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Sciences et doute

La Gazette a publié le commentaire d’un lecteur, à propos d’un article sur la 5G. Ce commentaire comprend cette phrase, apparemment pleine de bon sens (et présentée comme telle) « en cas de doute, je m’abstiens ».

J’ai une méfiance un peu réflexe quand le bon sens est invoqué pour soutenir un raisonnement. Très souvent c’est pour justifier une position qui fait fi de toute analyse sérieuse. Ou pour défendre, sur un sujet donné, une opinion qui se garde bien de prendre en compte toutes les données du problème.

Prenons un exemple concret. Si je trouve des champignons et que je n’y connais rien, que j’ai des doutes sur leur caractère comestible ou dangereux, s’abstenir de les manger est une attitude sage. Mais dois-je pour autant empêcher des cuisiniers plus mycologues que moi d’en manger ? Il existe aussi une solution pour lever le doute : aller se renseigner auprès d’une personne compétente et habilitée en la matière, par exemple un pharmacien. Parce que la connaissance et la science permettent dans de nombreux cas de lever les doutes.

Nous habitons le pays de Descartes, celui qui justement a remis en doute quelques certitudes répandues à son époque, certitudes qui s’appuyaient généralement sur des traditions religieuses plus que sur des faits. Le doute de Descartes (on parle de doute cartésien) ne débouche pas sur l’abstention, ce n’est pas un sceptique, mais sur une méthode de réflexion. Celle-ci invite à douter de ses sens (parfois trompeurs), de ses préjugés, pour aller vers la connaissance.

Comme cela déjà été signalé ici, c’est l’industrie du tabac qui a, la première, utilisé la technique du doute pour contester un consensus scientifique qui ne l’arrangeait pas. Depuis, la pratique s’est multipliée. Pour tout et n’importe quoi, on considère qu’il n’y a jamais assez d’études pour décider, on met en avant une étude médiocre pour contester, on en appelle au bon sens du public, on agite les peurs.

En pratique, si on reste dans le doute permanent comme les sceptiques auxquels s’opposait Descartes, on n’invente pas le vaccin à ARN messager contre le Covid, on reste avec les vaccins traditionnels comme l’Astra Zenica mais on n’a pas le Pfizer.

Ce qui ne signifie pas qu’il ne faut pas prendre de précautions, au contraire. Si notre société est de plus en plus sûre, s’il y a moins d’accidents d’avion, de trains ou autres qu’il y a 50 ans, c’est parce qu’on a su concilier progrès technique et réduction des risques, en faisant des retours d’expérience et en mettant en place des méthodologies de plus en plus efficaces. Dans la lignée de Descartes et de son discours sur la méthode.

Prenons un exemple dans l’actualité : les procédures d’autorisation de mise sur le marché pour les médicaments. Elles ont été conçues pour s’assurer au maximum que le médicament apporte, dans les conditions d’utilisation pour lesquelles il a été autorisé, un rapport bénéfice/ risque suffisant, au regard de ce qui est disponible par ailleurs. La méthodologie, avec ses différentes phases, est le fruit de siècles de réflexion scientifique. Elle est aussi le résultat d’échecs dont on a su tirer les enseignements, pour éviter qu’ils se reproduisent.

L’affaire Raoult illustre un autre point : il est fini le temps où il suffisait d’une intuition forcément géniale d’un savant couvert de gloire pour justifier une théorie (argument d’autorité). On est passé à la médecine fondée sur des preuves. Et ces preuves doivent être solides et notamment s’appuyer sur une méthodologie rigoureuse.

Au-delà des aspects méthodologiques, extrêmement importants, la maîtrise des risques s’appuie souvent sur des valeurs limites. Le principe général est d’identifier (par des expériences) le seuil dangereux (en passant souvent par l’identification de celui qui est létal pour 50 % des cibles, par exemple des souris) et de prendre une valeur limite très en dessous

Prenons un autre exemple celui de la radioactivité : elle est mortelle à 100 % à partir de 5 S (Sievert). Le lien dose /létalité est linéaire (résultat des études sur les conséquences des bombes en 1945 sur le Japon), ce qui signifie qu’à 2,5 S, il y a 50 % de mortalité. En dessous de 0,1 S (écrit généralement 100 mS), il n’a pas pu être observé d’effet létal. D’un autre côté, il existe une radioactivité naturelle (comprise entre 2 et 5 mS en France), qui peut atteindre des niveaux supérieurs à 100 mS dans certaines régions du globe. Les limites pour le public et pour les travailleurs du nucléaire sont respectivement de 1mS/an et de 20mS/an.

Après des milliards d’années d’évolution, les organismes vivants ont développé de nombreux moyens de défense contre les agressions extérieures de toutes sortes. On pense par exemple au rôle des globules blancs ou du rein. Ces moyens de protection peuvent être débordés ce qui explique qu’ils soient efficaces jusqu’à une certaine dose mais insuffisants au-delà.

Je ne reviens sur la question des logiques d’intérêt déjà abordée ici que pour un mot : très souvent, cet argument est celui porté par ceux qui n’en ont pas d’autres face à un dossier scientifique approfondi. On l’a encore vu à propos du nucléaire « énergie verte ».

Si les preuves pour affirmer une théorie doivent être solides, il en est de même pour celles qui remettent en cause un consensus scientifique. Il ne suffit pas alors de produire une étude qui trouve des résultats différents, il faut être capable de montrer en quoi elle invalide les études précédentes.

Un petit mot en passant à propos d’Einstein et de la relativité générale, qui remet en cause les lois de Newton. D’abord, elles ne les remettent en cause qu’à la marge : pour des vitesses beaucoup plus faibles que celle de la lumière, celles-ci restent une excellente approximation. Ensuite, il faut savoir qu’Einstein ne s’est pas réveillé un jour avec l’idée de remettre en cause les lois de Newton. Il n’était pas un marginal, en dehors des questions scientifiques de son temps, tout au contraire : depuis 40 ans, les équations de Maxwell sur les ondes électromagnétiques, qui postulaient que la vitesse de la lumière était constante quelque soit le référentiel, remettaient en cause le modèle galiléen et de nombreux physiciens cherchaient à résoudre ce problème.  Les idées d’Einstein ont d’ailleurs été très vite admises par la communauté scientifique.

Le philosophe des sciences Karl Popper a mis l’accent sur l’idée de réfutabilité par l’expérimentation ou l’échange critique comme critère de démarcation entre science et pseudo-science. C’est bien la différence entre un Raoult qui affirme « je suis un génie, donc croyez-moi » et le fonctionnement de l’échange critique scientifique qui repose sur l’analyse des méthodologies et de l’interprétation des résultats. Douter, cela peut permettre d’approfondir un sujet, de vérifier les éléments de preuve qu’on vous apporte. Mais dire « je doute », ce n’est pas un argument scientifique de réfutation !

Alors, bien sûr, on peut refuser la méthode scientifique. Mais il ne faut pas s’étonner alors de se retrouver avec des charlatans.

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