Appuyez sur “Entrée” pour passer au contenu

Décarboner plus vite : les perspectives dans l’industrie

L’article précédent a évoqué les tendances générales, celui-ci évoquera le cas de l’industrie. Celle-ci a ceci de particulier que les actions à mener pour décarboner dépendent d’un nombre limité de décideurs. Au contraire la baisse des émissions dans les transports ou le chauffage des bâtiments dépend d’une multitude de ménages. Dans l’industrie, les vraies contraintes sont économiques et techniques. On va le voir dans trois exemples français, puis on abordera le cas particulier des pétroliers avec l’exemple de Total.

Décarbonation dans l’industrie

En France, les émissions de l’industrie manufacturière ont été de 73Mt en 2022, soit 19% du total des émissions françaises. Elles sont particulièrement importantes dans les entreprises de transformation (métallurgie, chimie, agroalimentaire notamment). Dans d’autres entreprises, la consommation d’énergie est d’abord électrique pour les machines. La question du chauffage des bâtiments ne s’y pose pas très différemment d’ailleurs.

Trois exemples, dans les industries très consommatrices d’énergies, vont ici illustrer les projets en cours. Attention, les objectifs chiffrés sont souvent fixés pour une entreprise sur l’ensemble de son périmètre et comprennent donc éventuellement des établissements situés dans d’autres pays que la France.

Premier exemple, Saint-Gobain. L’entreprise annonce en 2022 une baisse de 27% de ses émissions de C02 par rapport à 2017. Il s’agit ici d’un périmètre groupe. Aujourd’hui, l’entreprise vise une diminution d’un tiers pour 2030 et la neutralité carbone pour 2050.

En janvier 2024, Arcelor Mittal a annoncé un investissement de 1,8 milliard d’euros sur son aciérie de Dunkerque. Celui-ci doit permettre de faire passer les émissions de 1,8 tonnes de CO2 à 0,5 tonne pour chaque tonne d’acier produite. Sur un site qui émet aujourd’hui à lui seul 12 Mt de CO2e par an, soit 3% des émissions françaises. À terme le volume d’émissions passera donc à environ 3,3 Mt.

Dernier exemple:  l’usine Roquette à Lestrem fabrique des dérivés de l’amidon à partir de maïs et de blé. Avec 56O Kt de CO2 émis, elle fait partie des 50 sites les plus émetteurs de CO2² en France. Elle s’engage à réduire ses émissions de 40% d’ici 2030. L’ajout d’une chaudière biomasse et de recompresseurs mécaniques de vapeur va remplir la moitié de cet objectif.

On ne peut on déduire de ces exemples que c’est l’ensemble de l’industrie qui s’engage. A défaut de le savoir plus précisément, on notera une tendance positive.

Quelle décarbonation pour Total ?

Pour certains activistes du climat, Total est un symbole à abattre, ou du moins à empêcher d’agir.  Croient-ils que si Total arrêtait d’extraire du pétrole ou du gaz, les voitures des Français deviendraient miraculeusement électriques ? Ou qu’aucun autre ne prendrait immédiatement sa place ?

Et si la première responsabilité de Total était ailleurs ? Les émissions de GES en brûlant du pétrole ou du gaz sont bien le fait du consommateur. Mais il y a d’autres émissions dont l’entreprise est seule responsable : celles liées à l’exploitation, au transport, à la transformation et à la distribution.

En France, l’industrie du raffinage émet 7,2 Mt de Co2e, soit un peu moins de 2% des émissions totales. Ou presque autant que le transport aérien national.

L’analyse d’un communiqué de presse de Total Energies sur ses résultats 2023 montre l’ampleur du problème. On y découvre qu’en 2022, les émissions liées à l’activité de l’entreprise mais hors de contrôle de celle-ci (le scope 3) étaient de 389 Mt CO2e. Et que les émissions sous son contrôle (les scopes 1 et 2) étaient de 56,1 MtCO2e. On trouvera ici des définitions des scopes 1, 2 et 3.

Les émissions de scope 3, ce sont avant tout celles liées à l’utilisation des produits de Total par ses clients.

Les émissions de scope 1 et 2 sont celles directement liées à l’activité de Total. En particulier liée au raffinage, au torchage et aux « émissions fugitives » (comprenez les fuites de CH4 sur les installations).

La réduction des émissions de scope 3 dépendra avant tout des clients. Total l’anticipe en investissant massivement dans les activités alternatives, notamment le solaire et le chargement en stations-service des batteries électriques.

Mais la réduction des émissions de scope 1 et 2 ne se fera que si et seulement si Total s’en préoccupe. L’enjeu est important : il suffit de comparer les chiffres des scopes 1-2 et 3 : les premiers comptaient en 2022 pour 14% des seconds !

Selon l’AIE, le torchage conduit dans le monde à l’émission de plus de 500 Mt de CO 2e (CO2 + CH4) par an, soit environ 1% des émissions mondiales totales de GES en 2021 (52,8 Gt CO2e hors UTCATF, plus que le total des émissions françaises.

Un problème qui a été largement abordé lors de la COP 28 qui se tenait à Dubaï, dans un pays pétrolier.

Le cas de Total dessine en creux un sujet moins connu du grand public que celui du CO2, celui du méthane, un gaz extrait par l’entreprise. Il fera l’objet du prochain article.

Article précédent : Décarboner plus vite !

  1. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 2 mars 2024

    Je trouve dans :
    https://www.connaissancedesenergies.org/questions-et-reponses-energies/industrie-du-petrole-qui-sont-les-supermajors, le texte suivant
    « Malgré leur poids économique, les supermajors ne contrôleraient que près de 5 % des réserves mondiales de pétrole, l’immense majorité de ces réserves étant sous contrôle de compagnies nationales. »
    (©BP)
    Toujours d’après la même source et avec un chiffre d’affaires lié à ses 2,3 millions de barils équivalents pétrole par jour, soit moins de 1 % du poids économique total de la filière, Total n’est qu’un nain.
    Donc toute l’agitation médiatique autour de Total ne prend sa source que dans la déclaration de ses profits qui, comptés en milliards d’euros, ne sont pas négligeables pour le consommateur que je suis, et peuvent également être regardés de manière enviable par Bercy.
    Je doute que les calculs faits à partir des chiffres publiés par Total aient vraiment du sens en rapport avec l’appétit du « monstre » pétrolier qui défèque son CO2 sur la planète.

    • Gérard Bardier Gérard Bardier Auteur de l’article | 4 mars 2024

      Les 5 super-majors cités ne contrôlent en effet que 5% des réserves mais réalisent encore 15% de la production (et peut-être plus en tant qu’opérateurs, je ne sais pas)
      Le cas de Total est pris comme exemple ici car il est français, mais la question est la même pour tous les pétroliers. Voir à ce sujet l’article suivant sur le méthane.
      Quand aux profits de Total ils ne sont faits en France que pour une très petite partie (ils sont essentiellement liés à l’extraction) et donc sont imposés dans d’autres pays.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *