S’est ouvert récemment à Paris un musée des mathématiques, la Maison Poincaré, qui mérite la visite. Pour les riverains de la ligne B du RER, ce n’est pas compliqué. Il suffit de descendre à la station Luxembourg et c’est à 5 minutes à pied en comptant large. Rue Pierre et Marie Curie.
Sylvie Benzoni, directrice de l’’établissement, confiait à France Info : « Le public sera peut-être surpris. Il s’attend à trouver des chiffres, mais les maths c’est bien plus vaste que ça : on montre de nombreux objets du quotidien qui parlent de maths, comme une chips ou un ballon de foot« . C’est tout à fait ça. Pas de chiffres, de la rêverie plutôt, des explications et du jeu.
Une volonté ludique
De nombreux enfants (avec un parent ou deux) se trouvaient ce jour-là dans le musée. Attirés par les appareils interactifs qui leur sont destinés, ils s’ingéniaient manipuler ou à trouver des solutions à des sortes de casse-tête. Manipuler : imaginons une croix à la craie sur une roue. Si la roue tourne à vide, la croix décrit un cercle. Logique. Mais si la roue roule (c’est son destin), quel parcours fait la croix ? Sur une table, une roue en bois comporte plusieurs trous d’une largeur qui permet de coincer un crayon. C’est la photo en début d’article. On fait avancer la roue en la faisant tourner, comme celle d’une voiture. Sur une feuille de papier en dessous, le crayon dessine une courbe qu’on vous laisse imaginer.
Ailleurs, un ballon de foot imaginaire en fait une grosse boule de bois doit être recouverte avec des morceaux d’étoffe détachés et placés à côté. C’est une sorte de puzzle en 3D. Sauf qu’on n’obtient pas une image, mais un recouvrement (si on y réussit).
Deux exemples pris parmi bien d’autres manips qui invitent à se poser des questions sur les courbes, l’espace, les classements… Parce que le musée se propose de montrer l’étendue des mathématiques. Dans la première salle, une carte qui peut évoquer un plan de métro en donne une idée à travers différents domaines. Variations évoque les fonctions, les équations différentielles ; Nombres avec l’arithmétique mais aussi la cryptographie ; Aléas avec les probabilités et les statistiques… ; Fondamentaux avec la théorie des ensembles (qui va « un peu » plus loin que les patatoïdes qu’on enseignait fut une époque) ou la logique ; Structures qui étudient des types d’ensembles bien particuliers ; Formes invitent à toutes sortes de géométries. Ces domaines ne sont pas étanches. Au contraire et des lignes montrent de nombreuses correspondances entre eux.
À défaut de comprendre, on peut rêver. Le sens de ce tout petit résumé est justement d’y inviter. On apprend par exemple, dans un détour de la grande carte, qu’il existe une géométrie tropicale. Diable ! à quoi cela peut-il ressembler ? Quelque chose au nord et au sud de l’équateur ? Renseignement pris par ailleurs, ça n’a rien à voir. Le terme tropical rend hommage à son inventeur brésilien, Imre Simon. Dans cette géométrie, le sens de l’addition et de la multiplication a été changé et l’équation y=ax+b dont on apprenait au collège à la représenter par une droite, eh bien là, elle devient trois demi-droites issues d’un même point. Trop fort ! Les mathématiques peuvent s’abstraire de tout, à commencer par les quatre opérations.
Intelligence artificielle
Du côté IA (Intelligence artificielle), si Alan, une application censée dialoguer avec le visiteur n’était pas au mieux de sa forme (la simple question Quel jour sommes-nous ? le fait divaguer), la manip sur l’apprentissage machine était très parlante. Elle repose sur un jeu de Nim. On joue à deux chacun son tour. On a une série de bâtonnets et on peut en retirer un ou deux. Le joueur qui prend le dernier bâtonnet a perdu. L’un des joueurs est la « machine » qui est symbolisée par des boules de deux couleurs qu’on tire au hasard d’un petit pot. Si une certaine couleur sort, elle prend un bâtonnet, avec l’autre couleur, elle joue deux bâtonnets. Bon, c’est bien tout ça, mais c’est quoi la suite ? En quoi ça explique l’apprentissage automatique ? Deux possibilités : aller au musée, jeter un coup d’œil sur cette présentation.
Juste à côté, sur une large table on a des visages de personnes sur des cubes. Il faut deviner si la photo vient d’un visage réel ou d’une fabrication par IA. En retournant le cube, on a la réponse. Bluffant. Personnellement, je me suis trompé le plus souvent. Pour vous convaincre que je ne suis pas spécialement bigleux, je vous invite à aller voir sur thispersondoesnotexist.com. À chaque rafraichissement de la page, un nouveau visage apparaît. Comme le nom du site l’indique, aucun n’est réel.
Donner à sentir
Le parcours dans le musée est organisé en thèmes. On en a parcouru quatre. Devenir montre des parcours de mathématiciens. Partager concerne des liens entre art et mathématiques. Avec Inventer, on a des documentaires sur les rapports qu’entretiennent les scientifiques avec leur recherche et leur création. Modéliser expose de beaux sujets tout chargés de lyrisme : spectres et ondes ; hasard et données ; foules et fluides, très jolie expression qui explique qu’à des échelles très petites ou très grandes, on peut approcher les phénomènes à trois niveaux : l’individu, la particule ; le collectif, l’atome ; le global, la galaxie, la foule. Croirez-vous que des modèles mathématiques décrivant l’écoulement de fluides s’appliquent aussi à l’écoulement de foules!
Dit comme ça, ça fait abstrait. Quand on regarde les panneaux avec les diagrammes et les schémas, quand on s’exerce sur les manips proposées, les choses s’éclaircissent. Et même si elles ne s’éclaircissent pas tout à fait, l’expo donne à sentir, à découvrir de vastes territoires mathématiques auxquels on n’aurait jamais pensé.
Le musée a été conçu pour les scolaires, c’est dire que le côté ésotérique des mathématiques n’y a pas la première place ni d’ailleurs, les programmes de collège ou de lycée. La maison Poincaré veut suggérer, faire sentir , « surtout aux gens qui sont fâchés avec les maths ! » dit sur France Info Cédric Villani, initiateur du projet il y a douze ans. « Ici, on est encouragés à errer. »