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Travail des jeunes

Un récent reportage de France Bleu montrait une fille de 14 ans tenant la ferme de ses parents partis manifester. Aussitôt de bonnes âmes se sont scandalisées quand d’autres louaient le retour à la « valeur travail ». Comme souvent, le triomphe de la pensée binaire sur un sujet pourtant important.

Dans le reportage, on comprend que l’activité montrée est temporaire (pendant la manifestation) et à temps partiel (il y a l’école). Mais si la jeune fille peut la prendre en charge, c’est aussi parce qu’elle connait le travail, pour le faire régulièrement.

Le sens de la nuance dans les réseaux sociaux

Comme très souvent sur les réseaux sociaux, les jugements sont péremptoires. Exemples :

« Je ne sais pas ce qu’il y a de pire. Les parents qui font bosser une gamine de 14 ans. En faire un reportage laudatif. Les commentaires qui trouvent ça bien. Terrifiant. »

« Donc elle sacrifie sa vie sociale pour faire le travail de ses parents. »

« Ce qui choque c’est de voir une gamine gentille, équilibrée et heureuse, plutôt qu’un zombie avec un QI de 12 à force de passer sa vie sur Tik Tok, ce pays est fou. »

« Pas bien l’éducation pas bien. Bien tout casser à 1 heure du matin, bonne éducation, bien, pas terrifiant, bien. »

Une enfant de 14 ans n’a pas à travailler. Ceux qui, dans les commentaires, en font l’éloge et prônent la « valeur travail » ont un projet de société bien inquiétant.

Définir le travail

Un des intervenants précise les raisons de son opposition : Article 32 de la convention internationale des droits de l’enfant. L’exploitation économique des enfants est interdite.

Une explication qui amène plusieurs questions : peut-on parler d’exploitation quand cela se passe dans la même famille ? Et alors, que faut-il dire de la participation des enfants aux tâches ménagères ? Ou faut-il distinguer les activités participant à une activité marchande de celles n’y participant pas ?

Il y a quelques lustres, une polémique du même genre était née de la décision d’une école publique en Allemagne. Celle-ci voulait que les classes soient balayées par les élèves en fin de journée plutôt que par du personnel de service. Exemple plus local, une école élémentaire privée sous contrat où les enfants lavent la vaisselle après le déjeuner. Scandale pour un syndicaliste passant par-là : on fait travailler les enfants.

Mais compare-t-on des choses comparables ? Quand on parle d’exploitation économique des enfants, on pense à ces gosses de 6 ans qui travaillent 10 heures par jour à fabriquer des tapis en Asie ou à des enfants travaillant dans la mine au XIXe siècle. Des situations qui ne sont heureusement plus d’actualité en France.

La jeune fille dont parle France Bleu a 14 ans (une ado). Un âge où on pouvait encore commencer son apprentissage il n’y a pas si longtemps. Son travail à la ferme ne l’a pas empêché de continuer l’école et de faire ses devoirs, y compris les quelques jours d’absence de ses parents (il est vrai que le grand-père était là aussi).

Être exploité ou travailler pour soi ?

A la fin du XIXe siècle, quand l’école est devenue obligatoire, on a fixé de longues vacances d’été pour que tout le monde puisse se consacrer aux moissons ou vendanges, enfants de moins de 14 ans compris. C’était indispensable pour le fonctionnement de l’agriculture et, dans une France encore largement paysanne, pour l’acceptation de l’école obligatoire par les parents.

Depuis, le nombre d’agriculteurs a drastiquement diminué au point que leur mode de vie est ignoré par une grande partie de la population. Mais participer d’une manière ou d’une autre à l’activité de ses parents est une réalité connue par de nombreux enfants d’artisans ou de commerçants.

Demander à des collégiens de 11 ans de porter des cartables de 10 kg ou plus semble plus acceptable que de les voir contribuer à traire les vaches. 

Sous le couvert d’une protection légitime des enfants, ne retrouve-t-on pas le vieux non-dit éducatif français, selon lequel seules les activités dites intellectuelles sont nobles ?

Valeur travail ?

Ceux qui voient une exploitation scandaleuse dans le travail d’une ado exagèrent. Ceux qui célèbrent une « valeur travail » ont-ils raison pour autant ? A moins qu’ils ne veulent dire que tout travail mérite salaire ?

Ce qu’on voit à travers le reportage de France Bleu, c’est d’abord une ado à qui ses parents font confiance. Faire confiance est important pour qu’un enfant ou un jeune grandisse. C’est notamment cette confiance qui en a fait une jeune fille capable de prendre des responsabilités.  Une compétence qui lui sera certainement utile dans la vie.

Faire des adultes responsables est un enjeu majeur. Travailler pour financer ses envies est certainement une bonne manière d’être responsable. Mais cela ne signifie pas pour autant que ceux qui a un moment donné se retrouvent sans travail sont forcément des irresponsables.

Raison garder

Il n’est pas forcément inutile de s’interroger sur les activités que l’on demande à des enfants ou à de jeunes ados. Mais plutôt que de vouloir faire le tri entre ce qui est bien et ce qui ne l’est pas, il vaut mieux s’interroger sur les conditions et les limites. Qu’une jeune fille participe de temps en temps aux travaux de la ferme, pourquoi pas ? Tant que ce n’est pas au détriment de ses études, ce qui ne semble pas le cas ici.

Mais à l’heure où des pédiatres s’inquiètent du nombre de jeunes en souffrance psychique, voir une ado fière de se voir confier des responsabilités devrait plutôt être une bonne nouvelle.

  1. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 17 février 2024

    Quand j’étais jeune, j’allais à l’école. En sortant de l’école je rentrais à la maison et maman de disait : « va faire ton travail ».
    Quand l’heure du dîner approchait, elle me demandait : « as-tu fait ton travail? »
    Alors, papa rentrait du travail et nous nous mettions à table.
    Souvent il me demandait : « As-tu bien travaillé à l’école ».
    J’ai fini par comprendre que le travail c’était faire quelque chose plutôt que de bailler aux corneilles ou s’évader dans des rêves créateurs.

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