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Blagis: le débat continue en rondeur

Le commentaire détaillé de Jean-Pierre Grégoire que nous avons reçu récemment nous a donné envie de lui donner une plus large place. Le commentaire, par définition, est associé à un article et passe après lui. Lorsque la réflexion est approfondie, elle devient un peu masquée par le format. Or le sujet des Blagis fait l’objet de discussions depuis un temps. Aussi, nous nous sommes dits qu’une “table ronde” permettrait de rassembler et de confronter les premières idées émises. En attendant les autres….

Maurice Zytnicki (MZ) : Votre questionnement sur les conditions qui font d’un débat public un moment constructif appelait selon vous des précisions. Voulez-vous revenir dessus.

Jean-Pierre Grégoire (JPG) :  Je parlais dans mon commentaire de la contradiction entre débat constructif et montée de l’individualisme et des radicalités. Comment parler sereinement, par exemple, de la sécurité?

Dans ce contexte difficile, la commune a choisi de procéder de la manière suivante : expression des habitants, avec restitution sous forme de vidéos qui montrent la diversité des représentations sur le quartier. Je passe rapidement sur l’organisation caricaturale des ateliers, avec une distribution de 70 propositions et une élaboration au pas de charge de fiches d’action (il fallait produire à tout prix, et qu’importe la façon). Après cette «phase d’écoute», le Maire, monarque éclairé, pourra travailler avec les institutions concernées et annoncer le résultat de son action qui répondra totalement, à n’en pas douter, aux «attentes des habitants». Sur la sécurité, il a déjà annoncé le recours à des médiateurs (une excellente chose), il a diffusé une lettre au Préfet signée également par 3 autres maires (qui pointe le désengagement de l’État) et il ne manquera pas d’annoncer prochainement le renforcement de l’action de la police municipale sur le quartier (un point positif). Avec mauvais esprit, on peut dire qu’il aurait pu faire la même chose sans la démarche «parlons ensemble», mais c’est mieux quand des habitants s’expriment. Alors, pourquoi faire la fine bouche, surtout si quelques mesures positives sont prises à la fin ?

MZ : Pour avoir suivi la totalité des sessions, il faut bien reconnaître que l’organisation laisse rêveur. Répétition et incantation semblent y avoir présidé. Et surtout décorrélation avec les mesures prises par le maire. Elles sont positives et vous avez raison, pourquoi faire la fine bouche, mais elles semblent avoir été décidées par ailleurs.

Jean-Claude Herrenschmidt (JCH) : Je partage tout à fait ce ressenti. Toutefois il me paraît ici un peu timide. Car répétition et incantation semblaient être au service d’une direction forte d’aller dans un sens qui obéit à des intentions non avouées. « On » veut bien faire s’exprimer les citoyens, les écouter avec bienveillance, leur suggérer de prendre en main leur destinée collective locale à condition, comme le dit si bien MZ mais il faut y insister, que cette dynamique accompagne une évolution pensée et décidée ailleurs.

Gérard Bardier (GB) : Je n’ai toujours pas compris quel était vraiment l’objectif recherché dans cette démarche. Connaître les attentes des habitants ? Faire pression sur d’autres institutions (OHP 92, État, département…) en mettant en évidence ces attentes? Mobiliser des habitants pour qu’ils agissent aussi de leur côté? Communiquer sur les initiatives du maire et montrer à quel point elles sont adaptées ? La municipalité ne risque-t-elle pas surtout de créer de nouveaux déçus, ceux qui ont cru en la démarche à ses débuts?

JPG : Je crois que l’on peut défendre une autre façon de procéder. D’abord, il y a une crise indéniable de la représentation et une défiance envers la politique. Par contre, la demande de participation, à laquelle tout le monde se réfère, est beaucoup plus difficile à interpréter. Elle dépasse, à mon point de vue, la seule demande d’expression. Nous passons du temps à donner notre avis, mais nous manquons cruellement de vrais échanges. Il y a aujourd’hui des élus et des associations qui tentent de travailler autrement, en organisant une participation citoyenne plus exigeante. Cela nécessite de mobiliser des habitants volontaires, d’organiser de vrais échanges entre ces habitants et des experts ou des institutions, pour bien comprendre les enjeux et la logique des autres, de produire des actions qui s’éloignent des inévitables «y’a qu’à faut qu’on».

GB : Il est possible de mener des démarches participatives de différentes manières. Mais un point me paraît indispensable : la transparence sur le déroulement de la démarche. Concrètement, cela signifie qu’on annonce au départ la méthode qui va être suivie, le calendrier, et on s’y tient. Aujourd’hui, on a des participants aux ateliers qui ne savent pas ce qui va se passer d’ici la séance annoncée du conseil municipal le 12 octobre. Cette transparence est indispensable pour créer la confiance dans la parole des organisateurs. C’est d’autant plus important que notre pays connaît malheureusement une grande défiance envers ses élus.

JCH : Les résultats du premier tour des élections du dimanche 20 juin sont l’illustration même de cette défiance. Ce qui est tout à fait extraordinaire en cette affaire, à écouter les commentaires des médias et les déclarations des candidats en attente d’être élus, c’est, me semble-t-il, l’incapacité pour ces derniers d’accepter l’idée d’établir un contrat avec ceux qui voteront pour eux. Il me semble qu’on touche là l’essence même de la démocratie locale. Ceux qui se présentent doivent accepter de débattre en permanence et, par suite, l’idée de prendre la responsabilité de faire des choses qu’ils ne partagent pas complètement, mais pour lesquelles une majorité s’est dégagée.

MZ : La notion de “vrais échanges” dont parle JPG m’interpelle. A quoi pourraient-ils ressembler? Pour être franc, je n’en sais rien. Mais je sais que, tout vrais qu’ils soient, les débats publics aboutissent le plus souvent à des impasses. Car les intérêts sont la plupart du temps contradictoires. Je me souviens du “Parlons du centre-ville”. Comment aboutir à un consensus entre des partisans d’une “forêt urbaine” et les partisans du développement de la zone commerciale? L’individualisme et la radicalité dont parle JPG me semblent s’appliquer ici.

JPG : Cette notion de « vrais échanges » ne découle pas d’une vision idyllique de la réalité. Dans les échanges de ce type, il peut y avoir de la mauvaise foi, des calculs politiques. Il y a aussi inévitablement des représentations différentes, des intérêts opposés. Mais la noblesse de la politique est de tenter de concilier les divergences.

Quelle que soit la forme d’association des habitants, c’est toujours un apprentissage collectif qui demande du temps et des méthodes de travail. Il faut en permanence clarifier les enjeux et les objectifs. Nous sommes très loin de la réalisation de vidéos. Au final, cela peut s’avérer ingrat et décevant. Il n’y a aucune certitude de résultats pérennes, mais nous sommes loin des simulacres de participation qui renforcent la défiance des habitants. Il faut miser sur un enrichissement de l’engagement citoyen. C’est aussi accepter un certain partage du pouvoir, car il est possible qu’à la fin de la concertation, la vision, les objectifs et les projets des élus évoluent.

Je constate d’ailleurs que la commune de Sceaux peut aller parfois dans ce sens. Le comité consultatif des transitions reprend quelques-uns de ces principes. Les débats sont menés par une élue qui sait animer un groupe (pas besoin de journaliste pour faire semblant d’être impartial). Le recours à Whaller, une plateforme collaborative, évite d’utiliser cet envahissant et dangereux Facebook. Des témoignages extérieurs viennent éclairer les participants. Des travaux en sous-groupes sur des thèmes choisis par les participants sont préparés.

En misant tout sur la seule communication et en utilisant de grosses ficelles, je crains que la commune ne loupe son rendez-vous avec les Blagis. J’espère seulement que les habitants qui se sont mobilisés, notamment les jeunes, poursuivront leur engagement pour ce quartier dans des formes qui restent à expérimenter.

JCH : Je partage tout à fait votre crainte d’autant que nous n’avons pas assez souligné dans ce premier échange ce que vous aviez fort bien pointé dans votre premier commentaire à savoir la question du territoire du quartier des Blagis. Il est réparti sur quatre communes. Or, l’initiative prise par le maire de Sceaux pour mobiliser les habitants du quartier des Blagis s’est volontairement et explicitement limitée aux seuls habitants de Sceaux, sur ce territoire particulier des Blagis. Je ne veux pas ignorer, en disant cela, la démarche commune en direction du Préfet des Hauts-de-Seine. Mais celle-ci s’est limitée, pouvait-il en être autrement, à demander une action ciblée sur des sujets qui dépassent leurs compétences de maire et engagent la responsabilité de l’État.

LGdS : Cette première en matière de “table ronde” tente un nouveau format par rapport aux échanges par commentaires qui s’appliquent à des messages courts. Nous voulons plus d’espaces pour les réflexions. Celles-ci vont se poursuivre à la rentrée. Ce sont de premières impressions qui se sont exprimées ici. Elles concernent plutôt l’exercice de démocratie participative mené par la municipalité. Elles demanderont à s’orienter vers des échanges plus pratiques ou des retours d’expérience sur les différents aspects de l’initiative.
A bientôt.

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