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Démarches participatives : réalités et limites

Devant la montée de l’abstention électorale et de la défiance envers les politiques, certains proposent de nouvelles modalités pour mieux associer les citoyens. Mais il est difficile de trouver la solution magique et on découvre plutôt les limites des solutions envisagées.

Interrogations sur notre démocratie

Un récent sondage le montre une nouvelle fois : les Français n’ont pas confiance dans la classe politique. 68% des sondés ne font pas confiance au Président de la République. La personnalité politique recueillant le plus d’avis positifs (Édouard Philippe) n’en obtient que 42 %, nettement moins de la moitié. Derrière, c’est la Bérézina : le suivant n’est qu’à 33% (un sur trois !). Et on descend ensuite très vite en dessous d’un sondé sur quatre ayant un avis favorable.

Aux élections, l’abstention ne fait que monter : aux législatives, elle est maintenant supérieure à 50% (2017 et 2022). Aux Européennes de 2019, elle était de 50%. De 67% aux départementales comme aux Régionales de 2021.

L’anniversaire des 65 ans de la constitution de la Ve République a conduit Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel à décrire un « malaise démocratique ». De son côté, le Président Emmanuel Macron a évoqué les aménagements possibles de cette Constitution. À suivre.

Mais est-ce un problème constitutionnel, c’est-à-dire de répartition des pouvoirs ? La forte centralisation de notre pays joue peut-être un rôle, mais le problème existe aussi chez nos voisins moins centralisés. On avancera aussi que les problèmes de société sont de plus en plus complexes et n’appellent pas de solutions simples.

La montée de l’individualisme est certainement une des explications. Les questions collectives n’intéressent plus, sauf à l’aune de l’intérêt personnel.

Les élections municipales sont elles aussi touchées par l’abstention, mais dans une moindre mesure. En 2014, on observe 38% d’abstentions. En 2020, celles-ci dépassent 55% au premier tour et 58 % au second. Cependant la question du Covid rend très difficile l’interprétation de ce résultat.

Enquêtes publiques

Au-delà du vote, le citoyen a d’autres occasions de s’exprimer, par exemple à travers les enquêtes publiques ou les budgets participatifs.

La Gazette a rendu compte de trois enquêtes publiques : celle à propos de la Butte rouge à Châtenay-Malabry, celle à propos de l’aménagement du carrefour Charles de Gaulle à Sceaux et celle pour le prolongement du T10.

Une enquête publique portant sur la rénovation de la Butte rouge s’est déroulée du 10 décembre 2020 au 11 janvier 2021. Signalée par de nombreux organes de la presse nationale, elle a fait l’objet d’environ 1600 contributions. Cependant, d’après l’article de la Gazette, une grande part venait de l’extérieur de la ville, à la suite des articles dans les médias nationaux. Celles émanant de citoyens de la ville seraient d’environ 160, malgré l’engagement d’associations locales.

De son côté, l’enquête publique concernant l’aménagement du carrefour Charles de Gaulle a recueilli 98 observations écrites et une pétition de 225 signatures (certains pétitionnaires ont fait des observations écrites).

L’enquête sur le prolongement du T10, qui concernait plusieurs communes, a fait l’objet de six réunions publiques dans le cadre d’une démarche de concertation importante. Des responsables du projet ont rencontré 1000 personnes et recueilli 3000 avis écrits. La Gazette rapporte :

Une personne du public a noté que 3000 sur une population concernée estimée par Siffredi à 200.000 habitants, cela ne faisait que 1,5%. Les membres de CNDP et d’IdFM ont estimé que ce pourcentage était plutôt dans la moyenne haute.

Budget participatif régional

Depuis 2020, la région Ile de France « donne la possibilité à tous les Franciliens de devenir acteurs de l’environnement à travers son le Budget participatif écologique et solidaire ». La 5e édition, dont les résultats ont été publiés en septembre 2023 a permis de financer 838 projets sur les 929 présentés. On comprend qu’il est assez simple de réussir…

27.686 participants ont voté pour un ou plusieurs projets. À comparer aux 7.241.646 électeurs inscrits dans la région ou aux 2.408.336 votants lors du dernier scrutin.

L’Ile-de-France a ouvert à « toutes les personnalités morales sises en Île-de-France hormis les entreprises (associations, collectivités, etc.) » la possibilité de proposer jusqu’à 10 projets.

Il est précisé que l’accord de la commune où est prévu l’investissement est requis au moment de l’instruction. Les désaccords sont motivés par les communes et portés à la connaissance du candidat concerné. Cette modalité ouvre la possibilité à des municipalités d’empêcher le projet des associations qui ne leur conviennent pas. 

Sur les 838 projets lauréats, 360 émanent de communes. C’est ainsi que la ville de Sceaux a présenté 4 projets pour un total de 34.000 €. Ces quatre projets sont lauréats. Deux concernent le Fab/Lab et deux le vélo.

Autre exemple de commune, celle de La Chapelle Rablais, une commune de 908 habitants en Seine-et-Marne. Elle a 8 projets lauréats, pour un montant total de 69 k€. Tous les projets visent des économies d’énergie.

On note quelques projets de communauté de communes, d’établissements scolaires ou médicaux. Le reste est présenté par des associations plus classiques.

Nouvelle démocratie ?

On voit bien la limite de ces exercices qui ne mobilisent au mieux qu’un pour cent des électeurs. Des différents exemples cités, on comprend que ceux qui se mobilisent sont les plus engagés sur le sujet. Et souvent les plus tranchés dans leurs opinions. Rien ne prouve qu’ils soient représentatifs de la population.

Dans les enquêtes publiques, les opposants sont surreprésentés. L’exercice permet de connaître les raisons de leur opposition. Il en est de même de ceux qui sont favorables. Mais beaucoup de contributions sont très courtes. Il y a déjà ceux qui se contentent d’un « avis favorable » ou « avis défavorable ». Ceux qui disent « d’accord pour le prolongement du tramway qui me sera utile pour aller à mon travail » ou « contre la destruction de la butte rouge, patrimoine historique inestimable ».

En théorie, au-delà de quelques cas où l’enquête montre une opposition très large ou un problème nouveau et irrémédiable, le résultat le plus utile est celui de ce que certains appellent les conditions d’adhésion. C’est-à-dire les adaptations possibles du projet permettant une meilleure acceptabilité. Cela arrive.

L’exemple du budget participatif est différent, puisqu’au lieu de susciter les oppositions, il est organisé pour susciter des propositions et découvrir leur soutien. Mais là encore, on constate qu’il mobilise avant tout les plus militants. L’argent n’est pas utilisé pour développer la citoyenneté.  

La logique du projet

Les enquêtes publiques portent par nature sur des projets. Il en est de même pour les budgets participatifs.

On renforce ici une tendance puissante qui consiste à privilégier le financement des projets plutôt que le fonctionnement quotidien. On le voit dans la recherche, l’éducation, les hôpitaux… Le projet a aussi l’avantage de se prêter à des inaugurations et à de belles photos dans les médias.

Il a aussi l’avantage de mobiliser. Il conforte une tendance qu’observent toutes les associations : beaucoup de personnes sont prêtes à donner « un coup de main », voire plus, de manière ponctuelle.

Quelle solution pour la démocratie ?

Enquêtes publiques et démarche participative se révèlent généralement impuissantes à mobiliser au-delà de ceux qui participent déjà à la démocratie. Que faire alors pour élargir celle-ci, en particulier vers les abstentionnistes ?

Il est probable que c’est à travers le fonctionnement quotidien que s’acquièrent le sens du collectif, que s’apprennent les mécanismes de la démocratie. À cet égard, le mouvement associatif est particulièrement précieux. Au moins pour ceux qui vont au-delà de l’adhésion/consommation.

Autre aspect du problème : les responsables politiques (ou autres) ne peuvent espérer la confiance de leurs concitoyens si eux-mêmes manifestent leur manque de confiance envers les citoyens !  Le fonctionnement extrêmement bureaucratique et centralisé de la société française ne va pas dans le bon sens à cet égard

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