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Marie-Curie au temps des jeunes filles

Le lycée Marie-Curie a une histoire éminente. Lycée de jeunes filles à son ouverture en 1936, la mixité y entre en 1971 quand la séparation perd toute légitimité dans l’esprit du temps. Mais il garde quelque chose en lui de ce passé qui se voit sur les murs, les portes, la disposition. Chloé Dupart, qui y enseigne l’histoire et organise avec Catherine Donnefort la Journée du Patrimoine, a cultivé une intimité du lieu. En guide accueillante, elle sait faire remonter des sous-sols des souvenirs et des légendes. Des souvenirs que sait éclairer Annick Bourdillat, la fille du Docteur Blanc, médecin à Sceaux pendant près de 50 ans. Elle fréquente l’établissement dès sa création, elle est alors en maternelle (le jardin d’enfants). Elle y restera jusqu’à la Terminale. Avec une interruption pendant la guerre.

L’entrée monumentale

Ce samedi après-midi, le lycée était vide et prenait de ce fait une certaine solennité. La grande porte d’entrée, de style Art déco, est faite de dalles de verre taillées au burin tenues par des ferronneries. Auguste Labouret, le maître-verrier, y inscrivit les différentes disciplines qu’on destinait aux enfants. Les sciences naturelles, la chimie, la musique, la philosophie, toutes… sauf les mathématiques. Peut-être les trouva-t-il loin de son inspiration plus portée sur les églises et les chapelles que sur les équations.

Crédit Catherine Donnefort

La conception de l’établissement, caractéristique des années 30, continue Chloé Dupart, cherchait la lumière et l’air, jugés nécessaires à la croissance des jeunes filles. Le grand hall abrite huit magnifiques mosaïques d’Auguste Labouret qui rendent hommage à la promenade, à la musique, à la culture. Elles sont incarnées dans le style géométrique de l’Art déco par des jeunes filles dans des scènes en plein air (à la seule exception d’un intérieur de musée). On voulait éduquer les jeunes filles à la beauté par les yeux.

Une demande locale

Au départ, le lycée de jeune fille devait, à la suite d’un conseil municipal intense, s’appeler Florian. Le nom de Marie-Curie, imposé par le recteur de Paris, apparaît par décret en janvier 1937. Marie Curie était décédée trois ans auparavant. Le choix du nom de cette physicienne invitait clairement les jeunes filles du côté des sciences. À croire que ce n’était pas du goût de tous.

Le terrain appartenait alors à la ville de Paris qui voulait en faire un asile pour vieillard. L’État accepta de construire un établissement pour filles à condition que la ville de Sceaux achète le terrain. Ce qu’elle fit.

Annick Bourdillat, le 19 juin 1937, lors du spectacle d’inauguration du lycée

C’est une époque qui voit progresser la revendication d’inclure les filles dans l’enseignement secondaire. Auguste Mounié, maire d’Antony et Jean Longuet, maire de Châtenay-Malabry soutiennent le projet. Les professeurs de Lakanal avaient fondé pour les filles un cours privé Florian à Bourg-La-Reine. Et Chloé Dupart a trouvé dans les archives municipales trace de la volonté des parents d’élèves de Lakanal de voir construire un établissement pour filles. Un lycée, avant-guerre, ne se destinait qu’à très peu de familles. La bourgeoisie locale était sans doute progressiste.

À son ouverture, le lycée conçu pour 1200 élèves en accueille 400, ce qui montre en soi combien on se pensait dans une progression de la demande. En primaire, les filles et les garçons étaient ensemble. La séparation arrivait en 6e.

Un lycée occupé pendant la guerre

Pendant la guerre, l’État-major de la Luftwaffe positionnée à Villacoublay occupe le bâtiment. Lakanal est aussi, mais en partie, occupé par l’armée allemande.

Les professeurs et les élèves ont dû déguerpir. La directrice Mlle Suzanne Forfer doit quitter son logement de fonction pour un appartement en ville. En 1940, Annick Bourdillat entre en 9e (le CE2). Sa classe qui ne comptait que 5 élèves est accueillie dans le salon et le jardin d’un couple de citoyens exemplaires, M. et Mme Jarry. Elle se souvient très bien de leur nom, comme de celui l’institutrice, Melle Tertois. Le nom de nos instituteurs reste en nous pour la vie.

Annick Bourdillat au 1er rang, 2e en partant de la gauche. Les institutrices sont Melle Tertrois à gauche et Mme Fabre à droite. Année scolaire 1940-1941

Elle souvient encore de 1941 quand, en 8e, les cours se tiennent au Petit Château (non loin de l’église) avec Melle Dewinck. « Eugénie, qui assistait les institutrices auprès des élèves, nous emmenait à pied déjeuner au réfectoire de Lakanal. » Ce qui faisait tout de même une petite trotte. En 7e, elle a Mme Fabre. En 1943, elle entre en 6e à Lakanal, la nourriture commence à manquer, elle part à la campagne. L’année est écourtée. Elle redouble. Mais l’année suivante, en septembre 1944, Paris libéré, c’est à Marie-Curie qu’elle fait la rentrée.

Un grand corps avec des ailes

Le vaste vestibule d’entrée est une caisse de résonance qui amplifierait même un chuchotement. Il donne sur un grand hall qui distribue les accès dans l’établissement. Lequel est fait d’un grand corps principal et, perpendiculaires, de petites ailes utilisées par l’administration et de grandes ailes où sont les salles de classe.

Les arbres y sont nombreux. Certains étaient déjà présents du temps du baron Cauchy, mathématicien du XIXe siècle (illustre pour ceux qui ont fait des mathématiques dans l’enseignement supérieur). Le lycée occupe l’emprise de sa propriété qui possédait alors un grand jardin. La proviseure adjointe, le gardien et une partie du personnel y logent aujourd’hui.

La disposition du lieu montre, pour Chloé Dupart, toute sa différence avec le style de lycée à la caserne du lycée Lakanal, construit en 1885, donc quelque cinquante ans plus tôt. La construction est plus ouverte, avec sa cour d’honneur orientée au sud vers le parc de Sceaux, et plus lumineuse grâce à la chaleur des parements de briques de couleur ocre.

Crédit LGdS

La salle des professeurs témoigne à elle seule de l’autorité passée de la fonction enseignante. Elle est meublée de tables au minimalisme raffiné de style Art déco, de fauteuils club profonds qui datent de l’avant-guerre (au contraire de la machine à café au fond à droite). Des rangées bien fournies de casiers occupent un mur. Chloé Dupart explique qu’avant-guerre les professeures se plaignaient de ne pas avoir de place pour ranger les copies. De toute évidence, elles furent entendues. Il y eut aux fenêtres de beaux vitraux Art déco qui irisaient la pièce. Ils furent déposés et sauvés avant que les Allemands n’occupent le lieu.

Les demoiselles

Dans l’après-guerre, dans l’enseignement secondaire pour filles, les professeures étaient majoritairement célibataires. On peut y voir un signe d’indépendance de femmes éduquées, et peut-être aussi d’esprit monacal. On se vouait à l’enseignement corps et âme.. C’était aussi le cas des maîtresses comme Mlle Vire-Lapeyre au jardin d’enfants ou Mlle Rose Sardou en primaire.

Annick Bourdillat garde pourtant des souvenirs très forts de professeures, des « demoiselles » qui l’ont marquée. « Melle Laugaa en imposait, hiératique, austère, au regard perçant. Elle avait une autorité énorme et intimidait. Elle enseignait le latin et le français en 6e et en Première. Elle était exceptionnelle. »

« Melle Vigier, aussi. Une autre professeure de français et de latin. Nous l’admirions. Elle avait une élégance sobre, était sévère, mais humaine et excellente professeur. »

Pour les enseignantes de Marie-Curie qui vivaient en couple, souvent le mari enseignait aussi ; et de surcroît à Lakanal : c’était le cas des Minois, Goujard ou encore Laffay. De sorte qu’en cas de maladie ou d’empêchement quelconque, le mari pouvait remplacer sa femme. À l’époque, on avait une sorte de gestion familiale des remplacements. On ne s’adressait pas au rectorat pour suivre la gestion centralisée. Si l’homme est dans la même discipline que sa femme, on s’arrangeait comme ça. Ainsi quelques hommes, avant la mixité, ont pu enseigner à Marie-Curie. Ce devait être très rare. Annick Bourdillat qui quitta le lycée en 1952 ne se souvient pas d’avoir jamais vu un professeur homme. Mais elle ne souvient pas non plus d’avoir eu de professeurs malades. Sauf cas très rares. Était-on plus résistant ? Plus engagé ?

« Quand le premier des professeurs hommes s’est présenté en salle des professeurs, raconte Chloé Dupart, il fut copieusement sifflé par la centaine de professeures présentes. » Un sifflement joyeux et appréciateur, comprend-on vite. On est trois ans après 1968.

Autres temps autres mœurs

Le grand hall, avec ses mosaïques, avec sa vue sur la fontaine bordée d’arbustes et sur la cour d’honneur prise entre les petites ailes, a l’apparat qui convient au rôle qu’il eut autrefois. On y donnait le bal en fin d’année. Les jeunes filles de la seconde à la terminale invitaient un garçon, en général de Lakanal.

« Le bal se tenait au printemps, se souvient Annick Bourdillat. Je n’y suis allée qu’une fois. C’était en 1952 probablement. Avant le bac. En fin d’après-midi. Peut-être entre 4h et 7h00. Le bal était sous le regard de la directrice, Melle Forfer, et de la surveillante générale des deuxièmes cycles, Melle Juliette Sardou. En arrivant, avant de danser, on allait les saluer en présentant notre cavalier. C’était pour nous d’une correction élémentaire. On n’aurait pas imaginé qu’il en aille autrement. J’avais une robe très habillée, mieux que celle du dimanche. Elle était un peu plus longue aux chevilles, elle avait un beau tissu, légèrement soyeux. Et mon cavalier, bien sûr, portait costume et cravate. »

Selon Chloé Dupart, bien des filles se sentaient plutôt prises sous le regard inquisiteur de la directrice et de la surveillante générale. On dit qu’elles vérifiaient si la distance entre les filles et les garçons obéissait aux règles de la correction. Autant dire qu’on ne dansait pas le slow.

Dans les années 50, le corps enseignant veillait à la bonne moralité des élèves, même à l’extérieur de l’établissement. « Elles pouvaient être punies pour un comportement jugé déplacé en dehors du lycée. » L’instruction se voulait autant civique qu’éducative. Un témoignage du consensus qui existait entre adultes sur la formation des enfants.

Fantaisies

En 1971, la même année que la suppression des blouses, les garçons commencent à arriver. D’abord en sixième puis, année après année, dans l’ensemble des classes. Dans les années 1950, le lycée comptait environ 900 élèves. Il en compte à présent 2000. Sans pousser les murs.

Crédit LGdS

Le temps féminin du lycée s’est enfoui. Il en reste les légendes qu’on se racontait. Chloé Dupart les collecte. Les interdits forment les imaginaires. Le sous-sol fut longtemps un lieu de rendez-vous secret (rêvé ?) entre les jeunes filles et les garçons supposés venir clandestinement de Lakanal par un souterrain. Les vestiaires se trouvaient là pour enfiler la blouse réglementaire. Accordons à l’endroit où l’on se change une part de mystère. Aujourd’hui ce ne serait guère possible : il n’y a qu’une remise et de très banals locaux techniques.

Pourtant, s’y trouvent aussi des abris de défense passive. Une loi de 1935 les rendait obligatoires. Ils sont soutenus par des poutres métalliques puissantes et, dans chacun d’entre eux, une bonne centaine de personnes peut s’y réfugier. Des prescriptions de sécurité leur conservent toujours ce rôle en cas d’attaque terroriste, si on n’a pu s’enfuir par une fenêtre. À défaut d’imaginer le pire, on peut continuer à se figurer des scènes énigmatiques et des rencontres fabuleuses. « La légende du souterrain reste vivace et questionne toujours les élèves malgré la fin de la non-mixité. » Touchant que les adolescents de maintenant se nourrissent encore de ces rêves-là.


Chloé Dupart est l’auteur d’un article d’une cinquantaine de pages qui paraîtra dans le Bulletin des Amis de Sceaux, société d’histoire locale, le 18 mars 2023. Une association du Musée du Lycée Marie-Curie de Sceaux doit prochainement être créée pour collecter témoignages et documents comme celui de Madame Annick Bourdillat.

  1. JEAN HAAS JEAN HAAS 7 décembre 2023

    Pour ma part, j’ai été à Lakanal, bien sûr, de 1964 à 1971, et ma mère y a enseigné l’histoire de 1959 à 1978.
    Il y avait un couple de professeurs de musique, auteurs de manuels, qui enseignaient, elle à Marie-Curie, lui à Lakanal, Claude et Yvette Voirpy.
    J’ai bien connu le Dr Blanc, comme patient, bien sûr, et aussi comme « assistant », l’hiver où la grippe a frappé les deux vieilles demoiselles chez qui j’apprenais le violon et le piano…
    Il y a 50 ans, on donnait encore de la cortisone en cas de mononucléose. Il était repassé me voir au bout de 2 jours de traitement, et me trouvant en pleine forme, il m’avait dit : « Vous devez vous sentir particulièrement intelligent ? – Intelligent, je ne sais pas, mais j’ai une puissance de travail que je ne me connaissais pas. – Ne vous faites pas trop d’idées, c’est de l’euphorie chimique ! »

  2. Claire Claire 2 mars 2023

    J’ai fait toute ma scolarité secondaire à Marie-Curie, mais auparavant, j’y avais fait une année de maternelle dans le local qui accueillit ensuite l’infirmerie. Dans la dernière pièce, très étroite, il y avait des poupons, des berceaux, des poussettes de poupées. Celle qui avait bien réussi ses ronds et ses bâtons obtenait un de ces magnifiques jouets pour la récréation. les autres les regardaient… La maîtresse s’appelait Mlle Virlapeyre. On lui avait donné un surnom… ce qui était très osé pour l’époque !

    • Chloé Chloé 2 mars 2023

      Et oui « La vipère », mais cela ne pouvait figurer dans l’article !

  3. Claude Le Guen (Mme) Claude Le Guen (Mme) 2 mars 2023

    Ayant passé 14 ans de ma scolarité, 1950-1964,
    au Lycée Marie Curie, je suis très touchée par cet
    article. Merci de l’avoir écrit.

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