Salle pleine à l’ancienne mairie de Sceaux, la grande salle, jeudi 9 février. Maud Brégeon, la députée de la circonscription était la force invitante. Thème de la rencontre : les retraites. Les intervenants : Olivier Dussopt ministre du Travail et de l’Emploi et Éric Woerth, questeur à l’Assemblée nationale et ancien ministre. La soirée fit large place au dialogue avec un public qui n’avait pas la langue dans sa poche. Mais échange respectueux et de haute tenue. Le contraire du spectacle que donnent trop souvent les débats politiques.
Financer
Eric Woerth donne le ton. La réforme est impopulaire, il le sait. Il veut pourtant montrer qu’elle est nécessaire. Olivier Dussopt s‘expliquera ensuite sur les relations au travail, tandis que Maud Brégeon accompagnera son animation du débat d’exemples personnels. Cet article tente de restituer leur démarche. D’autres viendront peut-être qui développeront des positions alternatives.
La démarche des ministres donc. Le système par répartition réclame son financement. Un financement durable. L’équilibre financier du système réclame 20 milliards d’euros par an. Le nombre d’actifs par retraité sera d’environ 1,4 en 2030. C’est peu. On ne cotise pas pour soi, mais pour les générations précédentes, c’est le principe de la répartition.
La réforme porte sur les deux critères permettant le départ en retraite : la durée de cotisation et l’âge minimum d’ouverture des droits de 64 ans, hors carrières longues et régimes spéciaux. Les 2 sont nécessaires, insiste Eric Woerth. On ne peut pas abandonner l’idée d’âge. Pour Olivier Dussopt, la seule durée de cotisation ne générerait pas d’argent assez vite, à moins d’augmenter très vite le nombre de trimestres, ce qui serait mal vécu.
Et c’est parce qu’elle soutient le système par répartition que la réforme n’est pas seulement comptable, mais aussi humaine. Son humanité est dans sa justice. D’autant que la pénibilité et les carrières longues sont déjà prises en compte. 40% des Français liquident leurs droits avant l’âge minimum.
La perception négative
Les dépenses de retraite s’élèvent à 330 milliards d’euros, soit 1/4 de la dépense publique. La France a un des systèmes les plus redistributifs et ça ne satisfait pas encore. Le pays amortit considérablement les écarts sociaux.
Les inégalités existent, mais elles sont de natures variées. A côté de la pénibilité des ouvriers et des artisans de métiers difficiles, comme ceux du bâtiment, il existe bien d’autres situation : ainsi, les hommes par rapport aux femmes ; le nord par rapport au sud où on vit plus longtemps, les jeunes qui veulent entrer sur le marché du travail, les seniors au rancard.
Pour Eric Woerth, le système de retraite ne peut compenser toutes les inégalités sociales. La pénibilité ne peut pas être guérie par des années de travail en moins. Elle doit être gérée tout au long des carrières. Les deux ministres reviendront souvent ce point : on charge le système de responsabilités qu’il ne saurait avoir.
Les caricatures
Pour Olivier Dussopt, le texte d’aujourd’hui n’est pas celui du début de la négociation. Il a évolué en quatre mois. Il est attaqué de façon caricaturale par les extrémistes de gauche et de droite qui hystérisent l’Assemblée nationale. « Il faut beaucoup d’abnégation pour le supporter. »
Total doit payer, voilà le mot d’ordre de LFI. Et si en 2027 Total perd de l’argent, où ira-t-on trouver le financement ? Le besoin de financement est structurel. On ne peut pas dépendre des profits des entreprises. La première des justices, c’est l’équilibre.
Eric Woerth avait fustigé LFI qui fait du travail une antichambre de la mort. Une manière épouvantable de représenter la société française. « À 64 ans. On serait mort. Ils comparent le travail a un système pénitentiaire (« T’en prends pour 2 ans fermes ») ». Nos voisins européens seraient tous dans l’antichambre de la mort, eux qui travaillent jusqu’à des 65 ou 67 ans.
Maud Brégeon aura beau jeu de souligner, avec une pointe d’ironie, que l’attractivité des retraites anticipées visiblement ne fonctionne pas à la RATP si on en croit ses problèmes de recrutement.
Chez EDF, d’où elle vient, les travaux durs sont souvent effectués par des sous-traitants qui n’ont pas tous les avantages des salariés d’EDF. Et un cadre, par exemple, passe sa vie dans les bureaux. Il y a une grande hypocrisie à décrire cela comme un bagne.
« Le manque de soudeur n’a rien à voir avec la retraite, dit-elle par allusion aux problèmes de maintenance des centrales nucléaires. »
Un système à défendre
Pour Eric Woerth, allonger la durée de cotisation est d’une certaine façon une bonne nouvelle. L’espérance de vie augmente, autrement dit, on vit plus longtemps. « On va passer plus de temps à la retraite qu’on n’en a jamais passé, rappelle-t-il. »
La réforme est décevante et trop compliquée, dit un participant. « La réforme est décevante ? reprend Eric Woerth. Je ne sais pas ce que ça veut dire. Elle répond à l’impératif de financement. Le gouvernement a des devoirs. Le déficit est parfaitement prévisible. Il faut avoir le courage de cette réforme. On cherche des milliards et ce que fait le gouvernement et proportionné. La réforme est compliquée ? Oui, mais simplifier est infernal à mettre en œuvre, car il y a de nombreux cas individuels. Et plus on individualise les situations, plus on complique. »
Les seniors
Un autre la trouve injuste car décorrélée de l’amélioration des conditions d’emploi. Pour le questeur, le débat entre le juste et l’injuste est devenu irrationnel. Il souscrit au fait qu’on a besoin d’un taux d’emploi de seniors bien plus important. La CFDT parle de réinventer le travail des seniors. Absolument d’accord. Mais justement, déplacer l’horizon des retraites augmente l’activité des seniors. Repousser à 64 ans créera auprès des chefs d’entreprises un regard différent sur les seniors. Il appelle cela l’effet horizon.
Si l’employabilité des seniors est un vrai sujet, elle ne peut être un préalable à la réforme. Il faut mener un les deux de concert. Car les solutions ne sont pas de la même nature. Pour maintenir l’emploi des séniors, il faut intégrer de la mobilité dans le travail.
Qu’un déménageur depuis 30 ans, imagine Éric Woerth, ait le dos cassé, et ne puisse pas aller jusqu’à 64 ans, est parfaitement normal. Mais doit-il se projeter dans le même métier ? Ne doit-il pas être accompagné pour évoluer ? Par exemple, vers des centres de distribution de logistique très robotisés où son savoir-faire aurait sa place. Les systèmes de formation doivent s’adapter. Il y a environ 30 milliards d’euros qui sont dépensés pour la formation. Leur usage pourrait être sérieusement amélioré.
Répondant à une question de l’assistance, il affirme son souhait de voir abolir les mesures d’âge au recrutement dans l’administration.
Les femmes
Pour une participante, la relation au travail change, mais la flexibilité manque. En particulier pour les femmes, qu’on pourrait imaginer moins travailler quand les enfants sont jeunes. Si la situation actuelle des femmes est inégale, le système de retraites ne peut, constitutionnellement, distinguer les hommes et les femmes, justifie Olivier Dussopt. Du reste, l’inégalité des pensions tient aux carrières et non aux retraites elles-mêmes.
Le dialogue avec le public étend vite la question à celle, plus générale, de la relation des gens au travail. Elle change très vite, confirme Olivier Dussopt. A une suggestion, il répond : « Un compte d’épargne temps qui appartiendrait à la personne et non lié à l’entreprise, ce serait compliqué à réaliser. Mais, avantage, il permettrait de travailler à mi-temps par période sur la base de temps accumulé. » Ce serait un gros chantier, semble-t-il.
Ouvertures
La question des contrats personnalisés de formation est soulevée. Pourquoi sont-ils fermés au départ à la retraite ? On pourrait très bien associer la retraite à un emploi. « Je prends votre idée comme une proposition, répondra sans hésitation Olivier Dussopt. Si un retraité travaille, il faudrait effectivement que sa cotisation soit réévaluée pour prendre en compte la valeur ajoutée. »
Bien d’autre choses ont été dites, contredites et échangées. Mais quand Maud Brégeon clôt la soirée, bien des participants en redemandent. Les débats continuent, en tête-à-tête, si on peut s’approcher des orateurs. BFM TV enchaîne les interviews. On ne les lâche pas comme ça. Difficile à traduire, des ministres très pédagogues, Maud Brégeon très impliquée, les questions bien plus nombreuses que celles relevées ici. Les opinions aussi, parfois assez tranchées, mais toujours discutées. La question des retraites ne pouvait pas mieux illustrer le besoin de dialogue avec les politiques. Le passage du projet au Sénat donnera l’occasion de revenir sur le sujet.