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Les Français et le réchauffement climatique (3/3) : Opinions sur des actions envisagées

Dans la continuité d’un précédent article, nous poursuivons l’analyse du sondage commandé par la Tribune à l’IFOP à propos du réchauffement climatique. À la question « Voici différentes mesures qui pourraient être prises dans les années à venir au nom de la lutte contre le changement climatique et de la protection de l’environnement. Pour chacune d’entre elle, indiquez si elle vous semble efficace pour lutter contre le changement climatique et protéger l’environnement. », l’IFOP fait quatorze propositions.

On a ici un joyeux mélange entre le changement climatique et la protection de l’environnement, entre atténuation du réchauffement et adaptation à celui-ci. Et que veut-dire efficace ? Une action qui diminue nettement les émissions d’un secteur marginal doit-elle être ou non comptée comme efficace ?

Mais regardons quelques-unes des propositions.

Favoriser la végétalisation et le verdissement des bâtiments publics. C’est une mesure d’adaptation, pas de lutte contre le réchauffement.

Interdire certains trajets en avion quand il existe une alternative plus rapide en train. Les sondés pensent-ils vraiment que les passagers choisissent aujourd’hui par plaisir la solution la moins rapide ? À moins que ce soit une question de prix ?

Doubler le parc d’énergie renouvelable d’ici 2030. L’électricité produite en France est déjà très fortement décarbonée. Il est vrai qu’une augmentation de notre parc de renouvelables permettrait de réduire quelque peu les émissions chez nos voisins, via les exportations (dans la limite des lignes existantes…). Et qu’on aura peut-être bien besoin de plus d’électricité demain, si on veut décarboner certains usages.

Tripler la surface d’exploitation en agriculture biologique d’ici 2030. Une telle mesure peut protéger la biodiversité. Mais s’il s’agit d’atténuer le réchauffement climatique, il serait beaucoup plus efficace de passer à une agriculture de conservation des sols. En réalité, l’agriculture biologique conduit à augmenter les émissions de GES, du fait de plus faibles rendements.

Certaines propositions évoquent des mesures qu’on qualifiera de simplistes face à des problèmes très compliqués. Par exemple : Mettre en place une taxe européenne pour les produits importés ne respectant pas les normes sociales et environnementales européennes. Déjà, une telle mesure sera compliquée à définir et encore plus à mettre en œuvre. Quant à quantifier son impact possible, autant lire dans le marc de café ! On est ici clairement dans le Yakafokon.

Pour d’autres propositions, le débat (les sondés l’ont bien compris) porte sur les manières de porter l’action. Notamment, faut-il interdire ?

Actions citoyennes

L’IFOP a demandé aux sondés : Et vous personnellement pour lutter à votre niveau contre le réchauffement climatique, seriez-vous prêt à… ?

Le questionnaire reste mal fait : la proposition d’utiliser le vélo ou la marche à pied apparait dans deux questions différentes. La première fois dans une liste avec les transports en commun, la deuxième fois en opposition à la voiture individuelle.

La proposition qui recueille le plus d’avis positifs est de trier davantage ses déchets. Très bien pour l’environnement, mais on a peine à voir le lien immédiat avec le réchauffement climatique.

D’autres propositions évoquent des actions qui peuvent clairement contribuer à réduire nos émissions de GES : baisse de la température de chauffage, manger moins de viande, utiliser moins la voiture.

À noter une majorité des sondés opposés à l’idée d’utiliser une voiture électrique plutôt que thermique. Il serait utile de savoir pourquoi. En tous les cas, à rapprocher des 65 % de sondés sceptique sur l’efficacité d’interdire la vente des véhicules diesel, essence et hybride neufs à partir de 2035.

Rôle de l’État

En creux, le sondage pose la question du rôle de l’État. Selon les questions, il est en effet question de « favoriser » (le commerce local/bio), investir, limiter, augmenter les aides, interdire, taxer, obliger, inciter. Dans tous les cas, c’est de la puissance publique (pas forcément seulement l’État) dont on attend qu’elle agisse.

Demander en priorité à l’État d’agir est dans les habitudes en France, où la culture interventionniste est très forte, dans toutes les parties de l’éventail politique. Cette culture du recours à l’État renvoie il est vrai à la demande d’égalité pour toute mesure contraignante. Cela peut devenir compliqué.

On peut cependant se poser deux questions : l’efficacité d’attendre tout de l’Etat, les leviers que celui-ci devrait actionner en priorité.

Faire de l’État le principal, voire le seul acteur important de la lutte contre le réchauffement climatique peut avoir deux défauts. D’abord d’exonérer tous les autres acteurs de leurs responsabilités. Dommage quand on voit la répartition des émissions de GES.

Ensuite, exonérer l’État de s’occuper en priorité de ce que lui seul peut faire. Par exemple réaliser des travaux d’isolation dans tous les bâtiments qui lui appartiennent.

Quels leviers maintenant ? On imagine que la réponse ne peut être unique, et que cela dépendra des situations des secteurs ou sous-secteurs d’émissions.

Avant de parler des leviers politiques de l’État, il faut évoquer les leviers « techniques « disponibles. Il y en a trois : efficacité énergétique, substitution et sobriété.  

L’efficacité technique, c’est l’amélioration de la performance. Certains crieront au technosolutionniste, mais c’est un levier qui peut être très efficace dans certaines solutions. Isoler les bâtiments, c’est améliorer l’efficacité des moyens de chauffage. On voit aussi dans l’industrie des pistes techniques pour réduire les émissions (dans les cimenteries ou les aciéries par exemple)

Mais l’industrie va aussi beaucoup utiliser le deuxième levier, la substitution. L’idée générale est de remplacer les énergies fossiles (pétrole et gaz, voire charbon) par une électricité produite de manière décarbonée. La voiture électrique en est bien sûr un exemple, mais la question se pose aussi dans le chauffage des bâtiments : après l’interdiction des chaudières au fuel, faut-il interdire aussi l’installation de chaudières au gaz ?

En fin, la sobriété consiste à se passer d’un produit ou d’un service. Ne pas prendre l’avion, manger moins de viande ou pas du tout, baisser son chauffage, etc.

L’hiver dernier a montré que les citoyens étaient prêts à réduire leur consommation de gaz ou d’électricité. Sans que personne les y oblige. Par conviction citoyenne ou pour faire des économies. Mais peut-on (ou doit-on ?) rendre la sobriété obligatoire ?

Une publication de trois économistes fait un point sur cette question.

En voici le résumé : « Le changement climatique constitue une menace existentielle. Les recherches théoriques et empiriques suggèrent que la tarification du carbone et le soutien à la R&D verte sont de bons outils, mais que leur mise en œuvre peut être améliorée. D’autres politiques, telles que les normes, les interdictions et les subventions ciblées, ont également toutes un rôle à jouer, mais elles se sont souvent révélées incohérentes et leur mise en œuvre est délicate. »

Ces trois économistes ne sont pas les moindres : il s’agit d’Oliver Blanchard (ancien chef des études au FMI), Christian Gollier (actuellement directeur général de Toulouse School of Economics), et Jean Tirole (prix Nobel).

Sur Twitter, Olivier Blanchard a ajouté ce post-scriptum :

« Je m’inquiète de plus en plus du recours à des subventions vertes alors que des taxes sur le carbone devraient plutôt être utilisées. Sur le papier, largement équivalent. En pratique, des distorsions bien plus importantes, et probablement à l’origine de fortes tensions commerciales. »

Pourquoi la confusion ?

Ce qui frappe, dans ce sondage de l’IFOP, c’est la confusion. Confusion dans le questionnaire comme dans les réponses des sondés. Confusions sur les sujets : ici atténuation du réchauffement, adaptation à celui-ci, protection de l’environnement. Confusion sur secteurs émetteurs de GES et leur importance relative. Confusions sur les solutions.

Le fait que ce sondage soit commandé par la Tribune est un exemple de la responsabilité des médias dans cette affaire.

Mais d’autres ont aussi leur part de responsabilité. Les activistes en particulier et tous ceux qui, notamment au sein des partis politiques, les soutiennent et les relaient. Parce qu’ils mettent l’accent sur un point particulier au détriment des autres. Parce que leur discours vise trop souvent un acteur particulier (quel qu’il soit) laissant croire qu’il suffit de condamner un coupable pour supprimer le problème.

Tout cela est contre-productif. Arriver à zéro émission nette est trop compliqué pour qu’on se permette de refuser un levier (sobriété, substitution, efficacité), un outil (nucléaire ou renouvelables), ou une solution technique, ou de faire croire qu’on peut ne solliciter qu’une partie de la population.

Articles précédents :

Les Français et le réchauffement climatique(1/3). Quelles émissions?

Les Français et le réchauffement climatique (2/3). Attention aux sondages d’opinion

  1. François Lévy François Lévy 24 octobre 2023

    Pour ceux que ça intéresse, l’AIE vient de sortir son nouveau rapport 2023.

    Ils sont enthousiastes sur le développement fulgurant des renouvelables :

    « Renewables are set to contribute 80% of new power capacity to 2030 in the STEPS, with solar PV alone accounting for more than half. »

    La bonne nouvelle, c’est que la part des renouvelables augmente et va atteindre 50% de l’électricité mondiale d’ici 7 ans (2030), et entre 70 et 90% en 2050.
    Ils ne parlent quasiment pas du nucléaire, mais montrent que la part du nucléaire va baisser dans tous les scénarios (page 123).

    La mauvaise nouvelle, c’est qu’il faudrait aller encore plus vite pour rester à 1,5°C. Pour l’instant c’est 2,4°C… (pire que les projections DNV: 1,2°C)

    Rapport complet :
    https://iea.blob.core.windows.net/assets/ed1e4c42-5726-4269-b801-97b3d32e117c/WorldEnergyOutlook2023.pdf

    Résumé
    https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2023/executive-summary?utm_campaign=IEA+newsletters&utm_medium=Email&utm_source=SendGrid

    • François Lévy François Lévy 25 octobre 2023

      * 2,2°C pour DNV

  2. Gérard Bardier Gérard Bardier Auteur de l’article | 22 octobre 2023

    « Un parc solaire ne tombe pas en panne  »

    Selon EDF ENR qui fait la promotion des panneaux pour les ménages https://www.edfenr.com/guide-solaire/duree-de-vie-panneaux-solaires/
    Au cours de sa propre durée de vie, un panneau solaire va voir ses performances baisser progressivement. Ses garanties de puissance sont d’environ 90 % au cours des dix premières années, puis s’élèvent à un niveau qui tourne autour de 86 % de rendement jusqu’à 25 ans d’existence.
    Pour une plus longue durée de vie de votre panneau solaire, celui-ci doit être nettoyé et entretenu ! Une épaisse couche de poussière peut faire chuter le rendement énergétique de votre installation jusqu’à 15 %… mais selon où vous habitez, il peut également s’agir de particules fines et de dioxyde de carbone (CO2), de pollen, de feuilles mortes, de fientes d’oiseaux, de sable ou de dépôt de sel marin !
    Une fois par an peut suffire, mais on considère qu’il est idéal de nettoyer son installation solaire lors de deux moments-clé de l’année : au printemps : avec l’arrivée des beaux jours, un grand nettoyage s’impose pour éliminer les traces laissées par l’hiver et les pollens ; à l’automne : c’est le moment de se débarrasser des feuilles mortes pour préparer l’hiver en toute sérénité.
    Le micro-onduleur, l’autre pièce maîtresse du dispositif, est garanti 5 ans (comprenant la pièce, la main d’œuvre et le déplacement).

    • François Lévy François Lévy 22 octobre 2023

      Donc le parc solaire ne tombe pas en panne.

      Ses performances diminuent légèrement (les panneaux solaires envoyés dans l’espace il y a 50 ans fonctionnent encore).

      N’achètes surtout pas chez EDF, mes onduleurs Emphase sont garantis 20 ans

      Et pas la peine de nettoyer les installations PV des particuliers, la pluie suffit et le coût du nettoyage des panneaux est plus élevé que la perte de production.

      Mes panneaux installés en 2008 produisent toujours autant et n’ont été nettoyés que par la pluie.

  3. Gérard Bardier Gérard Bardier Auteur de l’article | 22 octobre 2023

    « Et si on raisonne par kW, il faut rajouter au nucléaire tous les 10 ans le coût des visites décennales + l’énorme investissement du grand carénage après 30 ans + la perte d’exploitation pendant 6 mois ou 1 an d’arrêt (+ les pannes) »

    Le coût des visites décennales et des divers arrêts est bien entendu pris en compte dans le coût du nucléaire. Il n’y a pas besoin de le « rajouter ».
    Le grand carénage ne correspond pas à un coût systématique après 30 ans, mais à la mise au norme « Post Fukushima » des installations anciennes, une des conditions posée par l’ASN pour accepter un prolongement de réacteur au-delà de 40 ans. Qui ne sera donc pas nécessaire pour les futures installations.
    La focalisation sur le coût du grand carénage fait partie des fakes propagés par les anti-nucléaires. Les installations actuelles auront été amorties sur 40 ans (c’est-à-dire que le coût de la construction initiale a déjà été remboursé). Leur prolongation au-delà de 40 ans est une opération hautement rentable, alors qu’elle prend en compte les coûts du grand carénage.
    Ce grand carénage a été identifié comme une opération en soi par EDF pour mieux l’organiser et profiter à plein de l’effet d’expérience.

    • François Lévy François Lévy 22 octobre 2023

      C’est faux : le prix de la maintenance est inclus dans le coût/MWh, pas dans le coût de l’investissement /MW.

      Tu dis qu’il faut ajouter le coût de la gestion de la variabilité (= coût de flexibilité) aux ENR, c’est vrai, et le solaire +stockage est déjà 2 à 3 fois moins cher que le nouveau nucléaire.

      Mais il faut AUSSI le RAJOUTER au nucléaire, c’est loin d’être négligeable, puisque que les réacteurs peuvent s’arrêter + ou – brutalement pour panne ou maintenance et ne peuvent pas faire face aux pics les soirs d’hiver.
      Ils ne peuvent s’adapter qu’à la baisse comme les ENR qu’on peut parfaitement débrancher.

      Quant au grand carénage qui ne serait soi-disant pas nécessaire dans le futur, ça m’étonnerait que les générateurs de vapeur, entre autres, ne doivent pas être changés dans 30 ans.

      Par ailleurs le grand carénage était déjà prévu AVANT Fukushima.
      Avec Fukushima, on a découvert que nos réacteurs pouvaient causer un accident majeur en cas d’inondation et que les diesels de secours pouvaient être noyés.
      L’ASN a obligé EDF à installer des diesels en zone non inondable, des salles de commande bunkerisées, etc… et a donné 10 ans à EDF pour le faire.
      A l’issue des 10 ans, 1 seule centrale était aux normes post fukushima et L’ASN a encore dû manger son chapeau et donner plus de temps à EDF, qui fait les travaux imposés au fur et à mesure, pendant les travaux du grand carénage.

      On a eu du bol de ne pas avoir d’accident.

      • Gérard Bardier Gérard Bardier Auteur de l’article | 22 octobre 2023

        Et bien non, par définition, on ne compte pas la maintenance dans le coût d’investissement mais dans le coût de fonctionnement. C’est une règle de comptabilité classique

        • François Lévy François Lévy 22 octobre 2023

          C’est ce que j’ai dit
          Le coût/ MW, c’est de l’investissement
          Le coût/ MWh, c’est le fonctionnement

          Au moins là dessus on est d’accord !

  4. Gérard Bardier Gérard Bardier Auteur de l’article | 22 octobre 2023

    « La gestion de la variabilité des ENR ne posera plus aucun problème » (parce que les prix vont s’effondrer)

    Le déni continue !

    • François Lévy François Lévy 22 octobre 2023

      C’est exactement ce qui est dit dans le dernier rapport DNV (pas Greenpeace) : le coût les batteries s’effondre et ils prévoient un énorme développement du stockage par batteries : 2/3 (principalement li-ion et un peu de stockage longue durée)

      Toutes les solutions de flexibilité sont détaillées dans de nombreux rapports. Bizarre de ne pas le voir ?

      Le déni, c’est de faire croire que la gestion de la flexibilité n’est pas possible et oublier de dire que le nucléaire a aussi besoin de flexibilité.

      https://www.dnv.com/energy-transition-outlook/index.html

      • Gérard Bardier Gérard Bardier Auteur de l’article | 22 octobre 2023

        « Le déni, c’est de faire croire que la gestion de la flexibilité n’est pas possible et oublier de dire que le nucléaire a aussi besoin de flexibilité »

        Non, le déni, c’est de faire croire qu’on va traiter la question de la flexibilité avec telle ou telle solution sans la mesurer, sans se poser la question du besoin et du volume de moyens nécessaire

        Et les gestionnaires du système, eux font ce travail, pour le mix qu’ils utilisent. Ce qu’a fait RTE avec le résultat qu’on connait

  5. Gérard Bardier Gérard Bardier Auteur de l’article | 21 octobre 2023

    « Le nucléaire aussi est intermittent »

    Cette phrase résume le niveau de déni de la part des partisans du tout renouvelable

    EDF a été confronté depuis très longtemps à la variation de la demande et a élaboré des stratégies pour y faire face, notamment en planifiant les arrêts de tranche (pour rechargement du combustible ou pour travaux) selon les saisons pour faire face à cette variation

    Les partisans du tout renouvelable, confrontés à l’intermittence de ces moyens de production préfèrent enfouir la tête dans le sable. Comme déjà noté, l’Allemagne va construire pour 30 GW de turbines à gaz pour faire face à l’intermittence de l’éolien et du gaz. Pas rien. Et en faisant appel aux fossiles producteur du CO2. Mais on préfère aller raconter que « Le nucléaire aussi est intermittent »

    Comme si 52% seulement de charge du parc nucléaire à la pire période de son histoire était comparable avec un facteur de charge qui varie en permanence entre 0 et 80% pour le solaire et 0,2% et 80 % pour l’éolien

    Notons en passant que la décision de l’ASN d’arrêter tous les réacteurs pour la question de corrosion était tout à fait discutable (et elle a été contestée par un ancien patron d’EDF)

    Quand à la phrase « totalement incapable de s’adapter aux variations de charge », elle montre seulement la méconnaissance du fonctionnement du nucléaire. EDF a mis au point des méthodes pour adapter la production au fil de la journée, Par exemple le 2 octobre : 37 GW à 9 h, 30 GW à 14 h, 36 GW à 19 h. (J’ai enregistré le graphique mais on ne peut pas mettre d’images sur les commentaires)

    Et non, EDF n’a pas été recapitalisé en permanence à coups de milliards. L’entreprise a surtout versé de gros bénéfices à l’État. Et sa sortie du CAC 40 n’a rien à voir avec sa situation financière et tout avec des questions politiques vis à vis de l’Europe

  6. François Lévy François Lévy 20 octobre 2023

    Merci Gérard pour cet article édifiant sur le niveau des journalistes de la Tribune et de l’IFOP…

    Une bonne manière d’expliquer le potentiel de décarbonation des différentes actions possibles serait, pour un journaliste, d’expliquer la figure 7 du dernier rapport du Giec. (C’est ce qu’a fait Nabil Wakim du journal Le Monde)

    Toutes les solutions envisagées sont hiérarchisées en fonction de 4 critères :
    1) leur impact potentiel
    2) leur coût
    3) leur faisabilité
    4) le niveau de confiance scientifique sur leur efficacité pour réduire les émissions

    La logique et l’intelligence serait de privilégier les actions les plus faisables aux plus fort impacts garantis scientifiquement et aux coûts le plus faible, pour maximiser la baisse des émissions CO2 pour chaque € investi

    Et, là, le Giec est extrêmement clair : investir dans les énergies renouvelables est, de très loin, l’action avec le plus d’impact, le coût le plus faible, la plus grande faisabilité et le plus fort niveau de confiance.
    Investir dans des EPR est très nettement plus cher et avec un potentiel environ 10 fois plus faible, beaucoup plus incertain et de toutes façons, cela ne permettra aucune réduction (bien au contraire !) des émissions avant 2040, au mieux.

    L’ONU nous exhorte à avancer la neutralité carbone en 2040 pour avoir une chance de garder un monde vivable.

    C’est la logique et l’intelligence… mais le gouvernement fait exactement l’inverse (pour essayer de sauver la filière nucléaire française, qui était en grande difficulté, au bord de la faillite) : la France est le seul pays européen à ne pas avoir respecté ses engagements ENR et pire, le seul pays européen à baisser ses investissements ENR en 2023. Tous les autres les ont augmenté !

    Dommage

    Pour information, les renouvelables sont la 1ère source d’électricité en Europe et seront la 1ère source d’électricité au monde en 2024, d’après l’AIE, soit 1 an plus tôt que prévu.

    RTE prévoit, au mieux, une stagnation de la capacité nucléaire française entre 60 et 63 GW (contre 61GW aujourd’hui), car même si EDF réussi à construire ses 2 EPR d’ici 2050, ils remplaceront à peine les vieux réacteurs qu’elle sera obligée de fermer => le retard de la France dans les renouvelables nous sera très préjudiciable.

    https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg3/figures/summary-for-policymakers/figure-spm-7/

    • Gérard Bardier Gérard Bardier Auteur de l’article | 20 octobre 2023

      Oui, le choix français pour sa production électrique est particulièrement mauvais pour le climat…si on ne regarde pas les bons indicateurs
      On peut suivre l’impact carbone de la production électrique en temps réel ici :
      https://app.electricitymaps.com/zone/FR
      On y constate que la France, à l’heure où j’écris cad le 20 octobre à 16 h, n’a que 27% de sa production qui vient des renouvelables.
      En regardant de plus près, on observe pourtant qu’elle dispose de 20 GW de capacité en éolien, 14 GW en solaire et 21 GW en hydraulique. Ce qui est loin d’être négligeable si on compare aux 60 GW de consommation (dont 10,5 d’exportation…)
      Et la France continue à en installer

      Mais pour le climat, ce qui compte, ce n’est pas que l’électricité vienne des renouvelables ou pas, c’est qu’elle soit bas carbone
      Et là, le chiffre affiché est sans ambiguïté : 97% !
      Et sur la carte, ce qu’on voit jour après jour, mois après mois, c’est une France en vert. Comme les pays scandinaves, qui ont beaucoup d’hydraulique et font confiance aussi au nucléaire

      Et dans le cas de la France, cela fait 40 ans que cela dure….

      • François Lévy François Lévy 20 octobre 2023

        Tu regardes le passé.

        Si on regarde l’avenir, les vieux réacteurs vont forcément fermer un jour, et ne pourront plus fournir une électricité decarbonée.

        Si on regarde l’avenir, les EPR sont hors de prix et arriveront trop tard, si jamais ils arrivent un jour et ne tombent pas en panne. Ils ne pourront qu’à peine remplacer ceux qui ferment

        L’EPR chinois taishan 1 est en panne depuis le 31 janvier, après 1 an de panne en 2021-22
        Le 2e tourne au ralenti pour éviter de casser les crayons.

        RTE regarde l’avenir et sait que les vieux réacteurs devront être fermés un jour, si possible avant l’accident majeur => c’est pourquoi le nucléaire ne permettra pas de produire plus d’électricité qu’aujourd’hui

        L’avenir, c’est le gvt qui prévoit déjà un retard de 5 à 8 ans, soit le 1er EPR2 vers 2042-45.

        => Avec quoi sera produite l’électricité en 2040, sachant que les besoins devraient augmenter énormément ?

        Tous les pays développent massivement les renouvelables sauf nous. On est plus intelligents ?

    • Gérard Bardier Gérard Bardier Auteur de l’article | 20 octobre 2023

      Quelques autres éléments de réponse
      1 : la comparaison des coûts entre outils de production au niveau mondial ne dit rien de la situation d’un pays
      on se demande pourquoi autant de pays, des Pays bas à l’Inde, de la Chine à la Finlande ont un programme de construction nucléaire
      je redis ce que j’ai écrit en conclusion
      Arriver à zéro émission nette est trop compliqué pour qu’on se permette de refuser un levier (sobriété, substitution, efficacité), un outil (nucléaire ou renouvelables), ou une solution technique, ou de faire croire qu’on peut ne solliciter qu’une partie de la population.

      Maintenant je serai curieux de savoir comment la construction d’EPR va faire augmenter les émissions de CO2

      • François François 20 octobre 2023

        Même l’hypothèse la plus favorable au nucléaire (celle de l’AIEA) prévoit une stagnation de la part du nucléaire à moins de 2% de l’énergie mondiale, comme aujourd’hui : 9,4% de l’électricité qui représente 20% de l’énergie finale mondiale.

        C’est une énergie du passé, et les stocks d’uranium sont très réduits, 3 ou 4 décennies dans l’hypothèse favorable AIEA.

        Je redis aussi mon avis : il vaut mieux prioriser les leviers les plus efficaces et garantis en émissions évitées par € investi plutôt que gaspiller des milliards dans une solution plus chère qui arrivera trop tard, si elle arrive.

        Quel intérêt de choisir un levier plus cher, plus lent, moins sûr et qui tombe en panne ?

        C’est ce que dit le Giec fig7 : les renouvelables sont un levier au potentiel 10 fois plus important que le nucléaire et nettement moins cher.

        Nb. Quasiment toutes les émissions du nucléaire sont liées à la construction, donc ils vont émettre entre aujourd’hui et 2045 alors qu’il faut réduire les émissions AVANT 2040.

        • Gérard Bardier Gérard Bardier Auteur de l’article | 21 octobre 2023

          J’avoue ne pas comprendre l’argument sur le potentiel + ou – élevé de chaque source ! D’après le GIEC, la géothermie a un potentiel plus faible que le nucléaire. Est-ce que l’Islande doit arrêt son utilisation pour autant ? Quand au raisonnement qui consiste à ajouter solaire+ éolien+ géothermie+ hydraulique pour dire que cela fait beaucoup plus que le nucléaire, bon…
          Mais, à propos du GIEC, le mieux est de laisser la parole à Valérie Masson-Delmotte
          https://fr.wikipedia.org/wiki/Val%C3%A9rie_Masson-Delmotte « Elle est directrice de recherche au CEA et coprésidente du groupe no 1 du GIEC de 2015 à 2023. Elle fait partie des 100 personnes les plus influentes du monde en 2022, selon le magazine Time. »
          Dans un long fil sur X, elle faisait en juillet le point sur ce que dit le GIEC à propos du nucléaire
          https://twitter.com/valmasdel/status/1679492071839916039
          Sa conclusion en fin du (très long) fil est la suivante :
          A mon sens, la priorité, dans les prochaines décennies, du fait des risques liés au changement climatique et des enjeux d’approvisionnement énergétique, est de sortir le + rapidement de l’utilisation des énergies fossiles en préservant les écosystèmes et la biodiversité. Pour cela, le nucléaire est l’un des leviers d’action, et l’enjeu est de construire la meilleure séquence et combinaison de ces leviers d’action, au cours du temps (emplois, économie, compétences…).
          C’est parce que le nucléaire reste un levier disponible satisfaisant que de nombreux pays (Grande Bretagne, Pays-Bas, Finlande, Biélorussie, Slovaquie, Hongrie, Suède, Egypte, Géorgie, Russie, Chine, U.S.A., Brésil, Turquie, Iran, Pakistan, Inde…) ont des réacteurs en constructions ou prévoient d’en avoir bientôt : exemple de la Suède ici https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/energie/faute-d-energies-alternatives-viables-la-suede-veut-construire-de-nouveaux-reacteurs-nucleaires_AD-202308090333.html
          Parlons prix. D’abord notons qu’EDF (prétendument au bord de la faillite, il faut arrêter de croire les Greenpeace et autres) a gagné 5,8 Milliards d’€ (résultat net), soit 8% de son CA, rien que sur le premier trimestre 2023 ! https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/journalistes/tous-les-communiques-de-presse/resultats-semestriels-2023-ebitda-en-forte-hausse-et-stabilisation-de-la-dette-financiere-nette-retour-progressif-a-une-meilleure-disponibilite-du-parc-nucleaire-bonne-performance
          Un avertissement à tous ceux qui lisent des informations sur le prix des renouvelables : il y a deux manières très classiques de présenter de manière surestimée la performance des renouvelables
          La première consiste à raisonner en coût du MW. Cela avantage l’éolien ou le solaire dont la durée de vie est de 20 à 30 ans par rapport au nucléaire ou à l’hydraulique dont la durée de vie est beaucoup plus longue. Il faudra investir plusieurs fois dans le solaire quand on ne le fera qu’une fois pour le nucléaire.
          Par ailleurs, la capacité installée illusionne sur la réelle disponibilité des installations : contrairement aux installations en fossiles nucléaire ou hydraulique, l’éolien et le solaire ne sont jamais à leur puissance installée. L’Allemagne a 140 GW de puissance installée en éolien+ solaire+ hydraulique. Sa consommation est actuellement de l’ordre de 60 GW. Et pourtant, les renouvelables n’arrivent quasiment jamais à répondre à la consommation. Sur un an, 23,5% de la consommation viennent du charbon, 9,5% du gaz et autant de la biomasse.
          La deuxième consiste à laisser un voile pudique sur la question de l’intermittence et de sa gestion. Pour prendre un exemple simple, si on produit l’électricité avec une installation solaire, il en faut une autre pour avoir de l’électricité la nuit. Avoir une capacité alternative ou du stockage a un coût qui devrait être intégré aux coûts des renouvelables intermittents (l’hydraulique a au contraire un avantage dans ce domaine). C’est un problème qui ne fera qu’augmenter au fur et à mesure de l’augmentation de l’éolien et du solaire dans le mix électrique. C’est pour cette raison que l’Allemagne a prévu de construire pour 30 GW de turbines à gaz.
          Quand il y a beaucoup de vent et du soleil, on peut se retrouver avec de l’électricité dont on ne sait pas quoi faire. Le prix tombe alors à quelques euros du MWh contre plusieurs centaines quand il n’y a pas de vent. Et ce n’est pas exceptionnel : hier après-midi, le prix du MWh est descendu à 1,6 € en Espagne et cela recommence aujourd’hui.
          Et pour finir sur les prix, rappelons la conclusion de l’étude RTE sur les futurs énergétiques (celle qui montre que la solution 100% renouvelables est la plus chère)
          « Construire de nouveaux réacteurs nucléaires est pertinent du point de vue économique, a fortiori quand cela permet de conserver un parc d’une quarantaine de GW en 2050 (nucléaire existant et nouveau nucléaire) »

          • François Lévy François Lévy 21 octobre 2023

            Le nucléaire aussi est intermittent quand il tombe en panne et totalement incapable de s’adapter aux variations de charge

            L’arrêt brutal imprévu d’un réacteur impose à RTE de trouver en urgence 1GW, ce qui n’est pas évident sauf si on a un réacteur en surplus
            => ça demanderait d’en construire encore plus (impossible pour EDF qui n’arrivera sûrement pas à construire plus de 2 EPR2 d’ici 2050) ou de tripler les Step en noyant des milliers de km2 de vallées.

            C’est ce qui s’est passé en 2022: la moitié des réacteurs était à l’arrêt en moyenne (52% de facteur de charge), ou à taishan où l’EPR est encore en panne depuis 9 mois après 1 an de panne en 2021-22.
            On a évité le black-out en achetant 7 milliards d’euros d’électricité issue du charbon polonais ou allemand.
            La demande en électricité va plus que doubler d’ici 2050 => c’est ce qui nous attend avec nos futurs EPR pas terminés ou en panne

            Petit rappel :
            Areva a fait faillite.
            Westinghouse a fait faillite.
            Mitsubishi nuclear power a fait faillite.
            EDF a été recapitalisee à de multiples reprises à coup de milliards d’euros d’argent public pour lui éviter la faillite.
            Et EDF a été virée du CAC40.

            Tu devrais lire la 2e version du rapport COMPLET RTE, imposée par référé de la cour des comptes : avec le coût des déchets et les vrais taux d’actualisation, le scénario M23 100 % renouvelables est au même prix voire moins cher que le N3 50% nucléaire (page 603).

            https://www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/bilan-previsionnel-2050-futurs-energetiques#Lesdocuments

            Rte avait oublié de chiffer un 2e Bure et un 2e la Hague indispensable pour le scénario N3…
            La cour des comptes n’a pas été dupe.

            Scénario totalement irréaliste : 14 EPR + une vingtaine de SMR d’ici 2050 !
            Si EDF arrive déjà à en construire 2…

            Quelques pays ont des projets nucléaires (tu as oublié le Mali et le Burkina Faso…), mais pas sûr qu’ils se concrétisent.
            Pour info, voici encore un autre rapport qui n’est pas aussi optimiste que toi. Il table que le nucléaire va continuer à s’écrouler à un niveau totalement marginal d’ici 2050.

            https://www.dnv.com/energy-transition-outlook/index.html

          • François Lévy François Lévy 21 octobre 2023

            Et en ce qui concerne les coûts, le solaire + stockage (donc sans intermittence) est déjà à 69€/MWh, soit 2 à 3 fois moins cher que le nouveau nucléaire (141 à 221 $/MWh)

            https://www.lazard.com/media/2ozoovyg/lazards-lcoeplus-april-2023.pdf

            https://www.revolution-energetique.com/002-e-le-kilowattheure-voici-le-futur-prix-de-lelectricite-solaire/?utm_source=NLRE&utm_medium=email&utm_campaign=hebdo

            Et si on raisonne par kW, il faut rajouter au nucléaire tous les 10 ans le coût des visites décennales + l’énorme investissement du grand carénage après 30 ans + la perte d’exploitation pendant 6 mois ou 1 an d’arrêt (+ les pannes)

            A contrario, quand on remplace un parc solaire (qui ne tombe pas en panne), on bénéficie de l’écroulement des prix : divisés par 10 en 10 ans

            Idem pour les batteries

            Vu l’écroulement de leur coût, elles devraient assurer plus des 2/3 des besoins de stockage en 2050, loin devant les Step.

            La gestion de la variabilité des ENR ne posera plus aucun problème

  7. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 19 octobre 2023

    Merci pour cette analyse fouillée et argumentée.
    J’en retire que le fond même de l’affaire est bigrement compliqué.
    Le changement climatique et tout ce qui l’accompagne, et en élargissant, ce que l’on appelle l’anthropocène, sont une affaire qui relève d’un travail scientifique très très difficile. C’est finalement ce que montrent clairement les rapports successifs publiés par le GIEC.
    C’est par rapport à ces travaux que se sont prononcés les experts et responsables politiques réunis dans les COP, particulièrement la COP 21 qui s’est tenue à Paris en 2015.
    Si l’on veut se faire une idée sérieuse de ce qui y a été décidé et des conséquences des engagements pris, il faut lire les textes et rapports diffusés. Bon courage.
    Qu’un média comme La Tribune en s’appuyant sur un organisme de sondages comme l’IFOP puisse organiser une consultation sur ces sujets, sans dire à quelle fin, est une mauvaise action.
    Et, en utiliser les résultats pour faire croire que l’opinion d’un grand nombre de citoyens a la même valeur que le travail accumulé par des milliers de scientifiques pendant de nombreuses années, est proprement scandaleux.
    De mauvaise action, ce sondage devient alors une manipulation digne des pouvoirs les plus répugnants.

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