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Paul Cézanne, père de l’Art Moderne

Conférence         Le 5 avril dernier dans le cadre des rencontres littéraires et artistiques de Sceaux (RLAS) de Marie-Lou Schenkel, Christian Monjou, un des conférenciers de référence du dispositif titrait son intervention « Paul Cézanne, père de l’art moderne ». Son propos prend appui sur les convictions de deux maîtres de la peinture : Picasso qui déclarait « Cézanne est notre père à tous », et Monet qui enchérissait : « Cézanne est le meilleur d’entre nous ». Christian Monjou démontrera dans son propos la place centrale de Paul Cézanne dans l’art pictural universel, à l’occasion de l’exposition Cézanne que la Tate Modern de Londres vient de lui consacrer en réunissant exceptionnellement 80 de ses toiles.

Tous reconnaissent la place de Cézanne prise dès 1895

Tous les peintres du XXe siècle, de toutes les écoles, ont reconnu devoir quelque chose au travail de Cézanne et les historiens de l’art l’ont abondamment confirmé. Un temps impressionniste puis précurseur du postimpressionnisme et du cubisme, Il prend cette place incontournable dès 1895, lors de l’exposition que lui consacre le galeriste Ambroise Vollard. Selon ce dernier (1866-1939), le portrait figurant ci-dessus a été peint par Cézanne dans son atelier, près du cimetière Montmartre, fut terminé après 115 séances de pose matinales. Il témoigne des relations de confiance nouées au fil des séances entre le peintre et son marchand qui, en 1895, prend en main le destin de Cézanne sur le marché de l’art. En effet, à 55 ans, le peintre aixois était jusque-là resté en marge du marché de l’art parisien alors que de jeunes artistes voyaient déjà en lui un maître ouvrant des voies nouvelles. Les natures mortes, les paysages (dont ses montagne Sainte-Victoire) et les peintures de baigneuses de Cézanne devaient ouvrir la voie à des générations d’artistes pour enfreindre les règles éternelles de la peinture, de sorte que cela marquera définitivement l’histoire de la peinture comme un tournant remarquable.

Cézanne ne s’intéresse pas à la surface des choses mais à leur structure : son parti pris des choses

Une ample rétrospective du travail de Cézanne est ensuite organisée au Salon d’automne de 1907, où l’on peut voir 56 de ses toiles. Toute la jeune génération déclare son admiration pour Cézanne et affirme le rôle joué par son œuvre dans le lancement d’un nouvel ordre pictural. Dans une lettre de 1907 à son épouse relative au salon d’automne, Rainer Maria Rilke  estime que la peinture de Cézanne, décédé un an plus tôt, révèle : « une réalité colossale ».

Ainsi, bien que longtemps décriée et incomprise, la peinture de Cézanne aura imposé une autre vision du monde.  Alors que les impressionnistes se préoccupent d’abord de la surface des choses, lui veut explorer la structure, rendre les trois dimensions de la nature sur les deux dimensions de la toile, exprimer la permanence et la solidité. Il s’impose progressivement comme un peintre avant-gardiste, notamment par son traitement des formes et des couleurs et sa tendance à l’abstraction, jusqu’à être considéré comme le père de l’art moderne : il inspire ainsi Renoir, Monet, Van Gogh et Matisse, pour n’en citer que quelques-uns.

Sa période « couillarde »

Paul Cézanne, né à Aix-en-Provence (1839-1906), fidèle ami d’Émile Zola, a débuté sa carrière artistique par une période (1862-1870) durant laquelle sa peinture a été marquée par une certaine violence d’un érotisme qui était alors son premier thème. C’est sa période qu’il appelait volontiers « couillarde » et que les historiens d’art nomment plus classiquement sa période romantique ou sa phase baroque. Elle sera en particulier marquée par la permanence, parmi ses thèmes de natures mortes, de ses peintures de pommes.  Un jour, enfant, Paul Cézanne défend dans la cour de récréation le jeune Émile Zola. Le lendemain, pour le remercier de son action, Zola lui offre un panier de pommes. Les pommes seront dès lors un des motifs caractéristiques du peintre dans ses natures mortes pendant toute sa carrière. Des années plus tard, Cézanne déclarait à Joachim Gasquet : « Tiens ! Voici les pommes de Cézanne, elles viennent de loin ! »

Peu après, il déclarait : « Avec une pomme, j’étonnerai Paris ! ».

Cézanne, les natures mortes, les portraits et les paysages

Animé par des tensions entre le blanc et les couleurs et entre l’ordre et le désordre, Cézanne développe une véritable obsession pour les natures mortes, bien au-delà des pommes déjà évoquées. Par sa volonté de faire « du Poussin sur nature », il apparaît paradoxalement comme un continuateur du classicisme français mais aussi un innovateur radical par l’utilisation de la géométrie dans les portraits, natures mortes et les nombreux paysages qu’il peint, d’Île-de-France et de Provence, particulièrement de la campagne d’Aix-en-Provence.

Cézanne peindra également 45 portraits de sa femme Hortense pendant sa vie. Il a rencontré Hortense Fiquet en 1869 : c’était une ouvrière qui est devenue son modèle.

La campagne aixoise, et bien évidemment en premier lieu, la Montagne Sainte-Victoire sont sources inépuisables d’inspiration du Maître.

Le rituel du peintre

Levé de très bonne heure dans le domicile familial de la chapellerie Carbonnel (toujours visible) du 55 Cours Mirabeau d’Aix-en-Provence, Paul Cézanne, très pieu et fasciné par le Dieu sauveur, passe systématiquement à la cathédrale Saint-Sauveur pour assister à la première messe du matin puis se dirige pour peindre vers le Jas de Bouffan (Aujourd’hui, un musée), la bastide de la famille. Sur le chemin du retour vers l’atelier, il n’est pas rare que les gamins du coin lui lance quelques cailloux…Il se recueille systématiquement sous le triptyque le buisson ardent de Nicolas Froment (1476), chef-d’œuvre absolu situé dans la cathédrale Saint-Sauveur, dans lequel il trouve qu’il ressemble fort à Moise…Souvent, il se rendait aux carrières de Bibemus, prenant ce site naturel exploité comme thème de ses toiles. Sa toile relative à son jardin des Lauves, tout contre son atelier (Voir cliché) ne sera jamais terminée…volontairement ou pas ? …Voulait-il démontrer ainsi que s’arrêtant à ce stade, cela suffit selon lui, a faire passer ce qu’il souhaite faire passer : la structure du jardin, et non sa surface ? …Il poursuit ensuite sa routine en se rendant à la Montagne Sainte-Victoire pour la peindre une fois de plus…

  1. Jean-Claude Herrenschmidt Jean-Claude Herrenschmidt 28 juin 2023

    Cézanne est un peintre difficile. Merci pour ce compte-rendu qui m’a fait regretter de ne pas avoir fait l’effort d’aller écouter cette conférence. Je savais l’admiration que tous les peintres lui portent et la reconnaissance des meilleurs d’entre eux. J’avoue avoir du mal à en comprendre toutes les raisons. Mais je ne suis pas peintre. Le choix du Jas de Bouffant pour illustrer cette ascèse donne des clés. Encore merci.

    • Frédéric Négrerie Frédéric Négrerie Auteur de l’article | 29 juin 2023

      Cher Jean-Claude,
      Merci pour cette réaction qui traduit bien un certain décalage que vous ressentez, et que je partage avec vous, entre la place de Cézanne chez les amateurs de peinture que nous sommes et chez les peintres que nous ne sommes pas. La conférence a largement contribué a me faire comprendre que l’une et l’autre doivent largement se rapprocher.

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