Les abeilles semblent se plaire en ville, c’est en tous cas ce que dit la rumeur publique. Du coup, de nombreuses initiatives, individuelles ou collectives conduisent à une nouvelle implantation, notamment sur les toits et terrasses. A Paris, le nombre de ruches serait passé de 96 à 1 500 entre 1988 et 2018.
L’article du Monde où j’ai trouvé cette dernière information s’inquiète de l’effet sur la biodiversité de cette vogue. La concentration des ruches sur un territoire somme toute limité mettrait en péril les autres espèces butineuses : bourdons et abeilles solitaires comme les osmies. Tout cela, souligne le journaliste, également poussé par une logique « business », de la part d’entreprises qui veulent s’afficher écoresponsable ou de ceux qui vendent le miel à des prix astronomiques, jusqu’à 150 € le kilo.
Le journaliste s’appuie notamment sur une étude d’une chercheuse, Isabelle Daloz (qui se trouve être la nièce d’Hélène Langevin). Celle-ci est spécialisée sur le sujet depuis longtemps et a notamment publié (avec d’autres) un article intitulé « La ville un désert pour les abeilles sauvages ». Si le porte-parole de l’Union Nationale de l’apiculture française conteste cette thèse, celle-ci est soutenue par le président de la Société centrale d’apiculture. A noter que le journal suisse « le Temps » avait alerté à ce sujet dès 2018
L’article du Monde continue ensuite sur la question des espèces abeilles domestiques sélectionnées par les apiculteurs, d’origine française, anglaise ou italienne.
A ce stade, il parait difficile à un non spécialiste de s’y retrouver. D’autant plus que pour le scéen arrive naturellement la question : le problème évoqué touche-t-il seulement Paris ou toute l‘Ile de France ? Le mieux est alors de faire appel à un apiculteur local, installé rue des écoles, Fabrice Bernard, qui a aimablement répondu à notre sollicitation. Voilà ce que nous avons reçu de cet échange.
Il existe bien une concurrence entre espèces : les modes de fonctionnement mis en évidence par Darwin concernent également les pollinisateurs. Fabrice a cependant souligné que toutes les espèces n’ont pas les mêmes cibles, certaines préférant telle classe de fleurs, d’autres une autre. Il y a bien sûr des recouvrements et donc des concurrences.
Fabrice n’a pas de ruches à Paris mais un de ses amis apiculteur qui en a quelques-unes lui disait récemment que c’est là qu’il avait fait sa meilleure récolte cette année. Mais cela peut évidemment être très variable selon les années et les endroits de Paris. Fabrice n’a pas observé le problème sur les diverses zones où il a des ruches (dont le parc de Sceaux), ce qui ne signifie pas qu’il n’existe pas.
Nous avons ensuite abordé la question des espèces d’abeilles domestiques et de leur mortalité. Il est manifeste que celle-ci a augmenté ces dernières décennies. Elle était d’environ 5% il y a 30 ans et aujourd’hui Fabrice se donne comme objectif chaque année de récupérer suffisamment d’essaims pour remplacer si besoin jusqu’à 30 % de ses ruches.
L’une des raisons renvoie à ce que dit l’article du Monde sur les espèces : pour diverses raisons, on a favorisé l’implantation d’espèces venant du Sud (par exemple d’origines italiennes) mais celles-ci ne sont pas forcément adaptés à tous les types d’épisodes climatiques que l’on peut connaitre en France, ce qui augmente la mortalité. Cela le conduit à privilégier l’espèce d’origine française.
Une autre raison est la pratique dans certaines régions de la monoculture. En ville, la très grande diversité des fleurs cultivées fait qu’il y a du pollen récoltable pendant une large partie de l’année.
Fabrice nous explique aussi que le déclin des abeilles est beaucoup moins important que celui d’autres insectes, parce que l’homme s’en occupe. En revanche, si l’homme cessait de s’en occuper, le déclin serait probablement très rapide. Mais il est probable qu’on pourrait dire la même chose d’autres espèces animales domestiquées, à commencer par les bovins et les ovins !