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Kevin et les nourritures terrestres

Ne vous fiez pas à son nom comme sorti d’une nouvelle d’Alphonse Allais. Le Porcelet Rose est un lieu de gastronomie ; sa devanture abondante et colorée le montre dès l’abord. Poussez la porte et c’est un présentoir vitré couvert de dix pâtés en croûte différents. Tout autour, le long des murs et des comptoirs réfrigérés, c’est une pléiade de produits. A l’arrière, invisible, sur deux niveaux : la cuisine, on dit le labo. Il faut du monde pour faire tout ça. Et le Porcelet Rose, c’est quelque vingt-cinq personnes. Parmi elles, Kevin Guerin, 30 ans, grand, mince, responsable des ventes. Comment est-il donc arrivé là ?

L’arrivée

Comme souvent, rien ne l’y disposait a priori. Il passe un bac qui ne l’intéresse guère, confie-t-il, souhaitant travailler au plus tôt et non pas continuer ses études. Un cousin qui tient une modeste rôtisserie lui propose un remplacement de quelques mois. Un « service midi » sous pression dans une zone d’entreprises. Les paninis, les pizzas, les poulets rôtis, les salades, pourquoi pas ? Il n’y aurait pas pensé un an plus tôt, mais le contact avec les gens, ça lui plaît vraiment.

Le remplacement terminé, il cherche une place similaire. Pôle Emploi. Une proposition à Courbevoie. Envoi dare-dare d’un CV et d’une lettre de motivation. L’entretien se passe bien. Il a 22 ans. Il commence. Ses patrons, un couple de son âge, Melissa et Benjamin Delaye, de vrais charcutiers, eux. Il découvre le monde de la prouesse culinaire. Pour un esprit curieux, c’est un horizon qui s’ouvre.

Ce sera quatre ans, tout près de la Défense, avec le peuple des bureaux qui débarque pour déjeuner. Le midi, c’est le feu. Il y en a qui ne supportent pas, Kevin, lui, aime ça. D’autant que les produits ont fière allure. Les patrons viennent de l’écoleFerrandi[1], ce qui change tout. Il apprend. Ce sont des variétés de salades aux compositions surprenantes, des jambons et des saucissons venus de régions lointaines, des plats cuisinés jamais banals, un sens de l’ornementation des produits traiteur. Apprendre c’est son mot ; il est gourmand de ce côté-là. Mais pas seulement du côté théorique. Il goûte aussi, pour connaître, il prend des kilos. Ça rend jaloux, parce que rester mince en prenant des kilos, ce n’est pas juste 😉.

Quand Melissa et Benjamin Delaye veulent plus grand, vendent, s’installent à Sceaux, Kevin, à Courbevoie, trouve de nouveaux patrons très gestionnaires. Le faire les intéresse peu. Ils attendent des résultats, entendez financiers. Kevin a 26 ans, Il ne trouve plus son compte. « Je suis sérieux, de confiance, dit-il sans forfanterie. » Il faut croire : quelques mois plus tard, il commence au Porcelet Rose.

Agenda serré

Être responsable de la vente, pour Kevin, c’est comprendre l’équipe, épauler les débutants, faire confiance aux expérimentés, c’est coordonner les actions des 4 ou 5 vendeurs. En période d’affluence, il faut du réflexe : avoir l’œil sur les produits et leur mise en valeur sur les rayons. Savoir anticiper les réapprovisionnements pour ne pas manquer d’un produit sans en préparer trop, passer les demandes de nouvelles cuissons au labo… Le tout, en accueillant les clients.

Mais responsable ou pas, tous les vendeurs qui ne sont pas en congé commencent la journée à 7h30 quand il faut installer les produits : salades, compositions traiteur, charcuterie, plats cuisinés, fromages, desserts, couper les jambons pour la présentation, remettre les étiquettes. « C’est un vrai travail, croyez-moi, qui prend autour d’une heure et demie ».

Et puis, la boutique ouvre. La vente, c’est plein de choses, à commencer par la précision des gestes, le conseil aux clients hésitants, la juste compréhension de ce qu’ils expriment. « Et ne pas faire répéter, précise-t-il, en souriant. ». C’est travailler en sécurité avec les couteaux, les trancheuses.

[Tandis que sur un jambon à l’os imaginaire, il faisait une démonstration des gestes à éviter, je me souvenais des charcutiers qui, il n’y pas si longtemps, avançaient vers la lame tournante une main que rien ne protégeait.]

Entre 13h30 et 15h, déjeuner, détente. La boutique rouvre. « Vers 19h30, on commence à placer sur des chariots, les « traiteurs » qui se vendent peu le soir, les clients pressés de rentrer chez eux achètent surtout des quiches, des salades ou des plats cuisinés. »

Ils ferment à 20h. Ce sont de longues journées, comme dans tous les commerces de bouche, les boulangeries, les boucheries. « Les grandes amplitudes sont dans la culture de nos métiers. Nous avons les congés en rapport. J’ai deux jours et demi par semaine. »

Il évoque le labo et leur charge de travail sur la journée tout entière : la réception du frais, viandes, légumes, qui arrive chaque jour ; la préparation, le matin, des plats pour la journée, puis les réappros à la demande. Il y a d’habitude les repas d’entreprises, les mariages, les baptêmes, la sous-traitance pour d’autres charcuteries que la notoriété des produits a permis d’accroître.

Le besoin de changement

Kevin n’a pas besoin de longues démonstrations. Ses yeux parlent d’eux-mêmes, ils disent que son métier, c’est lui, et qu’il ne regrette certainement pas des études supérieures. Que trouve-t-il parmi les tomates confites et la coriandre, lui qui vient d’Argenteuil où le riz Joséphine ni le pâté de faisan ne faisaient l’ordinaire ou même l’extraordinaire ? Le savoir-faire. Le renouvellement. Il ne se lasse pas. Les clients changent, le patron aime innover, les produits changent. À côté des terrines classiques, ce sera une terrine basque travaillée sur une base campagne avec du piment d’Espelette.

« Quand on a essayé, se souvient-il, les oeufs meurette sur une mousseline de chou-fleur, c’était un pari. 50 sont partis en un jour. J’aurais plein d’autres exemples. Nous avons des clients curieux ; ils veulent se faire plaisir, essaient de nouveaux produits, hésitent, nous font confiance. C’est très motivant. »

Noël arrive avec son catalogue d’entrées prestige, de foie gras, de pâtés en croûte, avec (hommage à Brillat-Savarin) l’oreiller de la belle Aurore, avec des plats cuisinés aux astucieux raffinements. Avec une clientèle à l’exigence redoublée par les frustrations du confinement. Avec un mélange de gourmandises qui fait cette variété qu’il aime. « Pas un jour n’est comme un autre, dit-il. Pas un client n’est comme un autre. » Il suffit de le regarder pour comprendre que son plaisir est là.


[1] L’école Ferrandi est une grande école de cuisine située à Paris.

  1. Michel Corinne Michel Corinne 8 décembre 2020

    Quel joli portrait de Kevin, plein de poésie, de curiosité intellectuelle lorsqu il évoque la passion de son métier de vendeur en charcuterie, alors qu il n était pas forcément destiné au départ. Il s est vite intéressé à l élaboration des produits travaillés avec originalité, passion,découvrant avec une certaine poésie toute la palette de gouts,de creations culinaires incroyables élaborés par ses jeunes patrons,ayant suscité chez lui cette passion. Kevin s est épanoui au sein de leur équipe et grâce à ses qualités d écoute auprès de la clientèle il va au plus près de leurs demandes,avec empathie et bienveillance .
    Bravo Kevin.

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