Article publié le 11 novembre 2020, à l’occasion de l’entrée de Maurice Genevoix au Panthéon. Republié le 23 décembre 2024.
Aujourd’hui, le cercueil de Maurice Genevoix entre au Panthéon. Avec lui, selon l’expression consacrée, la Patrie montre sa reconnaissance au grand homme. C’est la destination du lieu, c’est l’hommage au Prix Goncourt, au secrétaire perpétuel de l’Académie française, à l’auteur qui, à côté du Feu d’Henri Barbusse, des Croix de bois de Roland Dorgelès, a laissé Ceux de 14 que Michel Déon décrit[1] comme « une chronique martiale que nous devrions garder à notre chevet » . Tout y est : du destin de l’homme, de sa marche vers la mort les yeux ouverts. Le premier soldat tué au côté d’un combattant à l’entrée en guerre est un souvenir ineffaçable : « Cette sensation, écrivait Maurice Genevoix, ce vide persistant et glacé, tout proche, là où il y avait un homme, je ne m’en suis jamais délivré. » ».
C’est aussi un symbole qui rejoint la crypte républicaine, celui d’autres grands hommes, des « hommes de peu » pour suivre Péguy, des existences minuscules qui tombèrent une à une pour que la Patrie ne tombe pas, dans un sens du sacrifice maintenant si lointain qu’il est devenu presque incompréhensible. La Patrie, dont Maurice Genevoix, dans un entretien[2], disait qu’elle était « cause à leurs yeux sacrée », il parlait des yeux des hommes des tranchées, il en était, il en a connu l’horreur, mais aussi la dignité et la raison. Il n’a perdu que l’usage d’une main. Le bras qui va avec, le reste de sa vie durant, a continué de bouger.
Il avait passé son enfance près d’Orléans, à Châteauneuf-sur-Loire, dont il gardera toujours une image de douceur toute mêlée à celle de la Sologne et qui nourrit l’ensemble de son œuvre. A peine démobilisé, il s’y ressource et se remet du traumatisme parmi les vignes et la faune, entre les étangs et les jardins. Les promenades et la curiosité, jusque dans les détails, pour l’écoulement d’un fleuve et le vol des oiseaux, l’habitent sans cesse et suscitent une sorte de sensibilité avant l’heure de la chose écologique. Il est interne au Lycée d’Orléans. Ses résultats sont excellents. Il perd sa mère quand il n’a que douze ans.
Il fréquente ensuite le lycée Lakanal avec un « parc où nous pouvions fumer la pipe, une famille de daims, comme nous, captifs dans un enclos ».[3] Il y suit les classes préparatoires littéraires qui s’appelaient alors Lettres supérieures et Première supérieure. Il réussit le concours d’entrée à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm en 1911.
Mobilisé en 1914, il interrompt ses études. L’École normale se vide. Des tranchées, il envoie notes et lettres à Paul Dupuy, le secrétaire général de l’École, le caïman général dans le vocabulaire des élèves, il envoie des « pages venues du front, écrites dans l’épuisement physique et nerveux d’une guerre meurtrière, à la lumière de la bougie ». Lettres que celui-ci lit à ses collègues et aux jeunes filles de l’École normale de Fontenay où il donnait des cours.[4]
De son passage à Lakanal, il reste la photo mise en en-tête[5]. Étrange distance, que celle qui nous sépare de ces jeunes gens, en cravate et col dur, certains en uniforme, d’une khâgne d’aujourd’hui. Il semble bien que Maurice Genevoix soit assis au premier rang à droite de la table sur laquelle il appuie un coude. Il regarde vers l’objectif, l’air paisible. Comme sur celle ci-dessus, prise quelque quatre ans plus tard, avant de partir sur le front.
Il reste également un bulletin scolaire, conservé aux Archives des Hauts-de-Seine, par lequel on apprend que Genevoix fut pensionnaire du lycée, qu’il fut au début de sa khâgne un élève « un peu nerveux » et cependant considéré par tous ses professeurs comme « distingué ». Au cours du deuxième trimestre, il réalise des « progrès marqués en philosophie » et devrait faire « bonne figure à l’examen de français ». L’expression est étonnante, n’est-ce pas, d’autant qu’il est difficile d’imaginer ce que « faire bonne figure » pourrait dire aujourd’hui d’un lycéen. Les avis des professeurs, au troisième trimestre, sont émis après son succès au concours de l’Ecole normale. Ils le félicitent et y voient le « prélude de la victoire définitive » ici encore difficile à interpréter. Quelle victoire? L’Agrégation? Autre chose? Les expressions sont étrangement lointaines. Comme le fait que le Conseil de classe s’appelait alors Conseil de discipline.
[1] Dans le discours prononcé par Michel Déon à l’Académie française lors du décès de Maure Genevoix
[2] Entretien à France 3 Régions Amiens donné le 9 novembre 1978.
[3] Hommage à Maurice Genevoix, 1890-1980: Une jeunesse éclatée : de La Vaux-Marie aux Éparges : août 1914 – avril 1915, Editions du Mémorial , 1980
[4] Préface de Michel Bernard , dans Ceux de 14, Maurice Genevoix, Flammarion, 2018
[5] Pour Genevoix, Michel Bernard, Éditions de la Table Ronde
Par ailleurs, le site de l’Association des Anciens Élèves de Lakanal a mis en ligne tout une dossier sur Maurice Genevoix.
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