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Isoler et décarboner les bâtiments

Après l’industrie et un focus sur la spécificité du méthane, l’article aborde ici la consommation résidentielle. La consommation d’énergie pour le chauffage domestique, l’eau chaude et la cuisson des aliments représente environ 10 % des émissions de GES en France. On peut y ajouter 5% des émissions pour les mêmes usages dans le tertiaire.

Ce domaine touche l’ensemble des Français. C’est aussi celui dans lequel des incitations (subventions ou obligations légales) existent depuis le plus longtemps. Mais c’est aussi le domaine du temps long. La moitié du parc de logement a plus de 50 ans et a donc été construit avant qu’on fournisse des efforts spécifiques d’isolation.

Pendant longtemps, les aides ont favorisé les rénovations partielles (changez vos fenêtres !), ouvertes à tous les propriétaires. Aujourd’hui, le système de subventions favorise les rénovations globales. Il vise des diminutions substantielles de la consommation d’énergie et donc des émissions de GES. Par ailleurs, la loi a ciblé plus particulièrement les logements les plus mal isolés, surnommés passoires thermiques.

Aujourd’hui, les logements dont le DPE est en F ou en G sont visés en priorité. Ce choix paraissait logique : le coût de la tonne de CO2 économisée est nettement plus faible pour les logements très mal isolés que pour ceux qui sont déjà assez bien isolés. Cette disposition implique cependant des investissements importants. Elle a conduit à de gros problèmes sur le marché du logement, en réduisant drastiquement l’offre de location. Au même moment la hausse des taux d’intérêt (pour juguler l’inflation en Europe) perturbe fortement les achats et la promotion immobilière.

De fait, le gouvernement vient de réviser au moins partiellement sa copie en ce qui concerne les plus petits logements.  Aux dernières nouvelles, il semble vouloir aussi la réviser en matière d’aides financières.

Performance énergétique et effet rebond

On s’interroge depuis longtemps sur les effets réels des travaux d’isolation. Les gains espérés seraient souvent absorbés par une évolution du comportement des habitants. Ceux-ci préfèreraient améliorer leur confort que baisser leur facture. C’est ce qu’on appelle l’effet rebond.

Une étude du Centre d’Analyse Économique (CAE) a récemment confirmé cet effet rebond.

Globalement, la hausse de la consommation d’énergie au m2 entre un logement classé AB et un logement classé G est six fois plus faible que celle prédite par le DPE. Les effets comportementaux des ménages expliquent une part prépondérante de l’écart entre consommation théorique du DPE et consommation réelle. Ce dernier peut aussi s’expliquer dans une moindre mesure par des imperfections qui subsisteraient dans la modélisation ou la mise en œuvre du DPE.

L’étude explique que « la demande de confort thermique est une fonction inverse de son coût ». Concrètement, augmenter de 1°C la température de son logement coûte beaucoup moins cher quand on habite un logement bien isolé. Donc les habitants de logements mal isolés se chauffent à une température inférieure aux fameux 19° conseillés. Alors que les habitants de logements bien isolés se chauffent à une température supérieure.

Le résultat de ce comportement généralisé apparaît dans les chiffres publiés. Les habitants des logements en G consomment un peu moins du double de ceux vivant dans des logements en A ou B. Pourtant, les caractéristiques physiques prévoient une multiplication par 5,6 ! Selon l’étude, l’écart s’expliquerait pour les 2/3 par le comportement utilisateur et pour 1/3 par la faible fiabilité de la mesure du DPE.

Une solution complémentaire : la substitution

Pour diminuer les émissions de GES, l’efficacité des travaux d’isolation généralement promus apparaît de ce fait beaucoup plus faible que prévu. Il faut bien entendu continuer à isoler, mais ne pas se faire d’illusion sur les résultats.

Dans ces conditions, la voie la plus prometteuse serait celle de la substitution (passage du gaz à l’électricité), couplée le cas échant à l’utilisation d’une pompe à chaleur. Une utilisation en hausse : la France a été de loin le plus gros marché d’Europe des pompes à chaleur (PAC) en 2022, avec plus de 550.000 PAC vendues (tous modèles confondus). C’est également la première année où les ventes de PAC ont dépassé celles des chaudières à énergie fossile. Mais on revient de loin : pendant longtemps c’est le gaz qui a été favorisé.

Il y a environ 37 millions de logements en France, dont une bonne moitié construite avant la mise en place de normes d’isolation. Au rythme actuel des travaux de rénovation ou de substitution, la décarbonation du parc va encore durer des décennies.

Peut-on alors compter sur la sobriété, à rebours de ce qui a été observé jusque-là, avec l’effet rebond ? Question importante, y compris au-delà du seul cas des bâtiments. L’impact du levier « sobriété » fera l’objet d’un prochain article.

  1. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 4 mars 2024

    Mettre une taxe carbone c’est augmenter le prix de l’énergie fossile (sous quelque forme que ce soit) achetée par le consommateur. Si celui-ci a le choix entre différentes sources d’énergie il est clair que cette taxation entraînera un changement de comportement. Mais, le consommateur a-t-il vraiment le choix dans la vie de tous les jours ?
    Bien conscient de tout cela, le gouvernement met en place des dispositifs d’aide pour les consommateurs les plus défavorisés (et qui ne sont pas les plus gros consommateurs) qui ne voient donc plus l’intérêt de changer leurs comportements. Dans ce cas précis, la taxe carbone est sans effet.
    La taxe carbone devrait donc contraindre les gros consommateurs (industrie, transports, etc.) mais là encore faut-il qu’ils aient le choix. Avec tous les efforts qui sont faits, on peut espérer que ça va venir. Ce n’est pas encore le cas.
    Un mécanisme pervers de la taxe carbone est celui qui a été imaginé par certains (Lobby climatique citoyen https://ccl-france.org/portfolio/sidonie-ruban/) pour redistribuer ses produits vers les plus démunis.
    Cette redistribution qui prend la place des aides d’état pourrait ressembler à une action bienfaitrice. Ceux qui payent la taxe la plus élevée pourraient être tentés d’en produire encore plus, l’augmentation de production (et des profits) en utilisant des fossiles se traduisant par une augmentation de la redistribution vers les moins fortunés. On serait dans un processus gratifiant pour ceux qui l’entretiennent.

  2. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 2 mars 2024

    Le seul levier qui marche bien, c’est celui qui trouve un point d’appui.
    Pour la consommation, c’est le portefeuille.
    Pour l’énergie c’est compliqué car il n’y a pas de relation directe entre le prix d’acquisition de celle-ci par le consommateur final et son coût de production.
    Si l’on prend le cas des énergies fossiles, celles dont on voudrait bien se débarrasser pour cause de CO2, les producteurs ajustent leurs prix dans le cadre d’ententes (OPEP et autres groupes d’intérêts) que la morale commerciale réprouve (surtout en Europe qui se veut la championne de la libre concurrence) ; les raffineurs/distributeurs que sont les multinationales établissent leurs prix sous la pression de leurs actionnaires ; les États qui y ajoutent leurs taxes sous prétexte de régulation du marché et de juste répartition des charges entre producteurs et consommateurs. Une complication qui touche à l’obscurité qui permet les arrangements… discutables.
    Ou bien on y met de l’ordre dès maintenant avec les périodes d’ajustement nécessaires pour ne pas casser tout un système qui fonctionne quand même avec tous ses défauts, ou bien on attend que la réalité du tarissement des sources se superpose à celle du réchauffement climatique. La transition risque de se révéler brutale.
    Et impossible pour le portefeuille. Le levier s’effondrera.

    • Gérard Bardier Gérard Bardier Auteur de l’article | 4 mars 2024

      Sur long terme et en moyenne, les prix du pétrole dépendent essentiellement du coût de l’extraction de nouvelles réserves
      Si les pays de l’OPEP ont pu augmenter aussi fortement les prix dans les années 70, c’est qu’on arrivait au bout de l’accès à des réserves faciles (du genre à 100 mètres sous le dessert. Le fait qu’on ait commencé l’extraction des réserves de la mer du Nord, donc du pétrole dit offshore n’est pas un hasard.
      Sur le long terme, le fait d’aller chercher des pétroles de plus en plus compliqués à extraire pousse les prix vers le haut. Les progrès techniques poussent au contraire les prix vers le bas, de même que l’accès à des énergies alternatives. Ce sont les efforts pour économiser le pétrole (développement du nucléaire par exemple) ou pour l’exploitation offshore qui ont produit le contre choc pétrolier en 1986. Le long délai pour développer un gisement ou des ressources alternatives explique que les changements de prix se font surtout par des changements brutaux.
      L’alignement des prix sur celui de la production marginale provoque un effet de rente pour les gisements les plus faciles. C’est ce qu’on appelle la rente pétrolière (ou plus généralement la rente minière car la question est exactement la même pour toutes les extractions), un sujet qui a fait depuis très longtemps l’objet de nombreuses études. Les pays producteurs font tout pour récupérer un maximum de cette rente, mais comme ils ont besoin des producteurs et de leur maitrise technique, ils leurs en laissent une part…
      Pour en revenir à l’idée initiale de frapper au portefeuille, les économistes considèrent que la méthode la plus efficace pour réduire les émissions de CO2 est la taxe carbone. Olivier Blanchard et Jean Tirole ont proposé de mettre en place une taxe carbone, en l’augmentant progressivement. En bons économistes, ils ont recommandé d’annoncer le programme d’augmentation à l’avance, pour que les ménages choisissent leurs actions en fonction de ce programme.

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