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Adrien Arnaud et la concordance des sons

Au cinéma, il est monteur son. Quand il fait de la musique, la sienne, il est compositeur ; celle des autres, il est arrangeur ou produit complètement un titre. Quand il dort, rêve-t-il d’accords, d’instruments et d’échos ? Ce n’est pas impossible, il est câblé pour ça. Il vibre mais ne s’égare pas. Un contre-exemple des clichés sur le showbiz.

Une passion née dans l’adolescence

Son enracinement : la Caisse claire, cette originalité établie à Sceaux qui met à disposition de musiciens deux studios avec des instruments et des équipements incroyables de répétition et d’enregistrement, de traitement du son. Impossible de parler de ce lieu hors classe sans mentionner Chantal Brault alors nouvelle élue qui en défendit la création dans les années 90 et le soutint sans faille par la suite. Sans mentionner Pierre Dohey qui en est le responsable, ne pensez pas « management » mais ingénieur du son par ailleurs rompu à des instruments dont on réserve la liste pour un prochain épisode. De nombreux groupes y sévissent, dont un collectif de musiciennes et de musiciens, le MMO. C’est une joyeuse bande d’accros de la musique, toutes les musiques, rock, rap, samba, jazz, ce que vous voulez, qui jouent ensemble, font la fête, se forment et se transforment de concert. 😉

A 15 ans, il crée Oz One, un groupe de ska-rock au lycée Marie-Curie. La Caisse claire est pour lui « le début de sa carrière dans la musique. » Car, cet engouement d’ado, il le poursuivra à l’ISTS, une école supérieure d’audiovisuel où il apprend les métiers du son.

Il a trouvé sa voie. Elle lui est essentielle. Ça fait 24 ans (il en a 39) qu’il est tombé dans la marmite acoustique. Chez lui, il a une table de mixage, un clavier, un accordéon, un synthé, des guitares basse, folk, électrique et… même une harpe, c’est Loriane sa femme qui en joue. Elle chante aussi avec le MMO. Il emmène ses deux garçons, Léon et Marius, aux répètes. On a carrément un noyau familial parcouru de particules échappées d’instruments et de l’électronique. Son Mac est lié à 5 enceintes pour produire du 5.1 un format classique pour les films (5 canaux de sortie son plus un pour les basses fréquences). Vous ne saviez pas ? Moi non plus. Son métier est très technique. Beaucoup de sigles, autant de systèmes, de normes, d’interfaces. Tous les métiers ont leur langage.

Manœuvrer le son, naviguer dans la musique

« Par l’intermédiaire de, Mama Said, un groupe que j’avais intégré, je rencontre un ami du chanteur qui travaillait dans l’industrie du cinéma. Il me propose un job chez Europacorp la boîte de Luc Besson, qui avait besoin d’une compétence dans l’enregistrement de bruitage. » Il commence comme ça.Puis il a « la chance de rencontrer Emmanuel Augeard, un chef monteur son » à la filmographie brillante. Il en sera l’assistant pendant près de 10 ans, se perfectionne dans la création d’ambiance, de design et d’effets sonores. « Il faut que le film sonne », comme l’attend le réalisateur. » Puis de fil en aiguille avec la trentaine, il devient chef monteur son.

Adrien Arnaud aime illustrer son expérience. La scène se passe dans un appartement. On tourne en studio. On recrée le son du périph ou du train qui passe à côté ; on crée un décor sonore. Ou encore, un commissariat (tout polar qui se respecte passe par là) : le réalisateur peut le vouloir bondé ou vide, avec ou non des voix dans le couloir, des portes qui claquent, des sonneries de téléphones, des voitures à l’extérieur, il faut recréer tout ça, quand même deux acteurs sont seuls dans un bureau.

Pour AKA, un film de Morgan Dalibert qui a cartonné sur Netflix à sa sortie au printemps dernier, il travaille sur des « scènes de poursuites en voiture, de bastons, de gunfights. Plus d’une centaine de pistes et d’éléments sonores à mobiliser ! » A retrouver dans une sonothèque d’enfer nécessaire à des bruitages en pagaille.

Dans Moah, une série diffusée sur OCS, il assure la création musicale. L’action se passe il y a quelque chose comme 45.000 ans (à l’échelle géologique, c’est quasiment hier). Côté dialogues, forcément, c’est restreint. Ce qui ne veut pas dire que le film est muet, bien au contraire. « Le réalisateur, Benjamin Rocher, voulait une musique avec des sons de la nature. Le contexte préhistorique amenait à la frontière entre montage son et musique. » Ce qui ne doit pas être de la musique l’est en quelque sorte, mais travaillée avec du souffle de vent, des cailloux, des bouts de bois, des oiseaux …

Pour les films, il compose régulièrement des « musiques additionnelles » expression qui renvoie aux musiques d’ambiance comme celles diffusées dans une boîte de nuit, un bar ou un autoradio de voiture.

En janvier sortira Comme un prince, un film d’Ali Marhyar. Il y est question d’un champion de boxe en pleine préparation des J.O qui voit son avenir s’écrouler quand…. On n’en dira pas plus. Ni des rencontres qu’il fera. Toujours est-il qu’une scène de combat se déroule devant un château. En plus du montage son du film, Adrien Arnaud est en charge de la musique de cette scène. Le réalisateur la voulait très épique, sonnant médiéval, avec Hans Zimmer comme idéal (un compositeur de musiques de films, « roi du blockbuster, dit Adrien admiratif. »). Il s’y colle, enthousiaste.

Pour Dogman de Luc Besson, qui vient de sortir sur les salles, Adrien a composé la chanson du générique de fin, écrite et interprétée par Sateen. Etre dans une production de ce calibre, c’est plus que super. Il ne cache pas sa fierté.

Un homme d’orchestre

A propos de Sateen. Rencontre lors d’une répétition pour le concert avec elle qui a lieu en fin de semaine, le samedi 14 octobre 2023. Elle n’est pas là. Elle arrivera plus tard ; sa voix enregistrée suffit aux réglages des instruments. C’est magique. On est très en amont. Ce sont les premières répètes. Pas un morceau du Set de 12 ne va au bout. Le but est ailleurs. Patrick Dethorey aux guitares (y en a plein) et à la basse, Hugo Sarton à la batterie, Adrien au synthé et à la programmation, c’est qui fait quoi et quand. « Les gars, j’ai pas la basse. » On cherche. Elle n’était pas allumée ! On recommence. On ne refait que le passage du début quand la guitare démarre. Patrick, t’es ok ? Vas-y. Stop. Tu joues accord ou arpège ? On discute. Avantages, inconvénients. Bon, on fait comme ça. Hugo commence : cymbales charleston, il passe rapide sur la caisse claire puis le pied attaque léger la grosse caisse, Patrick démarre. On parle. On se pose des questions. On veut être sûrs du pattern. Adrien fait une attaque orgue pour épaissir le son. Faut voir. On refait. Café.

Le Mac renvoie la voix de Sateen. Elle investit le studio. Les trois repartent. A la console, Adrien monte le son guitare. Il demande à Patrick : le pont, on le fait en Fa majeur ou en Si bémol ? Allez, on essaie, c’est reparti. Ils se charrient. Depuis quand se connaissent-ils ? Patrick change de guitare, il arpège la mélodie, Hugo démarre soft, Adrien met au synthé un son « spatial » et le studio avec ses murs noirs jaunes et oranges, avec ses larges tapis « classiques » et le son qui réverbe au max. Etre juste à côté des musiciens, les suivre dans leur mise au point, anime l’imaginaire et crée une sorte de cosmologie mentale. La musique, c’est aussi de l’espace.

En concert avec Sateen

Quand, à la fin de la semaine, le concert a lieu, les trois sont en scène, Adrien au synthé. Hugo à la batterie, Patrick à la guitare, Sateen devant, 12 titres, dont Passenger princess, Moonbath, New feels, Lapis Lazuli. Autumn star, les répètes ont pris forme finale. Le public est là. C’est du live. On se concentre, on est concentré, en même temps on est cool.

Le lighting designer Jon Bjarnason (un ami d’enfance d’Adrien, Scéen aussi, et dont la carrière l’amène à travailler avec Orelsan, Manu Payet et bien d’autres) n’a pas hésité sur les rouges, les bleus. Pierre Dohey fait le son du concert avec une rigueur qu’on retrouve dans l’équilibre des instruments et de la voix, dans l’occupation balancée de la salle. Pas de surprise, ils sont tous complices. Pierre Dohey est ingénieur du son d’Oz One et de projets musicaux qu’il mène avec Adrien depuis de nombreuses années.

Photo LGdS

Au-dessous du pont de lumière, au-dessus des éclairages sur le bas de la scène, des lignes obliques flashent du blanc de la gauche à la droite de la scène. Des séquences lumière synchros sur le rythme. Un mélange d’ombres et de nuit participe à la grammaire des concerts pop avec des noirs entre les morceaux comme des ponctuations.

Parfois Sateen se fait soul, d’autres fois elle est plus indie rock ce mélange d’influences pop, rock, expérimental. Sur certains morceaux, Hugo bouscule la batterie, Patrick surexcite la guitare, Adrien confirme au synthé, normal on est en « live », on pousse les instruments, faut envoyer de l’énergie en salle. L’EP de Sateen, (comprenez Extended Play, autrement dit plusieurs titres et un peu moins que l’album) est différent. Heureusement, sinon on n’irait plus aux concerts. Le son y est plus intime, sensuel, très vocal, limite folk. La voix de Sateen s’envole.

Et avec elle, envoyant la pulsation pour elle, son souffle tenait, haut, puissant et palpitant avec sa marche le long de la scène. Tout en noir, épaules dénudées, grunge gothique, bottines montantes, dans une robe courte, asymétrique, tombant en plusieurs pointes, avec un bustier très bodyshaper, son corps frêle et volontaire, mince et nerveux s’animait de déplacements sur la largeur de la scène, du mouvement de ses bras. Elle bouge, elle marche, elle danse.  

C’était pour elle une première sur scène et il semble qu’elle était heureuse. Le public aussi. Il le montre et ça s’entend.

Et les musiciens derrière elle et pour elle donnaient à voir ce travail mystérieux de l’orchestre qui donne à la voix le rythme et la puissance, l’intensité rock qui enflamme la salle. Adrien Arnaud tout à son clavier dans un mélange étonnant de rythme et de savoirs montrait une équation étrange de sens artistique, d’expertise, de folie, d’artisanat et de dons à un collectif dont il a besoin en même temps qu’il lui donne. C’est sa vie.


Bientôt sur scène

Mardi 31 octobre, Adrien Arnaud sera en concert avec son groupe Oz One au Glazart avec les Mad Caddies, un groupe américain. 7/15 Avenue Porte de la Villette, 75019 Paris, Métro Porte la Villette (Ligne 7, sortie 4) ou Tram Ligne 3b.

Lundi 4 décembre 2023, Sateen sera aux Etoiles, 61 rue du Chateau d’Eau, 75010 Paris – Metro Chateau d’Eau (Ligne 4)

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