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Les camps et l’enfant

TÉMOIGNAGE En début de semaine, la Gazette de Sceaux a publié un article relatant la visite en Pologne d’un groupe de lycéens de terminale du lycée Marie-Curie. Ils ont passé une journée à Auschwitz et à Birkenau. Cela les a beaucoup marqué souligne l’article.

Tout le monde le comprend et, ayant visité les camps nazis polonais alors que j’étais enfant, je peux témoigner de la trace indélébile que cela a laissé en moi, en mal comme en bien. Si cela m’a en effet aidé à me forger des convictions, cela m’a aussi bouleversé et marqué durablement. …Il m’a paru important de témoigner du choc que de telles visites peuvent provoquer sur de jeunes esprits, afin d’aider à la prise de décision de parents qui hésiteraient.

Visiter les camps nazis relève du devoir de mémoire, mais aussi de l’épreuve 

C’est déjà vrai pour un adulte mais cela l’est encore plus pour un enfant. Certaines images, certains récits, certaines photos exposées qui ont été captés sur place demeurent gravés dans ma mémoire. Ce sont précisément celles et ceux que mon imagination d’enfant en âge de comprendre a en quelque sorte complétés, pour en faire de véritables souvenirs, mêlant perception des sens et travail de l’esprit.

AUSCHWITZ Crédit : Wikimédia Commons

C’est par exemple le cas pour la routine selon laquelle le détenu chargé d’accompagner un codétenu à la mort, sait que son tour viendra le lendemain. La torture psychologique nazie que cela suppose m’a particulièrement marqué et j’ai « vu » la scène en imagination. Même chose pour le fonctionnement industriel des fours.

Autrement dit, les lieux, images et récits ne suffisent pas, il faut aussi et surtout le travail de l’imagination. Le cocktail qui en résulte est plus ou moins bouleversant, selon la nature, la sensibilité et le parcours de chacun.

Mais l’enfant ne dispose pas des défenses et des filtres de l’adulte pour se protéger de l’impact de ce cocktail. Je me souviens avoir été bien malade en sortant d’Auschwitz.

Certes, il ne faut jamais oublier ce qui s’est fait dans les camps, mais cela ne doit pas être au prix d’un trop important choc émotionnel. Le risque pour l’enfant est bien plus grand que pour l’adulte.

Fort heureusement l’impact négatif et sombre de ces visites a été plus que compensé par l’accueil de ma famille polonaise, de sorte que ces voyages ont finalement fabriqué de très bons souvenirs.

Madeleines de Proust polonaises

D’origine polonaise du côté maternel, nous sommes allés avec mes parents deux fois de l’autre côté du mur alors que j’étais enfant. J’ai des souvenirs attendris des rencontres d’une ville à l’autre, autour de Jelenia Góra, Wieruszów, Wroclaw et de Cracovie.

Jelenia Góra Crédit : Wikimédia Commons

Ce qui constituait l’unité de ton pour le jeune enfant que j’étais alors, plus que la langue polonaise ou l’air de famille de tous mes cousins, c’était la chaleur humaine simple et authentique que chaque foyer qui nous accueillait nous prodiguait mais aussi, et presque surtout, des souvenirs gustatifs en particulier celui du thé à la slave à toute heure et celui de la charcuterie fumée : ma mère se prénommant Madeleine, ce sont des madeleines de Proust à la polonaise…

Cauchemars

Cela étant,  si les cauchemars faits au retour de Pologne tenaient sans doute à la succession de camps visités ainsi qu’à leur gigantisme, le pire souvenir d’un camp de concentration visité vient d’un plus petit camp nazi situé sur le territoire français : le camp alsacien du Struthof.

Le camp du Struthof Crédit : Wikimédia Commons

Le souvenir en est vivace pour deux raisons : l’impression ressentie à partir de nombreux détails que les victimes viennent tout juste de disparaitre, que l’on peut encore en croiser, et l’histoire du sauteur à la perche polonais rattrapé après être parvenu à sauter au-dessus des clôtures. L’officier SS commandant le camp lui avait promis la liberté s’il parvenait à sauter une nouvelle fois par-dessus les clôtures, ce qu’il parvint à faire après un long entrainement fort difficile pour un détenu dénutri. Vous devinez comment l’histoire se termine… avec des chiens…Visiter les camps révèle l’absence de limite de la bestialité humaine et l’imagination du visiteur fait le reste, alors prudence pour les enfants.

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