L’association de quartier Ladis Lewkowicz compte fêter dignement le centenaire de la création dudit quartier. Également connu comme quartier des Sablons, il est entre Sceaux et Châtenay. C’est un lotissement agréable de maisons à la fois dissemblables et d’une architecture commune. Le 18 mars dernier, l’association faisait état de ses recherches sur l’homme qui imagina le lotissement : Ladis Lewkowicz.
Une exposition et des rencontres sur la vie formidable de cet homme sont en préparation. Elles se tiendront du 18 novembre au 8 décembre 2025 au Pavillon des Arts et du Patrimoine à Châtenay-Malabry. La démarche n’est pas qu’historique. Elle participe à un esprit de quartier (une identité ?), à un soubassement du bon voisinage.
David Sullivan est président de la noble et ambitieuse association. Florence Loyrette, architecte en est la secrétaire et Julien Salmon, le trésorier, est ingénieur. Des adhérents apportent de précieuses compétences : François Thevenet, avec son expérience dans le secteur de la construction ou Agnès Chambraud dont les connaissances juridiques aident à la compréhension des actes de propriété.
Était présente lors de la rencontre, l’une des sources, et non des moindres, Michèle Nahori, petite fille de Ladis Lewkowicz, qui possède de nombreux documents. Présentes aussi, Marjorie Ruffin et Carole Macé, les responsables des archives de Châtenay pour la première et de Sceaux pour la seconde, dont les compétences d’archiviste sont cruciales pour avancer dans le labyrinthe des collectes, des analyses et des classements.
Un homme « hors du commun »
Ladis Lewkowicz naît à Petrokow, située en Russie lors de sa naissance en 1880. Sa famille émigre aux États-Unis avant de venir en France. En 1925, on le trouve parmi les membres fondateurs de la chambre de commerce franco-polonaise à Paris IXe[1]. On ne s’en étonnera guère. Les frontières de la Pologne et de la Russie ont considérablement bougé à la fin de la Guerre de 14-18. Et on sait combien, en 1945, elles bougeront en sens inverse pour la satisfaction de l’expansionnisme soviétique.
Suivre les vies de Ladis, essayer de « tirer les ficelles » pour reprendre l’expression de David Sullivan, c’est reconstituer son itinéraire d’entrepreneur dans l’aéronautique et l’automobile, dans la confection de tissus imperméables, dans l’urbanisation du quartier des Sablons. C’est analyser les cahiers des charges du lotissement (on est dans les années 1920) et son idée (déjà) de « Maisons sur catalogue ».
Et en plus, il vole !
C’est suivre sa passion pour l’aéronautique. Il obtient le brevet de pilote en 1910. Il fallait oser ! L’aviation en était à ses balbutiements et exigeait un courage inouï. Voler dans ces années-là était extrêmement casse-cou, les avions étaient souvent instables, les moteurs peu fiables, et les techniques de navigation rudimentaires. Louis Blériot a traversé la Manche en 1909, quelques années seulement après le premier vol motorisé des frères Wright.
François a déniché qu’il avait participé à des meetings aériens aux États-Unis dans son Blériot amené de France en pièces détachées et reconstruit là-bas non sans quelques améliorations de son cru. Donc pas un hasard s’« il baptise, raconte Châtenay-Malabry Tourisme, les rues du quartier du nom d’aviateurs connus (Garros, Pegoud ou encore Guynemer) et de prénoms de membres de sa famille (Marguerite, sa seconde épouse et Jacqueline, sa fille) ».
Pégoud, moins connu que Roland Garros ou Georges Guynemer, fut pourtant un pionnier hors pair et un héros de la Guerre de 14. Il perdit la vie au combat aérien.
Plongée dans les archives
Une publication de la ville de Châtenay éditée pour le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale honore la mémoire des Chatenaysiens qui n’en sont pas revenus. Elle consacre toutefois un chapitre sur « la vie et le patrimoine de personnages hors du commun ». L’article sur Ladislas Lewkowicz le présente comme animé d’une ardeur et une inventivité incessantes.

Est-ce l’admiration qui pousse l’association à explorer et approfondir son parcours ? Est-ce pour elle une façon de donner une âme au quartier ? Toujours est-il qu’elle n’hésite pas à aller fouiller dans les dossiers d’urbanisme de l’entre-deux-guerres, dans les actes de vente originaux, dans les vieux registres de recensement de la population de Châtenay-Malabry, dans les archives communales de Châtenay ou de Sceaux, d’étudier des plans cadastraux, des listes électorales. Et bien d’autres sources : des entrefilets ou des publicités de journaux oubliés, une photographie des Sablons prise du ciel en 1926 !
Le passé qu’ils remontent n’est pas que le plus récent. Un cadastre de 1842 rappelle que le quartier fut d’abord champs, prés, vergers. Des vaches y paissaient sans doute. Le Ru d’Aulnay séparait Sceaux de Châtenay. Ils retrouvent que la rue Jean-Jaurès fut un jour le chemin des Princes, ou qu’aux XVIe et XVIIe siècles, était sur le lieu le fief des Tournelles.
Petits ruisseaux et grandes rivières
Ils sont comme des archéologues amateurs, essayant de reconstituer un puzzle. Les recherches américaines doivent surmonter obstacles naturels de la fouille en « terra incognita ». Ils récupèrent parfois des photos sans légende ou d’une date approximative. Ils dépouillent les cahiers des charges de l’époque pour comprendre les principes d’architecture qui ont présidé à la conception du lotissement : règles d’urbanisme, matériaux utilisés, chênes, carrelage, installations intérieures, dont les cheminées. Rien ne les arrête.
Car les obstacles renforcent leur détermination. Chaque découverte, même minime, est un bien collectif. C’est comme si Ladis, du ciel, leur avait lancé un défi. Il a traversé l’océan pour réinventer sa vie. Le moins qu’ils puissent faire, est de traverser des archives pour découvrir son histoire.
Il y a beaucoup à raconter sur les vies américaine et française de Ladis Lewkowicz, sur sa descendance, ses hardiesses entrepreneuriales, sur l’esprit du temps qui l’a conduit à imaginer un quartier de maisons toutes différentes, mais d’une harmonie urbaine, un quartier simplement accueillant et commode pour ses habitants. Ajoutons l’exemple des rapports avec Ratier, devenu aujourd’hui l’excellent industriel de l’aéronautique, Ratier-Figeac. Avant-guerre, le fabricant d’hélices en bois s’était installé devinez où ? Gagné ! dans ce coin de Châtenay dont on parle, au 17 rue Hélène Roederer. Les conditions précises sont « un morceau du puzzle que nous étudions actuellement », dit David Sullivan.
Il y avait, dans l’assistance, bien des personnes qui détenait un morceau (petit, mais morceau quand même) de l’histoire. Et comme les petits ruisseaux font les grandes rivières, David Sullivan appelait en fin de réunion à la multiplication non des petits pains, mais des dons d’archives ! Et, il donnait rendez-vous, sans attendre le centenaire, en novembre, à une petite fête d’ores et déjà prévue le 14 juin. Un quartier, ça se partage.
[1] https://galeria.polonia-de-france.fr/upload/2024/04/29/20240429105447-2c3ea860.pdf , p.39