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Ecrire, se détendre, se lancer

Le club Ecriture de la MJC de Sceaux se réunit deux fois par mois. On est ensemble autour d’une table. Pour écrire quoi? A chaque séance, c’est la surprise. Mais d’abord, pourquoi écrire? Philippe Meyniel, qui anime l’activité, a posé la question. Que venez-vous y faire? Que pouvez-vous y trouver? Plutôt direct, non? Sans détour. Réponses par écrit, bien sûr. Courts extraits.

Vivre une expérience

Sylvaine vit une nouvelle expérience : « Pourquoi avais-je eu envie d’essayer, mes seules affinités avec l’écriture s’étant jusque-là exprimées dans des courriers ou comptes-rendus professionnels? Or, l’atelier d’écriture demandait d’autres dispositions. Il supposait de l’imagination, du style, de la fluidité, de l’aisance et tout cela dans un temps contraint. […]

« C’est que j’ai décidé de me lancer, non pas cette fois comme une future naufragée, mais comme quelqu’un qui ne veut pas abandonner la partie avant de l’avoir commencée. »

Philippe se compte pleinement à l’intérieur du groupe. Pas de surplomb. Il se livre aux mêmes exercices. : « J’ai toujours remarqué que notre groupe, ou celui auquel je participe depuis des années, groupe joyeux, rigolard souvent, devient très sérieux dès que l’écriture commence et pendant la lecture. Je pense qu’alors, chacun est dans sa bulle temporelle, mais que nos bulles un peu comme les bulles de savon que l’on fait avec les enfants dans le bain peuvent, parfois, se rejoindre et fusionner. Il y a un côté fusionnel, je crois, dans cette activité. »

Elisabeth : « L’atelier devient ce que l’on en fait : un endroit convivial, sympathique, où les participants se retrouvent pour vivre un moment hors du temps, où à tour de rôle, chacun initie le « sujet » du jour, apportant surprise, enthousiasme ou réserve autour de la table… Mais les encouragements confortent chacun dans l’idée que oui, quelles que soient nos origines, notre situation ou notre formation, nous sommes tous capables d’écrire. »

Carmen : « Ecrire pour tout se permettre, oser ce que l’on n’ose pas … Être soi et un autre et ne jamais y renoncer. L’écrivain est artiste. Son théâtre, la page blanche, son costume de scène le stylo. Tu vois c’est très simple. Écrire ? Eh bien, c’est tout simplement aimer. »

Brigitte : « Nous ne venons pas là simplement pour apprendre à écrire… mais pour oser vivre une expérience de l’écriture, stimuler notre imaginaire et développer notre créativité.

Ceux qui n’ont jamais goûté au travail de l’écriture devraient en tenter l’expérience. Pour ceux qui écrivent déjà, l’Atelier d’écriture permet d’affiner leur technique rédactionnelle et leur style au bénéfice de leurs idées. »

Pour Michel, qui s’exprime sous forme de fiction, « le plus intéressant, c’est que l’on peut découvrir des sensibilités et des caractéristiques critiques auxquelles on n’a pas songé et qui enrichissent considérablement le texte. » Rien à voir, il insiste, avec les cours d’écriture « extrêmement formatés » qui se pratiquent dans les universités étatsuniennes.

Anne : « J’écris depuis toujours …. Nous ne venons pas là simplement pour apprendre à écrire… mais pour oser vivre une expérience de l’écriture, stimuler notre imaginaire et développer notre créativité… C’est un club, pas un atelier ni un cours d’écriture. Parfois je réécris chez moi l’ébauche faite au club. Une de mes nouvelles est née de l’une de ces séances.

Et puis je rencontre ces gens bizarres qui comme moi ont le stylo qui les démange. Ce sont d’autres univers, d’autres manières de procéder. Malgré soi on emprunte à l’un, à l’autre. On donne aussi. On partage nos productions littéraires et culinaires. »

Avec Jeff, on est dans le dépassement de soi-même : « un jour, le barrage du refoulement se rompt, on ne sait trop pourquoi […] un jour, le déclic, le sujet est donné, ni meilleur ni pire que les autres, mon cerveau entre en état de coalescence, entre veille et introspection ;[… ] je me relis, j’améliore mes formules. L’affaire est gagnée. »

« Je prends plaisir à me lire et à découvrir, lorsque mes yeux se lèvent, quelques sourires esquissés à l’écoute de mes « saillies » et à découvrir ce que d’autres ont écrit sur le même sujet, chacun avec un style, son entame. »

Epreuve espiègle

Culinaires… C’est bien vu. On commence par grignoter. Normal, il est 19h et quelques. La salle est au premier étage. Pour y arriver, on passe devant une porte avec une vingtaine de paires de chaussures. Derrière, certainement, une activité physique, mais la MJC en propose tant  : yoga ? danse ? quoi d’autre ? On poursuit, on pousse la porte. Une table au milieu de la pièce. Une autre table plus petite et carrée. Une armoire basse, un piano droit à gauche. Les fenêtres donnent sur la nuit en ce lundi de novembre.

Photo Philippe Meyniel

Ce soir-là : Elisabeth, Brigitte, Jeff, Charlotte, Anne. Des excusés. Philippe, bien sûr. On papote. Il est question de marins du XVIIIe siècle. On sort les biscuits. On s’informe sur les uns et les autres. Vient-elle ce soir ? La conférence Ce que l’écriture fait à la mémoire au musée du quai Branly. C’est dire si on discute large. Puis on se demande quel sera le sujet-surprise. Il faut dire qu’un participant désigné lors de la rencontre précédente prépare une épreuve qui n’est présentée qu’en séance.

Ce soir, le thème a été mis entre les mains de Carmen. Elle a choisi de s’inspirer de l’Oulipo (l’Ouvroir de littérature potentielle, la bande à Queneau, Perec, Le Lyonnais, qui se répandait en facétieuses prouesses littéraires dans les années 1960).

Elle en a repris une règle du jeu. Carmen désigne un par un les gens autour de la table. La première doit choisir un verbe, le second un adjectif, la troisième un nom commun et on recommence.

Résultat des courses. Les verbes à utiliser sont : recevoir, batifoler, être. Adjectifs : malin, méchant. Noms communs : piano, faribole.

Carmen apporte un peu de piment avec des mots inventés : blasmodier, culinatoire, dublafiste. Sympa non ?

Objectif : écrire un texte à la manière d’un conte qui utilise tous ces mots-là.

Imaginer

C’est parti pour trois bons quarts d’heure. On aurait entendu les mouches voler, s’il y avait eu des mouches. Or, il n’y en avait pas. Silence. Les stylos sur les feuilles. Les pages que tournent les plus prolixes. Et puis non loin, dans la MJC, commence le cours de percussion. Les rythmes s’emballent. Des roulements de tambour. Les mouches peuvent voler, on ne les entendra pas. Pas de problème. Le conte mobilise le mental.

Chacune et chacun se penchent sur les feuilles et écrivent continûment. Pas un ne baye aux corneilles. Comme si l’inspiration venait en toute facilité. On écrit, ça vient naturellement. Ce qui n’empêche pas les ratures. Mais raturer, c’est encore écrire.

Donc pas d’hésitation. La consigne, les contraintes ne troublent pas les mains. Concentration. La différence avec le classique devoir sur table a deux explications. On est détendu. On pioche dans les biscuits au centre de la table. C’est un signe. Esprit sain dans corps sain : on s’alimente.

Certains ont des cahiers, d’autres des blocs-notes. Certains finissent avant d’autres. Ils attendent. Anne lit un livre. Pas de limite prédéfinie. On verra quand plus personne n’écrira.

Quelqu’une recopie son brouillon. La conversation reprend progressivement. On se plaint de l’internet. Les cookies obligés sinon on n’a accès à rien. On devrait être payés pour les cookies. On suggère à la Gazette d’écrire un article sur le sujet.

Anne lit le texte écrit chez elle sur le thème de la séance précédente à laquelle elle n’avait pu participer : La chance est-elle indissociable de la réussite ? Elle s’interroge sur les définitions de chance et de réussite et tente un déplacement. Pour les besoins de son analyse, elle migre vers baraka et scoumoune, la poisse. L’irrationnel. Le sentiment que le malheur est inhérent à la condition humaine. Que la chance reste indue. Elle relie la question à celle de l’éducation. Elle explique, elle part sur des analogies. Elle évoque Martin Gray, seul de sa famille à avoir survécu à la Shoah. Installés en France, sa femme et ses enfants meurent dans l’incendie de sa maison. Il se remariera quand même et recréera une famille. Anne semble retenir de cette vie tragique une sorte de maxime : « Mieux vaut miser sur soi que sur une transcendance. » Quelque chose comme : Aide-toi et ne compte pas sur le ciel.

Tout le monde a terminé son texte. Chacun va lire son texte. Pas de reprise, pas de critiques sauf positives, des remarques : ça me fait penser à telle ou telle chose. Pas de contrôle d’orthographe puisque…on lit. Philippe n’est pas du genre à contraindre. Le club doit rester un moment de détente. « Si on était reprises, on aurait peur du jugement, dit Elisabeth. Ce qui compte, c’est le plaisir d’écrire. »

S’écouter

Sylvaine, indisponible, avait reçu l’épreuve chez elle (sous réserve du plus grand secret, comme de bien entendu). Retour de la « copie » à Carmen tout aussi confidentiel.

Rose et sa mère vivent dans une maisonnette au milieu d’une forêt d’une « attractivité dublafiste ». La petite fille malgré les avertissements de sa mère s’y aventure. Elle s’y perd. Elle a peur. Un cerf la secourt et lui commande de ne plus désobéir. L’affaire se termine dans les bras de sa mère.

Avec Carmen, il est question de forêt, de Andy, un personnage, d’animaux. L’ours Bruno est doué de parole. Il y a un garçon aux cheveux rouges. Il y a un méchant, contrainte oblige, et un pays merveilleux.

Philippe commence avec un « il était une fois » qui affiche la contrainte. Mais ici le décor est urbain. L’action passe par un immeuble inquiétant ; dubafliste est le métier d’un personnage et culinatoire se réfère à une maladie.

Brigitte situe son histoire dans une boucherie dans laquelle un cochon lui fait signe d’entrer. Une jeune femme rondelette est en pleurs de ne pouvoir avoir d’enfants. Ce drame, grâce à un piano, trouve une issue heureuse.

Charlotte place dans un pays lointain, au large du Pacifique, un peuple dénué de toute parole où seul un dublafiste peut batifoler.

Anne convie à un conte de fesses ; elle lance des oyez, oyez ! et invite à imaginer un village où vivent Gaston, Loulou et bien d’autres. On se serre au coin du feu pour glisser bientôt dans le stupre. Une nuit d’extase propre à conjurer l’angoisse de la mort. 7 jours et 7 nuits qui se concluent tragiquement.

Jeff convoque un corbeau vêtu d’un frac. Il dirige une chorale d’oisillons. Un point noir se dévoile dans le ciel. Un busard bouffi de mauvaises intentions ne fera-t-il qu’une bouchée d’êtes innocents ? Le petit garçon du début de l’histoire se retrouve 40 ans plus tard, la cibiche au bec comme un Jacques Prévert.

Elisabeth enchaîne son « il était une fois » d’une petite fille aux yeux noirs qui vit un miracle : son village se cotise et lui offre un piano. Elle part plus tard à la ville et découvre les grands espaces. Elle devient une grande dame, mais elle n’oublie pas ce qu’elle fut quand elle entend raisonner les cordes d’un piano.

Théâtre

Moment crucial ; qui est volontaire pour apporter le sujet de la prochaine réunion, le 05/12 ? Charlotte prend. On sent qu’elle a une idée en tête. Ce sont ses yeux qui parlent.

Avant de se quitter, un petit état d’avancement du projet de pièce de théâtre. Philippe et Elisabeth ont commencé à plancher. Une comédie agatha-christienne. Deux scènes de l’acte 1 sont disponibles. Ils proposent une liste de neuf personnages avec leur profil, âge, profession, tout ce qui va bien…) : le gourou, 6 écrivains, 2 hôtes. Ils ont réfléchi à quelques consignes pour démarrer les scènes suivantes. Des idées sur le début de l’acte II, histoire de ne pas se perdre en route.

Le pitch : un atelier d’écriture mené par un gourou se réunit pour un week-end à la campagne. Une mort suspecte, n’hésitons pas, allons droit au but, un crime, survient dès le début. Comment les personnages vont-ils réagir ? Va-t-on mener une enquête ? Comment ? Avec qui ? Place à l’imagination. Le groupe n’en manque pas. En plus, il s’amuse.

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