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Espérance de vie en bonne santé

Les progrès de l’hygiène et de la médecine ont permis en trois siècles de multiplier l’espérance de vie par trois. Mais si c’est pour passer plus d’années en Ehpad, on peut s’interroger sur l’intérêt du processus. Quelle part de notre vie passe-t-on en bonne santé ?

Ce sujet est mis en avant dans le débat sur les retraites : quand certains justifient l’idée de reporter l’âge de départ en retraite par l’augmentation de l’espérance de vie, d’autres objectent en mettant en avant l’espérance de vie en bonne santé. Pour la clarté de l’exposé, cette question des retraites ne sera pas abordée dans le présent article et fera l’objet d’un article distinct.

Comment mesurer ?

Pour évaluer l’espérance de vie en bonne santé, encore faut-il pouvoir définir de quoi on parle précisément. Au début des années 2000, on a envisagé plusieurs méthodes. Par exemple, un questionnaire pour demander aux gens s’ils se considèrent en bonne santé. Ou l’existence d’un traitement à vie.

Depuis 15 ans, une méthode a été définie au sein de l’Union européenne. Elle permet des comparaisons dans le temps (au fil des années dans un pays donné) ou dans l’espace (entre pays).

La bonne santé est définie comme l’absence d’incapacité. Deux niveaux sont identifiés : incapacité modérée et incapacité forte. Un niveau supplémentaire est celui de la perte d’autonomie.

« Cette mesure s’appuie sur les réponses à la question posée dans le dispositif européen European Union Statistics on Income and Living Conditions (EU-SILC) « Êtes-vous limité(e), depuis au moins six mois, à cause d’un problème de santé, dans les activités que les gens font habituellement ? ». Cette question permet de repérer les personnes en situation de handicap, définies comme celles qui répondent : « Oui, fortement » (indicateur GALI, ). On peut ainsi également calculer un indicateur d’espérance de vie sans incapacité forte (c’est-à-dire sans handicap). »

On le comprend, la méthode laisse une certaine place à la subjectivité, mais essaie de la limiter au maximum : le GALI permet de poser une seule question incluant quatre éléments constitutifs du handicap : sa dimension chronique (« depuis plus de 6 mois »), ses causes médicales (« problème de santé ») et le fait que l’on cherche à mesurer les conséquences sur les activités (« limité dans les activités ») dans un contexte social donné (« que les gens font habituellement »).

La Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques pour le ministère des Solidarités et de la Santé) interroge chaque année 16.000 personnes. Comme il y a 16 tranches d’âge (de 5 ans chacune, sauf la première, de 15 ans), cela fait 1000 personnes par tranche d’âge. À peu près la même taille d’échantillon que les sondages électoraux. Si on observe qu’en 2020, 13,9% des hommes de 35 à 39 ans avaient une incapacité au moins limitée, le chiffre après la virgule (ici 9) n’est pas significatif.

L’indicateur ainsi produit a donc une précision limitée. Mais il a l’immense avantage d’exister, d’être le même dans toute l’Europe, et d’être mesuré tous les ans de la même manière depuis bientôt 15 ans (depuis 2008, la question ayant été modifiée cette année-là, la comparaison avec les années antérieures n’est pas faite).

Les incapacités dont on parle ici peuvent être de tous ordres. Elles peuvent avoir, ou pas, un lien avec le métier exercé et rendre inapte (ou pas) à celui-ci. Les personnes concernées peuvent être en bonne santé par ailleurs (par exemple, je peux avoir un problème de vue ou d’audition et continuer à faire des balades de 150 km à vélo sur une journée).

La DREES a publié, en 2018 et en 2021, deux articles analysant les résultats des enquêtes menées en 2008. L’article de 2018 reprenait les résultats jusque 2016 sous le titre « Les Français vivent plus longtemps, mais leur espérance de vie en bonne santé reste stable ». Celui d’octobre 2021 reprenait les valeurs jusque 2020 sous le titre « En 2020, l’espérance de vie sans incapacité à 65 ans est de 12,1 ans pour les femmes et de 10,6 ans pour les hommes ». Le résumé précise : « L’espérance de vie sans incapacité à la naissance, qui tient compte de la survenue éventuelle d’incapacités tout au long de la vie, a également augmenté, de 1 an et 5 mois pour les femmes entre 2008 et 2020 et de 1 an et 8 mois pour les hommes. Elle s’établit à 65,9 ans pour les femmes et à 64,4 ans pour les hommes. » Le document publié en 2021 fournit un grand nombre de données : on pourra s’y reporter pour plus de détails.

Commentaire des résultats

Premier constat, logique quand on y pense, l’incapacité touche une (faible) partie de la population bien avant l’âge de 60 ans (les valeurs ci-dessous sont une moyenne sur la période 2008-2020).

Comme on le voit sur les graphiques, environ 23 % des 50/54 ans subissent déjà une incapacité limitée, et 8% une incapacité forte. Bien entendu, les taux augmentent progressivement avec l’âge, mais il y a une nette augmentation du taux d’incapacité forte à partir de 70 ans.

Dans ces conditions, la valeur de l’espérance de vie en bonne santé n’est qu’une moyenne qui couvre des réalités très diverses. L’origine des incapacités subies peut être très variée, mais le travail en est évidemment une, avec des différences marquées selon les métiers.

L’espérance de vie est une moyenne. On peut décéder à la naissance à cause d’un problème à l’accouchement, à 8 ans de la méningite, à 15 ans d’une leucémie, à 25 d’un accident de voiture, à 40 ans d’une crise cardiaque, à 60 ans d’un cancer…ou à 115 ans de vieillesse. Rappelons que l’espérance de vie est le résultat d’un calcul, qui prend en compte la proportion de personnes qui décèdent à chaque âge. L’espérance de vie à un âge donné (par exemple à 60 ans) ne concerne que les personnes qui ont vécu jusque-là. Parce que le calcul ne prend plus en compte le risque de décéder avant 60 ans, la somme d’un âge donné et de l’espérance de vie à cet âge est supérieure à l’espérance de vie à la naissance.

Si on reprend la situation des hommes de 60 ans, on constate que leur espérance de vie restante est de 22,7 ans. Si on ajoute 60 ans, on observe que ces personnes auront en moyenne vécu 82,7 ans. Soit 3,6 ans de plus que les 79,1 ans d’espérance de vie à la naissance.

Si on fait le même calcul pour l’espérance de vie sans incapacité, on trouve un total à 60 ans de 73,4 ans contre 64,4 ans à la naissance (soit + 9 ans).

L’argument « si l’espérance de vie en bonne santé est de 64 ans il ne faut pas reporter la retraite à 65 ans » repose sur une erreur fréquente consistant à ne pas prendre en compte la réalité de l’espérance de vie à un âge donné.

Ce qu’on observe , c’est qu’en 2020, l’espérance de vie sans incapacité était pour les hommes de 13,4 ans à 60 ans et de 10,6 ans à 65 ans. Pour les femmes, les valeurs sont respectivement de 15,2 et 12,1 ans.

Si on évoque l’espérance de vie sans incapacité forte, elle est à 65 ans de 15,7 ans pour les hommes et de 18,1 ans pour les femmes.

Quelle évolution ?

Il y a eu un changement de méthode entre 2007 et 2008 : c’est après cette date qu’il faut raisonner.

Que ce soit pour les hommes ou pour les femmes, on note une hausse ces dernières années, ce qui explique la différence entre le titre des notes de 2018 (l’espérance de vie en bonne santé est stable) et de 2021 (l’espérance de vie en bonne santé augmente).

L’irrégularité de la courbe interroge. La courbe de l’espérance de vie est également irrégulière, en raison d’événements dans l’année (par exemple une grippe plus ou moins forte) mais, outre qu’on a ici une irrégularité plus forte, on peine à trouver les événements qui pourraient expliquer l’irrégularité de la survenue des incapacités.

Une explication possible vient de l’instrument de mesure lui-même. On a souligné le risque de subjectivité du questionnaire. Une explication possible serait alors que les répondeurs sont influencés par l’ambiance général (ce que l’Insee essaie par exemple de mesurer à travers l’indice de confiance des ménages). Ce qui expliquerait alors la chute de l’indicateur entre 2008 et 2009 (effet de la crise économique fin 2008) et sa remontée depuis 2017 (hausse continue de l’indice).

Cela confirme qu’il ne faut pas accorder trop d’importance à la valeur exacte de l’indicateur (le chiffre après la virgule notamment) et à son évolution à court terme, pour privilégier les évolutions longues (ce que permet un indicateur existant depuis longtemps).  

Entre 2008 et 2020, pour les femmes :

  • Espérance de vie : + 0,8 an
  • Espérance de vie sans incapacité : + 1,4 an
  • Espérance de vie sans incapacité forte : + 1,2 an

Entre 2008 et 2020, pour les hommes

  • Espérance de vie : + 1,5 an
  • Espérance de vie sans incapacité : + 1,6 an
  • Espérance de vie sans incapacité forte : + 1,4 an

Pour résumer

  • La DREES a défini un indicateur de suivi de l’espérance de vie sans incapacité. On parle ici d’incapacité durable à réaliser des activités que les gens font habituellement. Les activités en cause peuvent être de toutes sortes. La personne concernée peut être en bonne santé par ailleurs et cette incapacité peut n’avoir aucun impact sur son travail.
  • L’espérance de vie sans incapacité à la naissance est actuellement de 64,4 ans pour les hommes et de 65,9 ans pour les femmes.
  • L’espérance de vie à la naissance sans incapacité sévère est actuellement de 73,8 ans pour les hommes et de 77,9 ans pour les femmes.
  • Les incapacités peuvent apparaitre à n’importe quel âge, ce qui explique qu’en 2020, l’espérance de vie sans incapacité était pour les hommes de 13,4 ans à 60 ans et de 10,6 ans à 65 ans. Pour les femmes, les valeurs sont respectivement de 15,2 et 12,1 ans.
  • Sur 15 ans (depuis que l’indicateur existe), l’espérance de vie sans incapacité est en hausse : elle augmente autant que l’espérance de vie pour les hommes et nettement plus pour les femmes.
  • Comme sur d’autres indicateurs de santé, celui sur les incapacités montre de fortes inégalités entre individus

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