Faut-il modifier la durée du travail en France ? Ce débat, qu’on croyait derrière nous, semble vouloir ressurgir à l’occasion des présidentielles. Dans le discours de certains candidats ou après des déclarations du président de la République.
Les Français travaillent-ils moins que leurs voisins ?
Le 12 octobre 2021, à l’occasion de la présentation, du plan d’investissement France 2030, Emmanuel Macron a déclaré :« Quand on se compare, nous sommes un pays qui travaille moins que les autres en quantité, cela reste vrai. Et donc, nous avons une quantité de travail allouée qui n’est pas au bon niveau, à la fois dans le cycle de vie et en horaires cumulés. »
Cette déclaration a fait réagir dans les médias : Le Monde, Libération, BFM-TV, RTL, Ouest-France, Le Parisien, Le Progrès, La Montagne, se sont fendus d’une (longue) page de vérification des propos du président et/ou d’explication de la question. Tous ces médias s’accordent au moins sur un point : la question est complexe et la réponse dépend de ce dont on parle, en particulier temps de travail hebdomadaire, annuel ou sur toute une vie. Et sur ce point de consensus, ils ont parfaitement raison. La comparaison avec des voisins aux règles différentes devient donc extrêmement complexe. On ne cherchera donc pas ici à savoir si le président a eu raison ou tort, mais a essayer de décrire la situation dans notre pays de manière plus précise.
Durée hebdomadaire, durée annuelle
Plusieurs journalistes ayant cité les travaux de la DARES (le service d’études du ministère du Travail), le mieux est de les reprendre et notamment l’enquête publiée le 15 juillet sur la durée individuelle du travail. On y trouve un graphique qui montre une des raisons de la complexité de la question :
On se souvient qu’autour des années 2000, une loi (dite loi Aubry) a organisé une réduction du travail généralisée autour du passage à 35 heures. Or, ce qu’on voit sur le graphique avec la courbe orange et l’échelle de droite, c’est qu’il y a bien une baisse de la durée hebdomadaire entre 1999 et 2003, mais que celle-ci est beaucoup plus légère que ce qu’on imaginait pouvoir attendre d’un passage de 39 à 35 heures.
Ceux qui ont vécu cette période savent bien pourquoi : dans beaucoup d’entreprises, la réduction de la durée du travail s’est faite par l’octroi de ce qu’on a appelé des jours RTT (pour réduction du temps de travail). Alors qu’en 1982, le passage de 40 à 39 heures s’était très souvent fait par une sortie une heure plus tôt le vendredi. Cette réalité a amené la mise en place d’un nouvel indicateur, celui de la durée annuelle, la courbe bleue et l’échelle à gauche sur le graphique.
Dans ces conditions, comparer la durée hebdomadaire en France et chez ses voisins n’a guère de sens et la comparaison de la durée annuelle est probablement plus adaptée.
Multiplicité des réalités de travail
Pourtant, nous ne sommes pas au bout de nos peines, si l’on intègre les non-salariés, comme le montre le graphique ci-dessous lui aussi extrait de l’étude de la DARES
Analyser la durée du travail des non-salariés conduit à se poser la question de la méthode utilisée pour la mesurer. In fine, cette mesure ne peut être que déclarative, donc sujette à caution. Il n’y a qu’à lire à ce sujet les débats sur les réseaux sociaux sur la durée de travail des professeurs de l’Éducation nationale. Ceux qui déclarent une durée le font généralement de mémoire, sans l’avoir vraiment mesurée. Pour en revenir aux salariés, c’est l’occasion de rappeler que le passage aux 35 heures a été l’occasion de vifs débat sur la manière de compter : comment par exemple compter les pauses, les temps d’habillage/ déshabillage, les temps de trajet… Les entreprises françaises n’ayant pas toutes fait le même choix sur ces sujets, on imagine ce qu’il en est quand on compare avec d’autres pays, n’ayant pas forcément les mêmes règles de décompte.
Le graphique montre aussi un autre élément du problème : celui des salariés à temps partiel. Selon une note de l’Insee déjà un peu ancienne (2015) un tiers des salariés à temps partiel déclarent vouloir travailler davantage (définition officielle du temps partiel subi), ce qui représente 1,7 million de personnes. Derrière l’insuffisance du temps de travail, il y a donc aussi une insuffisance significative de l’offre d’emploi, pour une population précise, celle des moins qualifiés
Approche sur le cycle de vie
Si l’on raisonne maintenant sur l’ensemble d’une carrière, il faut prendre en compte l’accès des jeunes à l’emploi, l’âge de départ à la retraite (ou de la durée de cotisations) ainsi que l’exclusion de certains du marché du travail (chômeurs et halo autour du chômage). On le voit avec les deux graphiques ci-dessous, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes. Attention, les chômeurs sont comptés dans les actifs.
Dans les deux cas, le taux d’activité des 15/24 ans marque une forte baisse qui se concentre sur la période 1975/1995. L’âge de fin d’études a en effet gagné environ un an par décennie depuis la génération née dans les années 1920 jusqu’à celle née dans les années 1970 (un peu plus pour les filles qui ont rattrapé leur retard initial). La progression s’est arrêtée depuis.
Pour les 24/49 ans, l’évolution est très contrastée entre les hommes et les femmes. Les premiers voient leur taux d’activité diminuer de 97,1% en 1975 à 92,4% en 2019, quand les secondes voient au contraire le leur augmenter de 58,9% à 83,3%.
Chez les 50/64 ans, on observe clairement une première période où le taux d’activité baisse (plus chez les hommes que chez les femmes) puis une deuxième période où ce taux d’activité augmente. La tendance est la même pour les 65/69 ans, mais à un niveau beaucoup plus faible. Ces évolutions sont évidemment liées à celles de la réglementation concernant le départ en retraite. Un économiste de l’OCDE note dans un article sur le sujet que « la durée de de vie passée à la retraite (en France) est ainsi parmi les plus élevées de l’OCDE, à 25 ans soit 5 ans de plus que la moyenne de l’OCDE. »
Le total pour les 15/64 ans est la résultante de ces évolutions contrastées, en tenant compte que le poids des différentes générations a aussi changé avec le temps. Le taux d’activité des femmes n’a pas rattrapé celui des hommes, mais il s’en rapproche nettement. Sur la dernière période, le taux d’activité de l’ensemble est en hausse légère.
Productivité horaire
Plusieurs articles commentant la déclaration du président ont abordé la question de la productivité horaire du travail, apparemment pour relever que la bonne productivité horaire compense une durée moindre. Après tout, on peut estimer satisfaisant de pouvoir travailler moins longtemps parce qu’on travaille de manière plus efficace. C’est d’ailleurs l’évolution depuis 200 ans. C’est moins satisfaisant quand on observe ce qui permet à la France, en comparaison de ses voisins, d’avoir une meilleure productivité horaire : le fait d’écarter les moins productifs (c’est-à-dire les plus âgés et les moins qualifiés) du marché du travail.
On voit, à travers ces différents éclairages, que la grande diversité des situations professionnelles, les différentes périmètres (dans le temps comme dans les catégories de modalités de travail) sur lesquels mesurer la durée du travail conduisent à des jugements différents : vouloir résumer cette diversité en une seule formule globale est forcément réducteur. Chacun peut alors être tenté de choisir ce qui correspond le mieux à son calendrier militant. Cela étant dit, l’usage que les médias et les politiques font de cette question mérite d’être analysé, car cela influe directement sur la compréhension qu’on peut en avoir. Cela fera l’objet d’un prochain article.
Les statistiques renvoient à des moyennes et par définition d’une moyenne, il y en a au dessus et d’autres en dessous
Par exemple, 20 % des effectifs de la Fonction Publique Territoriale ont une durée du travail inférieure à 1605 heures (=35 heures sur un an)
Derrière les chiffres et les statistiques, il y a la réalité.
Prenons celle du moment, l’état de surcharge des personnels hospitaliers connue et dénoncée depuis longtemps par les urgentistes et partagée maintenant par tous les autres. Au point que, même parmi les plus dévoués, nombreux sont ceux qui n’en peuvent plus et rendent leur blouse.
En lisant à droite comme à gauche les remontées du terrain, je suis amené à penser que ces situations de surcharge horaire ne sont pas rares. En particulier dans la restauration.
Comment ces « surexploités » entendent-ils ces rapports statistiques ?
[…] Dans un précédent article, ont été présentés différents aspects de la question du temps de travail. Elle avait été abordée dans un discours présidentiel d’où nous étions partis. La réaction importante des médias à ce qui n’était qu’un point parmi d’autres montre que le sujet reste sensible dans le système politico-médiatique (ce qui ne prouve en rien qu’il le soit dans la population). On peut en effet noter que plusieurs candidats à la présidentielle l’ont intégré à leurs programmes. L’Est républicain en a fait un recensement sur lequel s’appuie la suite de cet article. Avec d’abord un constat global : de manière générale, la droite souhaite assouplir les 35 heures, quand la gauche se positionne plutôt en faveur d’une réduction du temps de travail. On ajoutera le fait que le président actuel explique « je ne suis pas pour changer la durée du travail par la loi » […]