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La mine au café

Vendredi 1er avril, ce n’était pas un gag, le Café histoire qui se tient au Patio (aux Blagis) s’est ouvert à une histoire plus industrielle que d’habitude. J’y ai été invité à raconter quelques souvenirs des débuts de ma vie professionnelle, les dix ans que j’ai passés comme ingénieur au fond des mines du Nord-Pas-de-Calais. Le froid glacial au dehors n’avait pas dissuadé les habitués.

Le contexte général

Le charbon est au cœur de la révolution industrielle, avant que le pétrole et le gaz viennent compléter les principales sources d’énergie (le charbon reste aujourd’hui la première source pour la production d’électricité dans le monde). Utilisé dès le 13e siècle, il a servi à chauffer les logements (les premiers poêles apparaissent au 16e siècle), à produire de l’acier, à faire fonctionner machines et trains, à produire de l’électricité.

Le charbon est exploité en découverte (Decazeville en France) ou dans des mines souterraines.

En France, le bassin du Nord-Pas-de-Calais a employé plus de 200.000 personnes après la 2e guerre mondiale, avant une fermeture progressive. Le gisement est tourmenté par de nombreuses failles plus ou moins importantes. Les veines de charbon, initialement horizontales, ont été bousculées durant l’histoire géologique. Elles se retrouvent très inclinées (voire proches de la verticale) dans l’est du bassin (exploitation dite en dressant) et peu inclinées à l’ouest (exploitation dite en plateures), là où j’ai travaillé.

Organisation générale de la mine

Une mine souterraine comprend un ou plusieurs puits d’entrée d’air et un ou plusieurs puits de sortie d’air (grâce à de (gros !) ventilateurs). Les puits servent selon le cas au transport du matériel, des hommes et du charbon, mais aussi à l’alimentation en eau, électricité et air comprimé.

Les puits sont de plus en plus profonds, au fur et à mesure de l’exploitation par « étage ». A chaque étage (-483, -600, -750 au siège 3 de Courrières), un réseau de galeries horizontales (bowettes) est creusé. Des locomotives y circulent, alimentées en électricité (trolley) dans les galeries d’entrée d’air (celles de l’étage le plus profond).

Pour exploiter le charbon d’une veine donnée (généralement épaisse d’environ 0,80 à 1,20 m, mais on exploite dès 60 cm et certaines veines peuvent atteindre par endroit 2m, et plus dans d’autres bassins que celui du Nord-Pas-de-Calais), il faut d’abord y accéder par une voie, puis creuser des voies « au charbon », généralement parallèles, entre lesquelles on exploitera ensuite ce qu’on appelle une « taille ».

Une taille, c’est un front de charbon (entre les deux galeries) que l’on abat avec un rabot (qui prend moins de 10 cm à chaque passage) : les produits sont évacués dans un convoyeur blindé situé juste derrière le rabot. Derrière, il y a un passage pour la circulation des hommes, d’environ 1 m de large (et d’une hauteur correspondant à l’épaisseur de la veine, donc entre 0,6 et 2 m, plus souvent environ 0,8m). Ce passage reste ouvert parce que la roche au-dessus est soutenue par du matériel de soutien : en bois à l’origine, quand la profondeur est faible, puis par des étançons en acier, puis enfin par du soutènement marchant, tenu par des vérins hydrauliques.   Voir dans cette vidéo très bien faite, en ayant dans l’idée qu’elle est réalisée dans des veines assez épaisses (plutôt 2m que 1 seul).

Catastrophes minières

La mine où je travaille garde la mémoire de la catastrophe qui l’a frappée en 1906, faisant 1099 morts.

Les catastrophes minières, celles qui font de nombreux morts, sont dues au grisou, un gaz naturellement présent dans le charbon. En fait, c’est du méthane (CH4), le même que dans le gaz naturel. Si sa concentration dans l’air est entre 6 et 30 %, il est explosif ; à moins de 6%, il se contente de brûler. Il faut aussi une étincelle. L’explosion du grisou soulève la poussière autour de lui. Si celle-ci est composée de beaucoup de charbon, le coup de grisou se transforme en coup de poussier, lequel peut alors se propager dans toute la mine en la dévastant.

La dernière catastrophe du bassin du Nord a lieu à Liévin en fin 1974, faisant 43 morts. En 1978, un accident se déroule à Courrières, dans la taille Marcel 22. Les enregistrements au jour permettent d’observer que l’explosion (qui n’a fait que 2 blessés heureusement) s’est produite au moment d’un déclenchement électrique, dû à un coup de marteau piqueur dans un câble 5000 volts. L’enquête montre que cet incident a produit des courants vagabonds qui, en se propageant dans toute la mine, ont produit l’étincelle qui a allumé le grisou à Marcel 22. On imagine alors que le démarrage des trolleys en début de poste peut avoir été la cause de plusieurs catastrophes inexpliquées précédentes (dont celle de Liévin). Par la suite, un système a été mis en place pour une mise à la terre généralisée.

Pour éviter les catastrophes, on lutte contre les accumulations de grisou (captage dans les veines au-dessus et au-dessous des tailles en exploitation, aérage, surveillance automatisée) et les sources d’étincelles. On installe aussi des moyens pour éviter la transformation en coup de poussier et la propagation de celui-ci.

La silicose

Le bassin du Nord- Pas-de-Calais, comme d’autres dans le Centre-Midi, connaît les problèmes de silicose. Dans les années 50, de jeunes ouvriers qui creusent les bowettes en meurent bien avant 40 ans en raison de la foration à sec qui émet beaucoup de poussières. L’utilisation massive de l’eau à partir de 1954 permet de réduire fortement les poussières. Si la silicose ne tue plus, elle continue à affaiblir chez certains la capacité à respirer : les plus atteints finissent leur vie avec des bouteilles d’oxygène pur à leur côté…

Les accidents du travail

Les conditions de travail sont difficiles en elles-mêmes (peu de visibilité, poussière, chaleur, bruit, matériel lourd, etc.), et ces difficultés sont accentuées par le fait que le chantier bouge tout le temps.

D’où les accidents de circulation, de manutention, liés à la chute des pierres, à des jets d’air comprimé, etc. Tous les jours il y a des blessés (généralement légers, mais pas toujours). Et des mineurs deviennent inaptes, pour cause de début de silicose, de surdité, de dos cassés…

Ces métiers ont aujourd’hui disparu. Malgré tous les dangers, ils faisaient la fierté des mineurs. Bien qu’ayant été organisé avec les méthodes tayloriennes (les métiers de production étaient payés à la tache), ils laissaient plus d’autonomie que bien des métiers d’ouvriers, y compris professionnels, et la paye était aussi supérieure (18 % de plus que les métiers de jour de même niveau). Mais la plupart des mineurs souhaitaient un autre métier pour leurs fils.

Renaud les a chanté :

Dù qu’i sont tout’s chés compagnies ed’ mineurs
Qui allottent ed’ sous terre faire ech’ dur labeur
Au pic, à ltriv’laine, rassaquer ech’ carbon
A l’abattache, au herchache, dù qu’i sont?

Dù qu’i sont tous les mineurs du grand saquache
A l’bowette, à front ed’ talle, à l’accrochache
Méneux ed’ quévaux, raccommodeux, porions
Nou pères, nou hardis taïons, dis dù qu’i sont?

Dù qu’i sont chés rires ed’ chés filles à gaillettes
Oubliant leu peines pour einn’amourette
Au moulinache, ouvrant comme chés garchons
Nou lampistes et leu taillettes, dù qu’i sont?

Dù qu’i sont, i vous d’mind’ront un jour vou gosses
Les souv’nirs ed’chés gins qui allottent à l’fosse
Pus d’chevalets, pas d’terrils, et pas d’corons
‘vous lamint’rez aussi, dù qu’i sont?
Dù qu’i sont tout’s chés compagnies ed’ mineurs
Porions, galibots, calins, ou ingénieurs
Lampistes, filles à gaillettes, carrieux d’carbor’
Nou terrils, nos molettes, dis dù qu’i sont?

Dù qu’i sont chés bons jonnes ed’douze tréize ans,
Au fond pousseux ed’ barrous, les pieds in sang,
Au jour trieux ed’ caillaux et d’bon carbon,
Nou z’archelles ed’ galibots, dù qu’i sont?

Dù qu’i sont les Sainte Barbe et les ducasses
Les fêtes ed’ famille, les guinces, les fricasses
Loin d’chés grèv’s et d’chés accidints du fond
El’tarte à gros bords, les canchons, dù qu’i sont?

Refrain

Dù qu’i sont les viux corons ed’ chés mineurs
Dù qu’in partageot insonne les bonheurs,
L’amitié all’ s’trouvot sus l’seul ed’chés masons
Les bons momints à ch’pignon, dis dù qu’i sont?

I sont rintrés dins l’légende ed’ nou sièque
A l’fosse nou pères ont souffert, ont péri
Leu durts misères méritent qu’in les respecte
Conservons leu chevalets, et leu terrils

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