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Débordements policiers : inacceptables mais inévitables ?

Trois policiers tabassent un simple passant, Michel Zecler, après avoir forcé sa porte et sans raison apparente. Heureusement pour le passant, tout a été filmé. Cette affaire pose forcément question. On se propose ici de prendre du champ sur le sujet, en s’appuyant pour commencer sur une réflexion menée dans une autre institution ayant également l’usage de la force et également menacée par les bavures : l’armée.

L’exemple de l’armée

Je vais m’appuyer sur un article écrit sur son blog par Michel Goya, colonel, enseignant et spécialiste d’histoire militaire. L’article est récent (1er juin 2020) mais je considère que c’est celui qui m’a donné le plus à penser, tous sujets confondus, depuis de nombreuses années.

L’article expose comment l’armée française s’est organisée pour réduire au minimum les bavures. Il faut en effet se dire qu’avec des milliers d’équipes intervenants partout dans le monde, il est impossible d’éviter qu’il y ait des bavures, la question est donc d’en faire baisser le nombre au maximum. La question est bien sûr la même pour la police : avec des dizaines de milliers de policiers, il est impossible d’éviter qu’un individu dérape. Mais il y a des moyens de limiter. Par exemple, ce n’est pas un hasard si les gendarmes vont toujours par deux.

J’invite le lecteur à lire l’article de Michel Goya. Mais comme il est long, je vais ici en exposer quelques extraits :

  • La guerre d’Algérie a été un traumatisme collectif pour notre armée (et pas que bien sûr) dont nous sortons difficilement. Une des thérapies a consisté à nous bourrer le mou, au moins celui des officiers et sous-officiers, avec l’éthique et la déontologie du métier des armes. Ce traumatisme et même cette thérapie ont pu induire longtemps, une forme d’inhibition dans l’emploi de la force (« le non-emploi raisonné de la force », « réussir sans esprit de victoire » choses entendues) mais cela a porté ses fruits.
  • Ajoutons un élément essentiel : la professionnalisation, au sens de maîtrise de compétences. Un général israélien me disait un jour : « Ce qu’on vous envie ce sont vos caporaux-chefs, des gars qui ne pètent pas un câble et défouraillent parce qu’on leur jette des cailloux. Nos soldats et nos cadres de contact sont des appelés de 20 ans. C’est dur d’être toujours calme à cet âge ». Il ajoutait que dans les opérations complexes, ils préféraient envoyer des réservistes, des pères de famille qui courent moins vite mais sont plus pondérés.
  • La maturité de celui qui va au contact des évènements doit être proportionnelle à la difficulté de ce contact. Il faudra qu’on m’explique à cet égard pourquoi des institutions comme l’éducation nationale ou la police font exactement l’inverse et envoient leurs « bleus » dans les endroits les plus difficiles, pour s’étonner ensuite de constater des problèmes.
  • L’intérêt de la professionnalisation, c’est aussi d’avoir le temps d’observer les gens et leur degré de dangerosité. Si 70 % des militaires sont en CDD, c’est aussi pour être capable de virer ceux qui présentent des risques élevés de « connerie ». On ne réussit pas toujours mais c’est plus facile que lorsqu’on doit conserver par statut tous les boulets pendant très longtemps

Quel rôle de la hiérarchie à tous les niveaux ?

Il faut noter que l’expérience n’est pas une garantie de qualité : Derek Chauvin, le policier américain qui a tué George Floyd, avait 44 ans et un de nombreuses années de métier. Mais il avait déjà dans son dossier de quoi au moins le sortir du terrain dix fois. De même, les policiers qui ont tabassé Michel Zecler n’étaient pas des débutants. On peut cependant s’interroger sur l’ambiance qui régnait dans leur commissariat, au regard de l’attitude de leurs collègues appelés en renfort. Et noter que les changements mis en avant par le colonel Michel Goya ont commencé par le niveau des officiers, autour des questions d’éthique et de déontologie.

La France a peut-être besoin de revoir sa police de la cave au grenier. En sachant que cela prendra beaucoup de temps, bien au-delà de ce qu’on accorde habituellement aux politiques : Michel Goya nous parle de l’influence sur l’armée d’aujourd’hui de ce qui a été fait après la guerre d’Algérie !

Positivons cependant en nous intéressant au syndicat majoritaire chez les officiers et commissaires de police : le syndicat des cadres de la sécurité intérieure, affilié à la CFDT. Et lisons ce qu’il raconte à propos des réformes à mener : Sortir la police des crises à répétition pour la réformer enfin.

Le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, s’est déclaré scandalisé par le comportement des trois policiers du 17ème arrondissement. Il ajoute que l’institution qu’il dirige ne tolère pas ce type de comportement et rappelle pour le prouver que »En 2020, trente-neuf policiers ont été exclus de la police nationale, trente-quatre en 2019« .

Des points de vue de terrain

Sous l’article du Monde relatant les propos de Frédéric Veaux, on peut lire le témoignage suivant :

Policier depuis 26 ans en région parisienne voilà mon constat, La police d’aujourd’hui est à l’image de la société : plus violente, moins bien formée, plus individualiste et soumise à l’immédiateté de l’information.
Plus violente a l’image de la délinquance générale dont le degré de violence n’a jamais été aussi haut et généralisé.
Moins bien formée, le niveau de recrutement, la durée de l’enseignement réduit, le manque de formation continue et un encadrement déficient sont à mes yeux des explications.
Plus individualiste, la police a évolué comme la société. Si avant, il y avait un esprit de corps qui permettait une certaine cohésion mais surtout une sorte de tutorat des plus anciens vers les nouveaux cela n’existe plus.
Soumise à l’immédiateté de l’information, toutes les interventions sont désormais soumises aux réseaux sociaux, cela ajoute une pression considérable à toutes les actions même la plus banale.
Mais je suis certain que la police dans sa grande majorité est républicaine

On peut également lire trois réponses à ce témoignage, qui donnent également à penser, dans leur diversité :

1 : Comme vous semblez être de bonne foi, je vous pose une question de bonne foi : ne croyez-vous pas qu’il y ait un problème avec la BAC ? Seriez-vous d’accord pour une plus grande indépendance de l’IGPN ? Un petit témoignage, d’un citoyen, blanc: travaillant dans un quartier difficile, j’ai plusieurs fois assisté, depuis la fenêtre de mon travail, à un trafic. S’apercevant que je pouvais les voir, les trafiquants ont demandé à des enfants de caillasser les fenêtres de nos bureaux. Les fenêtres étant cassées, mon patron me demande d’appeler la police pour venir constater les dégâts, afin de pouvoir faire jouer l’assurance. Quand les policiers ont sonné et que j’ai ouvert la porte d’entrée du bureau, quatre cow-boys sont entrés en me plaquant contre le mur, comme dans les séries américaines. Après une fouille au corps et une vérification de mes papiers d’identité, ils se sont calmés et m’ont écouté. Quel QI faut-il pour réagir de la sorte ? Leur frousse était visible, et faisait pitié !

2 : D’accord avec vous sur l’ensemble : mais en ce qui concerne la formation les gardiens sont recrutés au niveau du bac, auparavant brevet, les officiers bac plus trois, auparavant bac, et les commissaires bac plus cinq. Auparavant bac plus trois puis bac plus 4. Formation en école et stage pratique 2 ans. Les policiers sont parmi les fonctionnaires qui suivent la formation la plus longue. La sélection est difficile au niveau des commissaires et des officiers, moins du côté des gardiens car des questions peuvent se poser sur les conditions d’exercice aujourd’hui. Par contre l’affectation des jeunes gardiens et les mutations des plus anciens posent problème pour avoir une gestion équilibrée au profit de la région parisienne et des quartiers difficiles en général. Le poids des syndicats sur ce point n’est pas en faveur d’une gestion rationnelle. Bien à vous. Bon courage.

3 : L’histoire le montre : le comportement des policiers dépend largement des ordres qui leur sont donnés, de la fermeté des rappels aux procédures et au droit, de l’impunité promise ou non. « Vous serez couverts », déclarait aux policiers parisiens le préfet Maurice Papon quelques jours avant le massacre de manifestants algériens le 17 octobre 1961. A l’inverse, on sait ce que l’absence de drame pendant les émeutes de Mai 1968 doit aux consignes du préfet Maurice Grimaud : « Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. »

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