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Nathalie Banaigs: faire récit du visuel

En mars dernier, elle est revenue à Sceaux, après vingt-quatre ans en Angleterre. Elle y a bâti une expérience qu’elle met déjà en œuvre en France. Pas au hasard, mais là où elle a retrouvé ses repères. Nathalie Banaigs a coordonné 365 jours à Sceaux, ville de son enfance, un 365 sur Marie-Curie, le lycée de sa scolarité. Chez elle, coordonner signifie construire un récit. C’est précisément ce qu’elle faisait dans le Kent.

Ses « 365 »

Quand on regarde les 365 sur Sceaux ou Marie-Curie, on voit des livres réunissant autant de photos que l’année compte de jours et des légendes pour situer les contextes. Des éphémérides. Si on regarde leur élaboration, c’est tout un processus que l’on découvre.

Les 365 jours s’appuient sur des contributions nombreuses, c’est même leur but, donc sur une mobilisation autour d’un projet, une sélection par un jury légitime. C’est un projet « participatif », communautaire autour d’un lieu, d’un projet ou d’une entreprise. C’est de long cours. Il faut animer, entretenir la flamme. Fabriquer un ensemble visuel cohérent avec les expressions personnelles et le projet des commanditaires.

Pourquoi je fais ça ?

Le visuel est dans son ADN, à supposer que nos gènes transportent un goût pour l’image. En tout cas, chez elle, les murs portent des représentations visuelles. Son grand-père, Jacques Banaigs, né en 1895, fut photographe de l’aérostation.  Il commença à 11 ans comme apprenti chez Pierre Petit, le studio fondé par le célèbre portraitiste de Saint-Saëns, Berlioz et Delacroix, de l’Exposition universelle ou de la Commune de Paris. L’enfant y fit ses premières armes avant de servir dans l’armée pendant la Première Guerre mondiale. Pendant la Seconde, il fut résistant, il sera pris et déporté le 15 août 1944. Il n’en reviendra pas.

Sa mère, Colette Banaigs fut peintre dont l’œuvre fut « marquée par des influences cubistes et une évolution vers une poétique plus méditative et profonde » dit la Capitale Galerie. Diplômée de l’École du Louvre, elle fut conservatrice du musée de Saint-Denis et organisa de nombreuses expositions. Elle disait, se souvient Nathalie, « qu’elle y a passé ses meilleurs moments. » Ses propres œuvres, auxquelles elle put consacrer tout son temps sitôt la retraite, incluent des peintures, des dessins et des collages, souvent caractérisées par des mixtes de matières et une sobriété des couleurs.

Nathalie Banaigs porte cet héritage en bandoulière. Elle travaille à un livre sur la vie de son grand-père. Quant à sa mère, « conservatrice de musée et peintre en même temps, elle ne faisait aucune promotion de son travail. » Elle y songeait, mais n’y parvenait pas. Une sorte de pudeur bloquante alimentait un regret constant de ne pouvoir mieux vendre ses travaux. « Ça m’a marquée. ». Un remords peut-être. « Pourquoi n’ai-je pas fait pour elle ce que je fais maintenant ? »

L’expo comme un récit mais pas que

Est-ce l’origine de ce qui la touche, à savoir la mise en valeur d’une œuvre par un récit ? Une mise en lumière, plutôt. L’expo, c’est raconter. C’est engendrer des interactions. Un travail ne se comprend pas forcément de lui-même. Aussi, elle cherche à rétablir un lien physique, émotionnel, avec les œuvres de ces plasticiens britanniques qu’en 15 ans elle a appris à connaître et apprécier. Son catalogue personnel est un catalogue amoureux, au sens des Dictionnaires amoureux, chez Plon. « Quand je sélectionne des œuvres, je me situe au milieu. L’œuvre me parle et j’ai envie d’en parler avec l’artiste. » Et de le faire savoir.

Mais c’est aussi trouver les financements. Un travail qui ne sort pas de l’atelier reste un monologue sans public. Aussi, elle conçoit, organise, réalise. L’expo est « livrée » clé en main avec sa communication en amont, son catalogue, ses conférences et d’autres dérivations si cela fait sens, des vidéos, des photos, des entretiens….

Recherchiste, ça existe

Le chemin que prit Nathalie Banaigs vers le monde du visuel a commencé par l’archive. Archives images, bien sûr. Mais pas tout de suite. À 22 ans, elle est assistante de production d’émissions de télévision. Une lui revient en mémoire, Lumière, qui portait sur le cinéma : interviews d’acteurs, chroniques, critiques de films, présentation par Claude-Jean Philippe du film de cinéclub qui suivait. Elle se souvient d’un métier très ingrat, « un monde superficiel et factice. » Elle tient quelques années et s’en va dès qu’elle peut partir. Elle se forme aux archives audiovisuelles. Ça lui plait. Elle devient « recherchiste ». Le nom est barbare, mais on devine bien la difficulté. Retrouver.

Rechercher des images peut « prendre de peu de jours à plusieurs semaines quand le documentaire est gourmand en archives. » Elle aime. Elle fouille dans les traces, dans le « ça a été » cher à Barthes aujourd‘hui défié par le numérique (le faux devient plus « vrai » que le vrai). Les demandes du réalisateur du documentaire pouvaient porter sur n’importe quoi : « le couteau suisse, la 2CV, le stetson, le cinéma kungfu… » Elle rit.

En Grande-Bretagne, elle passe de l’autre côté du comptoir. Elle est embauchée dans une petite boîte qui gérait un stock impressionnant d’archives, à commencer par celles d’une émission TVAM diffusée sur ITV. C’était un 3 heures très copieux en interviews, en performances musicales, en infos. Le top sur les années 80 et, à l’écouter on comprend que la France n’a pas été la seule à commémorer, ranimer, saluer, les années 80. Des archives films des années 1940-1950 sont aussi très demandées. En partant à Londres, elle voulait connaître le cœur des archives télé et audio. Elle fut comblée.

Les plusieurs cordes à son arc

Pendant ce temps (1) (on numérote pour annoncer le début d’une liste) alors qu’elle poursuit son vaillant « recherchisme », elle s’éprend de la ville où vit son compagnon. Elle rejoint Faversham, entre Londres et Douvres, près de Canterbery, avec son riche patrimoine médiéval, sa place du marché animée et ses bons vieux pubs à l’ancienne. Ne voilà-t-il pas qu’elle imagine d’en faire quelque chose. Une idée, comme ça, pour le fun. Mobiliser les habitants autour d’une mise en image de la ville, avec 365 photos pour 365 jours. Un cycle. Une stimulation. L’idée prend. Tranquillement, comme une mayonnaise : sans se presser, mais d’une main ferme.

Et puis, une rencontre. Elle s’installe dans le Kent où il habite. C’est au sud de Londres, près de Canterbury. Les allers-retours avec la capitale, c’est quelque chose comme 3 heures par jour, quatre, les bons jours. Mais le travail la passionne : numérisation, indexation, recherche, aide à la consultation sur place, fabrication des cassettes.

Au bout du compte, c’est un livre, une expo, un accueil dithyrambique. Elle est impressionnée de sa hardiesse.

Pendant ce temps (2), le patron de la boîte où elle travaille prépare son départ à la retraite. L’activité diminue lentement mais sûrement. Il faut penser à se reconvertir. Elle continue sur la lancée du Faversham 365, trouve cette fois-ci des sponsors et se lance dans un album (fédérateur encore). Cela donne Time passes avec des lieux captés à deux moments de leur histoire. Rien ne dit mieux le temps qui passe qui fait le titre de l’album. Rien ne dit mieux le succès de l’initiative que l’intérêt suscité dans d’autres villes ou d’autres institutions.  

Pendant ce temps (3), il ne sera pas dit qu’elle manque d’imagination, elle monte des expositions avec des plasticiens, elle organise des awards genre Los Angeles, mais en plus détendu, en plus chaleureux, c’est l’avantage de la modestie. Elle a des catégories (Visual arts, Théâtre, 3D, Design, Creative business,…) avec des « nominés » et des élus. Enthousiasme.

Pendant ce temps (4), elle faisait et continue à faire des documentaires. Elle est équipée de tout l’attirail : caméra, micro, éclairage, spots… prépare la scène, mène l’entretien, fait les prises de vue…. La totale. Allez faire un tour sur son « Philippe Rullière », le joaillier de Sceaux. C’est impeccable.

Raconter l’entreprise

Maintenant, elle pense à des « mobilisations » d’entreprises. Son principe d’immersion sur une année, ne saurait-il pas renforcer la cohésion d’une équipe, stimuler sa créativité ? La créativité s’anime et les potentiels percent sous un jour nouveau quand chacun redécouvre les talents ou les aspirations des autres.

Un livre objet (elle tient au mot objet) où chaque page est une « brève » qui raconte ce qui distingue l’entreprise ou ce qui valorise un projet n’est-il pas un élément de promotion et d’adhérence ? Elle souligne que la démarche peut fort bien inclure des clients dans une sorte de coédition d’un récit commun.

Que les intéressés soient internes ou externes à l’entreprise, s’aventurer ensemble dans la conception et la réalisation d’une expression partagée introduit de fait à une nouvelle écriture de la relation. C’est pourquoi, Nathalie Banaigs croit ferme dans la valeur ajoutée de son expérience en communication culturelle. Car c’est une expérience explicative, associative, « ouvrante ». C’est « documenter la vie de l’entreprise » et chaque image est mémoire, fragment d’histoire, volonté, valeur de chacun dans l’œuvre collective. 

On n’a qu’une vie

Les aspirations qu’elle nourrit désormais, elle les résume sous forme d’un art de vivre. « Je pense au moment professionnel qui m’a procuré le plus de joie jusqu’à présent…. Je laisse aller mes souvenirs…. Je laisse passer un temps. Ce qui s’impose à moi, eh bien, ce moment qui m’a fait plaisir de vivre, je vais chercher à le reproduire, à créer les conditions pour le reproduire. »

Sagesse catalane, comme son nom l’indique ? Savoir remonté à Sceaux depuis Perpignan où Banaigs prend son origine ? Contentons-nous de ceci : « Je suis contente en me levant le matin. »


Pour en savoir plus

Sites en français

Dans la Gazette

 Sites en anglais

  1. Fournier Fournier 8 janvier 2025

    Merci pour Elle, Nathalie mérite tant un retour tel que celui-ci.
    Quel beau cadeau d’anniversaire ce jour !
    CréaCtivement,
    Cécile

  2. Nathalie Banaigs Nathalie Banaigs 8 janvier 2025

    Un grand merci à vous pour cet article qui retrace mon parcours et ma vision avec justesse. 🙂

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