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L’investissement électrique de La Poste (1/2)

Sylvain Fresnault nous a accordé un entretien que nous intégrons volontiers dans notre recueil des compétences scéennes. Son itinéraire vaut qu’on s’y attarde. Cet ancien directeur des achats du groupe La Poste a été au cœur des programmes d’électrification des véhicules de distribution du courrier. Il en parle avec ardeur et à-propos. Ce faisant, il parle aussi des acteurs industriels dont les enjeux environnementaux présents nous rappellent l’importance.

Il tient à commencer l’entretien par un court historique. L’intérêt de La Poste pour les véhicules électriques s’inscrit dans une longue histoire. Dès 1904, elle achète des voitures électriques, alors qu’il y a un débat entre les partisans du moteur thermique et les partisans du moteur électrique. 2 villes au monde privilégient alors le véhicule électrique : New York et Paris. Elles ont développé un réseau de station de recharge et de change de batterie. Pour la France c’était à Issy-les-Moulineaux. Les batteries étaient à l’époque au plomb.

Pour le dire en quelques mots, ce qui a fait perdre le moteur électrique par rapport au thermique, ça a été la guerre de 14 et le besoin de véhicules les plus autonomes possibles. Après la 2e guerre mondiale des essais de véhicules électriques reprennent modestement. La diffusion du moteur thermique est telle que les espoirs de le concurrencer sont très faibles.

Dans les années 1990 pourtant, peut-être du fait de la guerre du Golfe, SAFT et PSA nouent un accord sur une technologie électrique basée sur le nickel et le cadmium. 10.000 véhicules ont été produits. Mais la production s’est arrêtée à cause de problèmes sur les connecteurs sur lesquels SAFT et PSA à se sont rejeté la responsabilité. Mais La Rochelle a fait rouler longtemps des véhicules électriques.

Autour des années 2000 se met en place un consortium entre Dassault Renault SAFT et Heuliez. Dassault développait le moteur, SAFT la batterie, Heuliez l’intégration sur la base d’une coque Express. Le programme s’arrête car Renault ne voyait pas de marché.

En 2007 Jean-Paul Bailly arrive à la tête de La Poste. Ce polytechnicien qui vient de la RATP veut être irréprochable en matière environnementale. Il est un franc partisan des véhicules électriques mais le marché propose peu d’offres.

Néanmoins une consultation est lancée et Sylvain Fresnault est chargé de gérer l’appel d’offres. Seuls 3 ou 4 fabricants peuvent alors répondre. Heuliez décline ; son savoir-faire important manquait d’appui industriel. Fiat répond en association avec Newtéon, une société italienne spécialisée dans l’électrique. Se positionne également Venturi, un constructeur monégasque de voitures de sport qui a pris le tournant de l’électrique haut-performance dans les années 2000 et fait une proposition en alliance avec Citroën. Les autres grands constructeurs s’abstiennent.

Pour assurer sa mission Sylvain Fresnault doit se lancer dans l’étude des véhicules électriques, avec leurs constituants : la coque, la chaîne de traction qui comprend une batterie, un moteur et un BMS (Battery Management System, qui gère la charge et la décharge des cellules). Il est loin de ses bases, venant des Achats. C’est un véritable changement de métier. Mais il se prend au jeu et s’obstine. Il demande à rencontrer les sous-traitants des 2 candidats. Il sait que la technologie moteur est bien maîtrisée et n’est pas un problème. Le problème est du côté du BMS et des batteries. Il comprend que les Italiens n’assurent pas la production et dépendent de fabricants de batteries chinois qu’ils n’avaient jamais vraiment rencontrés.

Venturi avait fait le choix d’une batterie chaude à technologie Sodium Nickel Chlorure[1] et s’associe à Citroën en s’appuyant sur une coque Berlingo. La visite de l’usine de production de batterie est assez convaincante, et malgré le désintérêt manifeste de Citroën qui ne joue aucun rôle dans l’élaboration du prototype, 250 véhicules sont commandés[2]. Ça fonctionnait bien, mais cette technologie a rapidement été concurrencé par celle dite Lithium-ion.

L’absence des grands constructeurs inquiète la direction générale de La Poste et Jean Paul Bailly décide de s’investir personnellement dans le dossier. Il accepte de consacrer 2h par jour pendant une semaine pour rencontrer les présidents des constructeurs automobiles et décide de passer à la vitesse supérieure. C’est 10.000 véhicules qui seront commandés.

Cette démarche attire l’intérêt du gouvernement, il est alors décidé de constituer un groupement d’achats à partir du besoin exprimé par la Poste auquel adhèrent les ministères de l’État, des entreprises publiques (Air France, EDF, RATP, …) mais aussi des entreprises privées (Orange, Bouygues, Vinci, … ) . Le regroupement des besoins fait passer la commande potentielle à 50.000 voitures dont une majorité d’utilitaires 3m3 et de voitures type citadine. Nous sommes en 2012. Renault, qui a repris une technologie électrique venue de Nissan, se distingue alors (c’est la sortie de la Kangoo ZE) et gagne le projet des utilitaires, PSA remporte celui des citadines avec les Peugeot Ion et Citroën C zéro (qui sont en fait des Mitsubishi Imiev).

Heuliez était revenu à la charge avec la MIA soutenue par Ségolène Royal, mais le véhicule n’avait pas le niveau de qualité industrielle attendu.

Un autre aspect de l’électrification du parc de La Poste est le VAE (vélo à assistance électrique) qui répond à une tout autre logique : il ne contribue en rien à la réduction de CO2 puisque de toute façon le vélo n’en produisait pas. Son but est essentiellement d’améliorer les conditions de travail et de transport et de réduire la pénibilité des facteurs dont l’âge va en augmentant.

Nous suivrons dans une seconde partie le projet VAE (vélo à assistance électrique) avec ses contraintes industrielles. Et Sylvain Fresnault nous résumera les leçons qu’il a tirées de cette expérience.
A très vite


[1] Les curieux pourront se reporter à un rapport du Sénat sur les types de batteries.
[2] Pour Sylvain Fresnault, une commande de 250 véhicules constitue un minimum pour tester toutes les situations à la Poste, c’est-à-dire en bord de mer, en montagne, à la ville et à la campagne, auprès d’une population significative de facteurs.

  1. Jacques Barmaier Jacques Barmaier 16 juillet 2021

    Ce qui est dommage dans ce type de témoignages c’est le manque de reconnaissance de ce qui a été fait par l’ensemble des équipes…A lire Sylvain Fresnault il a tout fait de A à Z…

    • Maurice Zytnicki Maurice Zytnicki 17 juillet 2021

      En effet, c’est le biais introduit par un témoignage personnel. Reconstituer l’ensemble des parties prenantes aurait conduit à un article très orienté « conduite de projet » et la lecture n’aurait pas été simple. Faut-il préciser que, lors de l’entretien, Sylvain Fresnault n’a jamais suggéré qu’il est seul à la manœuvre, bien au contraire. Ce que nous avons cherché à transcrire, c’est la passion qu’il a mise dans ses missions. Elle nous a plu. D’où sans doute l’impression de « A à Z » que vous percevez. Et, comme vous, nous sommes bien convaincus que rien, dans une grandissime entreprise comme La Poste, ne se fait seul.

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