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Pourquoi la pauvreté ne baisse pas

On peut régulièrement lire les commentaires indignés de personnes constatant qu’il y a encore officiellement x% de pauvres dans le pays riche qu’est la France. On peut aussi noter que, si le revenu mensuel médian des pauvres est passé de 965€ en 2004 à 1041€ en 2017, la proportion de pauvres parmi les Français a augmenté dans le même temps de 12,7 à 14,1%.

Ces résultats, qui peuvent surprendre, s’expliquent par la définition de la pauvreté : un pauvre est une personne dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian. Il s’agit d’un indicateur relatif qu’on peut considérer comme plus révélateur du niveau d’inégalité que de la pauvreté absolue : la proportion de pauvres est plus importante dans un pays très inégalitaire que dans un pays très égalitaire, quel que soit le niveau de richesse de ces pays. Si les revenus de tous les habitants d’un pays étaient tout à coup multipliés par 2 ou 3 (ou n’importe quoi), on conserverait le même taux de « pauvreté », car les inégalités (la distribution des revenus) seraient les mêmes.

La manière dont est produit cet indicateur peut donner des résultats surprenants, si on se focalise sur le court terme et les faibles écarts dans le temps. Ainsi, après la crise de 2009, la baisse de revenus des classes moyennes a fait baisser le revenu médian, et du même coup le taux de pauvreté a baissé ! La situation a été inversée en 2016/2018 : la croissance économique a d’abord été favorable aux classes moyennes, ce qui a augmenté mécaniquement le taux de pauvreté. Le mieux est donc de ne pas faire preuve de myopie sur ce sujet ! On notera au passage, que le taux de pauvreté ainsi calculé dépend du revenu des classes moyennes et de celui des plus pauvres, mais pas du tout de celui des plus riches.

Une comparaison sur le temps long montre que la plupart des Français bénéficient de meilleures conditions de vie que Louis XIV, il y a seulement environ 3,5 siècles. Ils ont l’eau chaude courante, des toilettes confortables, une alimentation variée en toutes saisons, et bénéficient d’un système de soins sans commune mesure avec ce qu’a connu le roi Soleil (même si celui-ci fut opéré avec succès d’une fistule anale), lequel roi ne connaissait ni l’automobile, ni la télévision, ni même l’électricité. La définition utilisée pour définir les pauvres en France ne rend pas compte de cette évolution.

Dans le monde, la pratique générale est d’utiliser un indicateur de pauvreté absolu. Le plus connu est celui utilisé par l’ONU, avec son minimum de 1 dollar par jour. Le Canada et les USA utilisent aussi un indicateur absolu. L’Europe se distingue par son indicateur relatif, qui peut s’expliquer par son niveau élevé de développement.

Cette spécificité a conduit l’Europe à fixer un autre indicateur, dont l’objectif est de mesurer la pauvreté de manière absolue : depuis 2004, l’INSEE réalise une enquête sur la pauvreté à partir des conditions de vie. Cette enquête est actuellement la version française du système communautaire EU-SILC (European Union-Statistics on Income and Living Conditions). La France adoptera prochainement la méthodologie du système européen et suit donc pour l’instant les deux indicateurs, pour préparer le passage de l’un à l’autre.

Au sens de l’indicateur français, un ménage est considéré comme pauvre en conditions de vie s’il subit au moins 8 privations parmi une liste de 27 possibles regroupées en 4 dimensions : insuffisance de ressources, retards de paiement, restrictions de consommation et difficultés de logement. Chacun des 27 indicateurs correspond à la privation d’un élément de bien-être standard largement diffusé dans la population française (voir le détail de l’indicateur ici).

L’évolution de l’indicateur apparaît sur le graphique ci-contre. On notera que sur longue période la proportion de personnes concernées est en baisse, et que cette baisse globale est avant tout le résultat de deux périodes de dynamisme économique, 2004/2006 et 2014/2017, les périodes intermédiaires faisant apparaître au contraire une augmentation du taux.

Notons que l’indicateur européen, qui n’est mis en place que depuis 2014, suit la même tendance que l’indicateur français.

Pour en revenir à l’indicateur français et aux quatre dimensions de la pauvreté en « conditions de vie », on remarque sur le graphique ci contre que les insuffisances de ressources et les restrictions de consommation ont été assez stables de 2004 à 2018, tandis que les retards de paiement et les difficultés de logement ont baissé sur la période, d’environ 4 points chacun.  

Louis Maurin, économiste respecté et directeur de l’Observatoire des inégalités, écrit dans un article intitulé « Comment mesure-t-on la pauvreté en France ? »:

Il n’existe pas de mesure « juste » ou « objective » de la pauvreté. Comprendre ce phénomène implique même certainement d’utiliser différents outils qui se complètent plus qu’ils ne se concurrencent, car ils permettent d’éclairer les différentes formes que peut prendre la pauvreté. On pourra malgré tout regretter que, le plus souvent, le débat se concentre sur l’évolution de données sans toujours bien maîtriser de quoi il est question au fond, ce qui peut conduire à des contresens importants. Le travail sur la méthode est rarement séparable de l’analyse du contenu.

Il note également, à propos de l’indicateur de pauvreté :

Le choix du taux a un impact énorme : à 60 % du niveau de vie médian, on compte plus de neuf millions de pauvres ; à 50 %, on arrive à cinq millions. L’Observatoire des inégalités – comme l’OCDE – continue à utiliser le plus souvent (quand les données sont disponibles) le seuil de 50 %, car il estime qu’à 60 % on rassemble des populations trop différentes.

Pour aller plus loin

https://www.insee.fr/fr/statistiques/4238395?sommaire=4238781

https://www.insee.fr/fr/statistiques/5232141

https://blogs.worldbank.org/fr/opendata/pour-tout-savoir-sur-les-taux-de-pauvrete-relative-et-absolue

https://fr.wikipedia.org/wiki/Seuil_de_pauvret%C3%A9

https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2008-2-page-21.htm

https://www.insee.fr/fr/statistiques/5232139?sommaire=5232141

Revenus et patrimoine des ménages, édition 2021

  1. François Brun François Brun 7 juin 2021

    Il y a 1.88 million de ménages bénéficiaires du RSA socle sur un total de 24 millions de ménages (http://www.observationsociete.fr/revenus/evolutionminimas.html) . Le taux de non recours. Le taux de non recours au RSA serait de 36%. (https://www.aide-sociale.fr/non-recours/). Ceci fait qu’environ 2.6 millions de ménages seraient en droit de bénéficier de ces aides dont on conçoit facilement qu’en en bénéficiant, on fait partie des pauvres. Le nombre de bénéficiaires du RSA socle a augmenté passant de 1.8 millions à 1.88 millions entre 2017 et 2020. Ce nombre avait baissé de 1.9 millions à 1.8 millions entre 2015 et 2017.

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