièces : il faut bien trouver les m2 quelque part, en particulier par le passage à une limite de 15 m de hauteur.

Alors que 98 % des logements actuels sont des logements sociaux, le projet prévoit d’en réduire la part à 40 % pour offrir 20 % de logements intermédiaires et 40 % de logements en accès libres.

Des opposants sur les dents

L’enquête publique a été ouverte du jeudi 10 décembre 2020 à 9h00 au lundi 11 janvier 2021 à 17h30. Le dimanche 10 janvier, il y avait déjà plus d’un millier d’observations, et il y en avait près de 1600 à la fin de l’enquête. Une bonne partie a été déposée les derniers jours, en raison d’une mobilisation importante contre le projet : 273 observations ont été ainsi déposées le 9 janvier et 130 le 8 janvier, quasiment toutes contre le projet. A noter qu’elles ne sont plus accessibles maintenant, ce dont on ne peut que s’étonner.

Il faut dire que le projet a fait l’objet de deux articles du Monde, d’un article du Parisien et d’un de Libération s’inquiétant de la disparition d’un élément historique de patrimoine. Le Figaro et le Canard enchainé s’en sont fait l’écho et deux émissions l’ont évoqué sur France Culture .

Beaucoup d’observations sont très courtes et se résument à un avis défavorable. Les plus longues pointent en particulier l’aspect patrimoine culturel et l’aspect social. Quelques-unes plus détaillées reviennent sur l’historique : en 2017, il avait été prévu (suite à un appel d’offres de Hauts de Seine Habitat) de faire des essais de rénovation sur trois îlots puis d’en faire le bilan. Mais la mairie n’a pas voulu en attendre les résultats. D’autres portent sur l’aspect environnemental : risque d’abatages de nombreux arbres, bilan carbone déplorable en cas de démolition reconstruction (il semble que les logements soient classés en « E », à la suite d’efforts d’isolation faits en 1985. Ce ne sont pas exactement des passoires thermiques, mais on n’en est pas loin).

A écouter des élus de l’opposition municipale, le diagnostic mis en avant par la mairie ne dit pas tout.

  1. La question de l’humidité ne concerne qu’une partie des logements. Elle est le résultat d’erreurs dans les travaux d’isolation faits entre 1985 et 1995, par l’extérieur et en bouchant les ventilations : cette question aurait du être traitée depuis longtemps dans le cadre de l’entretien courant
  2. C’est d’une absence totale de mixité sociale dont il faut parler : tous les logements sociaux sont à des loyers PLAI (les plus bas). De fait, c’est un quartier de grande pauvreté (comme le prouvent les analyses de l’Insee). C’est le résultat de décisions du pouvoir socialiste dans les années 80 qui a nivelé par le bas, alors qu’auparavant il y avait une réelle mixité sociale à la Butte Rouge car on y trouvait tous les niveaux de loyer des logements sociaux.

Les six élus d’opposition ont récemment écrit aux différents préfets concernés (92 et région), au président du territoire Vallée Sud, au président de Bièvre Habitat et au maire. Ils s’étonnent notamment que le sujet ait fait l’objet d’un vote en conseil municipal le 17 décembre, alors que l’enquête publique n’était pas terminée. Ils font une analyse développée de la problématique sociale, en notant que le projet conduit à diminuer de 1720 le nombre de logements sociaux sans préciser comment les personnes concernées seront relogées dans des conditions financières adaptées à leur profil, et qu’il n’y a que des réponses vagues sur la manière dont ces logements seraient remplacés ailleurs. Ils évoquent aussi les questions patrimoniale et environnementale.

La vie quotidienne

Parmi les observations déposées dans l’enquête publique en janvier, les plus nombreuses semblent venir d’observateurs extérieurs. Celles déposées en décembre, environ 160, reflètent mieux le point de vue des habitants de la ville, et aussi celles des habitants de la Cité jardin. On y trouve aussi un meilleur partage entre des opinions favorables, certes minoritaires, mais clairement présentes, et les opinions défavorables.

Les opinions de ceux des habitants qui se sont exprimés confirment des éléments du diagnostic sur l’état intérieur des logements. Ils mettent notamment le doigt sur l’humidité omniprésente, l’organisation complexe des lieux (accès à la salle d’eau par la cuisine) et la difficulté de chauffer. La présence de rats est évoquée plusieurs fois. Le climat social est parfois évoqué (des incivilités trop nombreuses sont déplorées). Certains mettent des photos à l’appui de leur dire. On aurait du en trouver quelques-unes ci-dessous.

Ces habitants se déclarent pour beaucoup favorables au projet. Ils ont compris, à tort ou à raison, que celui-ci vise à traiter les problèmes qu’ils vivent au quotidien. Mais il ne serait pas difficile de leur faire donner leur accord à tout projet conduisant à agir, mais avec d’autres modalités sociales notamment. En revanche entre les enjeux de « préservation d’un patrimoine architectural unique » et ceux d’amélioration de la vie quotidienne, on ne sera pas étonné de comprendre que leur choix est pour le second terme (à quelques exceptions près). Il semble que les élus de l’opposition l’aient bien compris, qui actent le besoin de rénovation, mais pointent les nombreuses approximations et ambiguïtés du projet.

Car c’est sans doute le vrai problème du projet : il s’agit de donner carte blanche à une profonde transformation du quartier, sans plus de précisions.

Les habitants se bercent probablement d’illusions s’ils croient qu’une rénovation rapide va leur permettre de mieux vivre sur place demain : d’une part ce sera forcément très long, d’autre part la plupart des travaux demanderont que les logements soient vides…

Un potentiel

La Gazette de Sceaux, qui est allée sur place, a rapporté quelques photos. Elles montrent qu’il ne s’agit pas d’un quartier dégradé, comme on peut en voir ailleurs, du moins pour ce qui est de l’extérieur des logements. On comprend aussi comment un tel quartier complètement refondu pourrait devenir attractif pour des acheteurs de logement en accès libre, avec l’arrivée du T10 en prime. Une augmentation de la population autour de Sceaux impacterait inévitablement le trafic sur les voiries. Donc programme à suivre.

  1. François Brun François Brun 17 mai 2021

    En accord avec Mr Bardier, il m’apparait évident que les maux principaux dont souffrent ces ensembles de logements est le manque d’entretien en même temps, et je suis d’accord avec lui sur ce point également, sur le manque d’attention dans la politique de loyer et d’attribution.

    Le manque d’entretien. Jusqu’à aujourd’hui, très nombreux étaient les ensembles immobiliers à vocation sociale qui n’avaient bénéficié d’aucun entretien sérieux. Construits à la fin des années 50, certains sont restés en l’état, sans rénovation ni entretien pendant 60 ans. Les enrobés sur les trottoirs étaient ceux qui avaient été posés en 1960. La responsabilité des bailleurs est grande dans la déshérence qu’ils connaissent.
    De nombreux logements intermédiaires ou même de « standing » ont été construits au cours des années 60. Les techniques constructives n’étaient pas différentes. L’attention dont ils ont fait l’objet, notamment quand c’étaient des copropriétés, a fait que dans la plupart des cas ces immeubles sont considérés aujourd’hui comme en bon état et personne n’aurait l’idée de les démolir en les considérant inhabitables.
    Les immeubles de la Butte Rouge ont été construits pour les premiers dans les années 30 mais elle s’est étendue jusque dans les années 50. Il est sur que les normes ont évolué et que l’exigence de surface n’est pas la même aujourd’hui que ce qu’elle pouvait être il y a 90 ans mais ne saurait-on pas les reconfigurer, joindre deux petites surfaces pour en faire une grande ?
    Bref, il est certain que ce projet est destiné avant tout à évincer une population qui fait « tâche » dans le tableau phantasmé d’une droite qui considère sans l’avouer que les classes populaires n’ont rien à faire chez elle.

  2. Gérard Bardier Gérard Bardier Auteur de l’article | 19 janvier 2021

    De ce que j’ai pu lire dans quelques commentaires qui abordaient ce sujet, les logements sont classés en E, à la suite des travaux menés de 1985 à 1995. Il est assez peu probable que d’un simple point de vue « émissions de CO2 » l’opération de démolition / reconstruction soit rentable
    extrait d’un commentaire :
    Par ailleurs, l’état actuel de la cité jardin vient essentiellement d’un abandon d’entretien caractérisé. Il serait plus écologique de rénover les immeubles en conservant les bâtis plutôt que de démolir / reconstruire intégralement

  3. Herrenschmidt Herrenschmidt 19 janvier 2021

    Parmi tous les arguments mis en avant pour réagir contre ce projet il en manque un, peut-être le plus important en ce début de 21e siècle, pour lequel un objectif central a été fixée à 2050 : Zéro émission nette de gaz à effet de serre (GES).

    La seule question désormais qu’il faut se poser en priorité avant toute décision de cette nature : le projet envisagé sera-t-il plus ou moins producteur de GES que toute autre solution ?

    Ici, l’autre solution, défendue par de nombreux acteurs et animateurs de la vie civile et citoyenne est de procéder à la réhabilitation de cet ensemble de la Butte rouge, plutôt que sa destruction et son remplacement par des habitations aux conditions d’accès plus modérées du tout.

    Il faut donc obtenir des promoteurs de cette opération aux intérêts on ne peut plus immobiliers, de produire un état comparatif de la production de GES par les deux solutions : réhabilitation ou bien démolition et reconstruction. Le choix retenu devra être celui de la solution qui annonce le bilan le plus favorable, c’est-à-dire celui de la plus faible injection de GES dans l’atmosphère sur la période 2021-2050. Il sera toujours temps, à la mitan du siècle, de se reposer la question de l’avenir de cette cité.

    Où alors, il faudra trouver un moyen de faire dire aux décideurs de cette opération que les objectifs de la COP 21 ne les concernent pas et que le maintien d’emplois et l’optimisation de leurs profits financiers passent devant l’intérêt général.

    Cette remarque faite à propos de la Cité jardin de la Butte rouge, se pose exactement de la même façon pour toutes les opérations de réhabilitation envisagées au nom de l’amélioration de l’habitat et surtout de la conformités aux nouvelles règles d’isolation thermique du bâti. Pour ce dernier aspect, on a beaucoup trop l’impression que les objectifs affichés que sont la « fin des passoires thermiques » ou la création « d’immeubles à énergie positive », font l’impasse sur le bilan réel de production de GES au profit du maintien d’emploi dans des activités de fait fortement carbonées.

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