D’où viennent ces noms qui nous sont d’une origine obscure et pourtant familiers. Sorcière et fée sont issues des mots latins sors et fata. Leurs sens étaient différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui en français. Mais tous deux faisaient référence au destin. Quelques mots d’explication.
Sort, sorcière, sortilège
En latin, le mot sors (un nominatif) désignait le petit objet qu’on mettait dans une urne pour tirer au sort : caillou, tablette, lamelle, baguette, portant des inscriptions »[1]. Le génitif est sortis.
Par extension, ce mot en est venu à désigner l’acte lui-même, le tirage au sort,
puis le résultat de ce tirage au sort, l’oracle,
et donc le destin signifié par cet oracle,
ainsi que l’être humain qui tire au sort, le diseur de sort (sorciara en bas latin).
Enfin ce diseur de sort a été assimilé au jeteur de sort.
Ces derniers étaient donc, comme nos sorciers et sorcières, des êtres humains dont on pensait qu’ils pratiquaient la magie.
La plupart d’entre eux étaient aussi quelque peu devins, comme la Taufpatin de Raiponce[2] qui sait que l’enfant à venir sera une fille.
Dans les traditions où un personnage avait pour fonction d’être le médiateur du groupe entre le monde surnaturel et celui des hommes, on utilisait souvent le mot sorcier, plus rarement sorcière, ou encore chamane en Sibérie. Jamais le mot fée.
Fata
Pour les latins, les Tria Fata étaient les Parques, les trois divinités de la destinée identifiées par les Romains aux Moires des Grecs. La première filait le fil de la vie de chaque être humain, la deuxième enroulait le fil, la troisième le coupait. Naissance, vie, mort.
Nul, même les dieux, ne pouvait changer le destin. Les dieux n’avaient pas tous les pouvoirs, il faut y réfléchir à deux fois.
Les Fata, comme nos fées, n’étaient pas humaines, mais faisaient partie d’un autre monde. Dans le centre de la France et dans ma région toulousaine, on appelle la fée une fade, au féminin, à ne pas confondre avec le fada, « celui qui a été touché par les fées » et qui y a laissé une partie de sa raison.
L’origine des fées et des personnages du monde surnaturel est en réalité très complexe et a fait l’objet de nombreuses controverses et recherches. De manière générale, il apparaît que les trois Fata ont été au cours du temps amalgamées :
— aux divinités champêtres gréco-latines, naïades des rivières et des sources, hamadryades des arbres, sylvains des forêts, fatuae et fatuis, les enfants de Faune et Fauna aux pieds de boucs et autres divinités inférieures, nymphes et satyres,
— auxquelles se sont combinées les Matres, les déesses-mères gauloises,
— et divers personnages issus de la mythologie nordique comme certains elphes blancs, eux-mêmes descendant de très anciennes divinités lumineuses et aériennes,
— sans oublier quelques revenants et autres êtres d’une nature non terrestre, mais très voisine d’une origine floue.
Fées et légendes dorées
Signalons d’emblée qu’une légende dorée est un récit qui trouve son inspiration dans des personnages religieux. Il se trouve que les fées, au cours du temps, ont parfois été remplacées par des saints, des anges ou même Dieu et Marie. On retrouve ici la tradition de transformation de cultes païens en rituels en accord avec la religion chrétienne. C’est là un schéma habituel de remplacement d’une religion par une autre, quelle que soit cette religion. Quand ce changement se produit à l’intérieur d’un conte, celui-ci peut en être radicalement transformé. Ainsi, dans le conte de Grimm « L’enfant de Marie », la succession d’épreuves subies par la reine n’a pour but que de lui faire enfin avouer la vérité, à savoir qu’elle avait ouvert, malgré l’interdiction formelle de la Vierge Marie, la porte de la treizième chambre (ou la porte interdite). Mais dans « La grande Fade » de mon enfance qui conte la même histoire mais avec une fée, la succession d’épreuves a pour but de vérifier si la jeune reine initiée saura, quoiqu’il lui en coûte, se taire et garder les secrets révélés et découverts lors de son initiation.
Et que dire des transformations subies par les romans de la Table ronde lors de leur écriture par Chrétien de Troyes, et de la mythologie nordique vue par Snorri Sturluson dans l’Edda, tous deux, chrétiens convaincus !
Sorcière ou fée ?
Les contes et récits récents des Anglo-saxons ont une vision de la sorcière très différente de celle que nous avons en pays latins.
Dans la série Bewitched (en français, Ma sorcière bien-aimée), qui eut un grand succès, la sorcière Samantha ressemblerait plutôt à quelque fée ou quelque personnage elphique. Elle vient d’un autre monde, elle a un pouvoir magique naturel et elle l’emploie à faire le bien des siens. Comme Mélusine, mais une Mélusine apprivoisée.
Le monde de Harry Potter se confond parfois avec celui des humains, mais il en diffère notamment par sa localisation dans un espace différent : celui de la magie. En outre les pouvoirs des sorciers sont innés. On peut les apprivoiser et les cultiver, pas les acquérir. Alors que les sorciers des pays latins doivent les acquérir.
Sorciers et sorcières à la française
En France, les sorciers et les sorcières sont des personnages qui soignent par des potions, magiques ou non, et par des incantations. C’est de la magie blanche. Mais cela devient de la magie noire quand potions et incantations provoquent maladie, mort, malheur et destruction. Et ils ou elles peuvent lancer des sorts, bénéfiques parfois, le plus souvent mauvais.
Dès le XVe jusqu’au XVIIe siècle, l’Église catholique, et ensuite les églises protestantes, irritées par cette concurrence, ont entrepris de faire disparaître ces pratiques. Les sorcières et les sorciers ont été accusés de tenir leurs pouvoirs du diable. Ainsi, dans le conte de Grimm Dame Trude, Trude étant la sorcière en allemand, il est dit que celle-ci fait des choses « mauvaises et impies », c’est-à-dire contraire à la religion, et elle apparait comme « le diable en personne avec des cornes sur la tête ».
On a accusé les sorcières de pratiquer des sabbats où elles faisaient allégeance au diable, généralement luxurieux, ainsi que des messes noires où des enfants étaient sacrifiés. A noter que les juifs ont été accusés de choses similaires. On utilise la même fiction :la calomnie est une arme constante contre ceux que l’on veut détruire.
Un pied dans chaque monde
Parmi les personnages imaginaires, certains appartiennent aux deux mondes à la fois. La Baba Yaga russe est une femme, mais elle vit dans un endroit où la magie est présente. Merlin est fils d’une femme et d’un esprit, être d’un autre monde que l’on nomme dans certains récits un duze.
Héraclès ou Hercule, Achille, Thésée, Hélène et quelques autres demi-dieux grecs ou « héros » sont enfants d’une déesse et d’un homme (comme Achille) ou d’un dieu et d’une femme (comme Thésée). Pharaons et empereurs de Chine étaient déclarés dieux sur terre.
D’autres passent d’un monde dans l’autre. Morgane et Viviane sont des femmes qui, initiées par Merlin, deviennent fées à force de féer. Après sa mort, Ino devient la nymphe marine grecque Leucothée, qui aide Ulysse quand il risque d’être noyé.
Les « transmutations » habitent la relation des hommes au magique, jusque dans des représentations atroces. Les enfants étaient sacrifiés par les Incas pour devenir des dieux. Des chrétiens pensaient qu’un enfant qui mourrait devenait un ange. Des personnages divins s’incarnent parmi les hommes.
Alors, si l’on vous traite de fée, méfiez-vous mesdames, songez à Carabosse. Mais quand on vous appellera sorcière, pensez Samantha !
Et comme les sorcières sont souvent plus surprenantes que les fées, nous finirons par l’étude de quelques sorcières de contes, dont la redoutable Baba Yaga russe.
Merci à J.CL. Herrenschmidt. Et merci de son rappel de portes ouvertes. Je ne saurais trop conseiller d’aller y faire un tour. Les Sabatier sont de grands illustrateurs.
Je possède ces trois ouvrages, bien sûr, comme la plupart des conteurs et conteuses, les lutins (1992), les fées (1996) et les elfes (2003). Les textes sont de Pierre Dubois. Je salue au passage le travail de Roland et Claudine Sabatier. Ce sont de merveilleux illustrateurs. Quiconque a travaillé en bibliothèque jeunesse, ce que j’ai fait durant 18 années à Vanves, connait, apprécie et respecte leur travail ainsi que leur capacité à varier techniques, dessins et univers selon le sujet. Et on ne peut que saluer la qualité du papier, de la reliure, des mises en page de l’éditeur Hoëbeke.
Dans ces trois ouvrages bien des personnages du monde de féerie peu ou pas connus à notre époque sont cités. Cela rend cette recherche utile et précieuse. On peut cependant s’interroger sur le choix d’assimiler certaines divinités anciennes aux fées, les trolls aux elfes, les faunes aux lutins. Des questions à soumettre à nos chercheurs sur le conte ? En tous cas l’ensemble, trois fois 180/190 pages bourrées d’illustrations variées et fouillées, fourmillantes de détails, est un triple plaisir pour les yeux.
Je crois devoir signaler aux curieux que je sais nombreux à vouloir mieux connaître ce monde de l’invisible habité par les fées, sorcières, elfes, lutins et autres créations de l’imagination, comme le pensent certains, qu’il y a une somme méritant l’attention : « La grande encyclopédie des lutins, des fées, des elfes et autres petites créatures », ouvrage en trois volumes édité par HOEBEKE ÉDITEUR, écrit par Pierre Dubois et surtout illustré de manière magistrale par Roland et Claudine Sabatier. Ces derniers, Roland et Claudine, habitent à Sceaux au 22 rue de Bagneux (ne craignez rien ils ne sont animés d’aucune intention liberticide), et ouvrent toutes grandes leurs portes chaque année à l’occasion des « Journées Portes ouvertes » organisées par la Ville de Sceaux. Cette année ce sera les 14 et 15 octobre.