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Bêtisier # 7 : Une surmortalité deux fois plus faible à Sceaux

Dans l‘éditorial du numéro de juin 2020 de Sceaux Mag, Philippe Laurent se félicitait « d’une communauté solidaire, responsable et mobilisée contre une adversité insaisissable ». Selon lui, « grâce à cet esprit de responsabilité la surmortalité enregistrée à Sceaux a été deux fois moindre que celle constatée dans le département ».

Mais vérification faite, la comparaison entre la mortalité en mars et avril 2020 et les mêmes mois de 2019, telle que l’a faite l’Insee donnait les résultats suivants : +90% en Ile-de-France, +96% à Sceaux et +113% dans les Hauts-de-Seine. Pour expliquer ces différences, nous avons poussé un peu plus loin l’analyse.

Petit résumé pour ceux qui n’aiment pas trop les chiffres

  • Sceaux est trop insérée dans son environnement pour avoir des résultats sanitaires vraiment différents de ses voisins : les virus ne connaissent pas les limites communales.
  • Le nombre mensuel de décès à Sceaux est faible et soumis naturellement à des variations aléatoires : il faut être prudent dans l’interprétation des variations de chiffres.
  • L’Insee analyse les effets du Covid sur les seuls mois de mars et avril 2020 en les comparant avec 2019 et 2018. Sur ces périodes, la surmortalité à Sceaux est du même ordre de grandeur que celle observée dans le 92 et en Ile de France. Pour arriver à des résultats différents, la mairie a choisi une base et une référence plus larges (5 mois et quatre dernières années), donc une présentation biaisée.
  • La mairie a aussi présenté la mortalité (élevée) des maisons de retraites avec des commentaires ubuesques

Une ville insérée dans la région

Se peut-il que la mortalité observée à Sceaux pendant la pandémie soit révélatrice de la qualité sanitaire dans cette ville ? Sceaux n’est pas une ile isolée loin des autres villes du département ou de la région. 85 % des actifs scéens travaillent en dehors de la commune. 77 % des emplois à Sceaux sont occupés par des non-Scéens. Beaucoup de ceux qui fréquentent les lycées et établissements supérieurs de la ville ne sont pas Scéens. On peut dire la même chose pour les commerces.

Alors certes, le confinement a beaucoup ralenti ces échanges (c’était le but), mais il ne les a pas tous supprimés. Et les contaminations d’une partie de ceux qui sont décédés ont eu lieu avant le confinement.

Des raisonnements approximatifs et orientés

Le propos n’est pas ici de montrer que la surmortalité a été plus ou moins élevée que chez nos voisins (cela n’a pas beaucoup de sens comme expliqué plus haut) mais de montrer que les résultats avancés ne reposent pas sur un raisonnement mathématique sérieux, et, même, sont volontairement biaisés.

L’INSEE a régulièrement évalué la surmortalité liée au Covid, notamment lors de la « première vague ». Elle l’a toujours fait en prenant le nombre de décès à partir du 1er mars, et en faisant des comparaisons avec l’année précédente (2019) et l’année d’avant (2018), sachant que la mortalité avait été plus faible en 2019, sur cette période au moins.

Sceaux Mag n’explique pas comment a été calculée la surmortalité à Sceaux. Mais le sujet a été abordé lors de la séance du 11 juin 2020 du conseil municipal. Comme tout le monde n’a pas le même amour des chiffres que l’auteur de ces lignes, on trouvera toutes les données en bas de page. La note présentée en séance prend les décès de Scéens sur 5 mois (janvier à mai) et depuis 2016, pour comparer les résultats sur 5 mois entre 2020 et la moyenne des 4 années précédentes. La note ne donne pas les mêmes valeurs pour les Hauts-de-Seine ni la surmortalité constatée en 2020 dans le département.

Comme la logique consiste à suivre les modalités de calcul de l’INSEE, LGdS a demandé à la mairie les données mensuelles pour 2018, 2019 et 2020 (voir en bas de page).

Un raisonnement qui porte sur des valeurs très faibles

La surmortalité en 2020, sur la période de 5 mois choisie dans la note de la mairie, est de 16 % par rapport à 2018 et de 56 % par rapport à 2019. Cette très importante différence s’explique simplement : on est sur des valeurs très faibles qui varient aléatoirement, ce qui est normal. C’est ainsi que le nombre de décès de Scéens est deux fois plus élevé en janvier 2018 que le mois suivant. Il faut donc être prudent sur les conclusions que l’on peut tirer des chiffres observés.

Le mois d’avril 2020 est cependant sans conteste un mois exceptionnel. Il y a eu ce mois-là 33 décès, quand les 34 autres valeurs mensuelles en 2018, 2019 et 2020 se situent entre 7 et 22. L’explication de cette exception est bien sûr le Covid-19.

Comparaison sur mars avril

S’il serait illusoire de vouloir tirer on ne sait quelle conclusion sur l’effet de l’épidémie de Covid-19 sur la mortalité à Sceaux, on peut estimer l’ordre de grandeur de cette surmortalité, à partir des données mensuelles à Sceaux et des données de l’INSEE.

Sur le total des seuls mois de mars et avril, on compte 30 décès de Scéens en 2018, 25 en 2019 et 49 en 2020. La surmortalité de 2020 est de 63% si l’on compare avec 2018, de 96% si l’on compare avec 2019. Une note de l’INSEE dont la première parution est d’avant le conseil municipal du 11 juin, donne une surmortalité par rapport à 2019 de 90% en Ile-de-France et de 113% dans les Hauts-de-Seine. Dit autrement, la surmortalité à Sceaux a été du même ordre de grandeur que celle constatée dans le département et la région. L’affirmation d’une mortalité deux fois plus faible à Sceaux n’est donc justifiée que par une présentation biaisée des chiffres (en calculant sur 5 mois et en se référant aux 4 années précédentes, on introduit des données qui font baisser la surmortalité apparente).

Le cas des maisons de retraites

La note présentée au conseil municipal comprenait un focus sur les maisons de retraite, avec un tableau sur le nombre de cas observés (par test) et le nombre de décès. Un commentaire qui se finissait par la phrase suivante : « Sceaux est donc très en dessous des chiffres nationaux ou de l’Ile de France.« 

Le mot « donc » dans cette phrase devrait impliquer une déduction de ce qui est expliqué au-dessus. Or en fait, le texte donne la surmortalité en France et en Ile-de-France, mais pas dans les maisons de retraite scéennes, ce qui ne permet évidemment pas d’en conclure quoi que ce soit.

Si on veut malgré tout faire des comparaisons, on peut observer qu’il y a eu au total 21 décès pour 305 résidents à Sceaux. Ramené aux 700.000 (environ) résidents en EHPAD en France, le même taux de mortalité donnerait 48.200 décès, soit environ quatre plus que le nombre réel. Encore une fois, on ne peut rien en conclure, on est sur des valeurs faibles.

Les explications données en séance

Francis Brunelle, 4ème adjoint au maire en charge des questions de santé publique donne les explications suivantes :

Si l’on compare la surmortalité de 24 % de la ville de Sceaux par rapport à la France entière et surtout avec les Hauts-de-Seine, où la surmortalité a été de +308 % (triplement), on constate que Sceaux est très en dessous des chiffres nationaux ou de l’Ile-de-France.

Procès-verbal de la séance du conseil municipal du 11 juin 2020, page 19

Cette fois, on aurait une surmortalité 13 fois plus forte dans les Hauts de Seine qu’à Sceaux ! L’orateur semble avoir lu (trop vite) les données de la note et en a fait un joli boulgi boulga entre la surmortalité sur 5 mois dans l’ensemble de la ville et celle sur deux mois dans les seuls EHPAD. En passant, il reprend une énormité déjà présente dans la note : non, une augmentation de 300 % ne correspond pas à un triplement mais à un quadruplement !


Données évoquées dans cet article

  1. Premier extrait de la note de présentation intitulée « rapport relatif à la gestion et à l’impact de la crise sanitaire du Covid-19 », lors du conseil municipal du 11 juin 2020  

Sur la période du 1er janvier au 31 mai, le nombre de décès depuis 2016 est de :  
• 2016 : 26 décès et 44 transcriptions, soit 70 décès
• 2017 : 31 décès et 46 transcriptions, soit 77 décès
• 2018 : 26 décès et 48 transcriptions, soit 74 décès
• 2019 : 14 décès et 41 transcriptions, soit 55 décès
• 2020 : 44 décès et 42 transcriptions, soit 86 décès 
Le nombre de décès constaté à Sceaux entre janvier et mai 2020 augmente de 24 % par rapport à la moyenne des décès des 4 années précédentes (69 décès/an en moyenne). 

2) Somme des décès recensés à Sceaux et retranscrits (données mensuelles, fournies par la mairie à la demande de LGdS)

Mois201820192020
Janvier202114
Février91614
Mars141116
Avril161433
Mai151315
J+F+Mai445043
Mars + Avril302549

3) Les EHPAD et la résidence autonomie de mars à mai 2020

Extrait de la note de présentation déjà citée ci dessus

Nom de l’équipementNbre de résidentsDécès
Résidence autonomie Les Imbergères480
EHPAD Renaudin845
La Faïencerie1219
EHPAD Korian Saint Charles527
Sur la France entière, les décès en EHPAD représentent 50% des décès. Le bilan au 4 mai est de 12 769 décès sur les 25 531 sur la période du 1er mars au 20 avril, un fort pourcentage a été hospitalisé et est décédé à l’hôpital. La surmortalité en EHPAD pour la période du COVID en Ile-de-France est de + 172 %, et de + 308 % (triplement) pour les Hauts de Seine. Sceaux est donc très en dessous des chiffres nationaux ou de l’Ile de France.

Pour aller plus loin

  1. https://www.sceaux.fr/sites/default/files/deliberations/2020-06-11/2020-06-11-NP-02%20-%20Rapport%20bilan%20confinement.pdf
  2. https://www.sceaux.fr/sites/default/files/2020-07/2020_06_11_sceaux_conseil_municipal_approuv%C3%A9.pdf
  3. https://www.sceaux.fr/publications/sceaux-mag-juin-2020
  4. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4500439?sommaire=4487854

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