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La ville d’Ebenezer Howard. Notes de lecture.

Hervé Judéaux enseigne à l’ESPI (Ecole supérieure des professions immobilières). J’ai trouvé de lui un article fort instructif[1] dont le titre à lui seul parle à l’oreille du commun des marcheurs : « Concevoir la ville du XXI siècle à l’échelle du piéton ». Il y écrit plein de choses intéressantes, à commencer par un panorama historique sur la pensée de la ville. Rappelons nous, elle s’est construite sur une échelle compatible avec la marche à pied, puisqu’il semble avéré que les autobus et le métro ne remontent pas à Louis XIV. Et de ce point de vue, une figure se dégage, celle d’Ebenezer Howard dont on veut ici dire deux mots et honorer la mémoire.

Ebenezer Howard a pour lui d’avoir un prénom qui chante comme les premiers temps bibliques. En le prononçant, on se sent comme transporté aux portes de Jérusalem ou de Jéricho au milieu d’échoppes antiques, d’ânes chargés de paniers et de chuchotements hostiles à l’empire romain. Mais il a plus. Il est né en 1850 à Londres, a connu la ville et la campagne, fut profondément imprégné d’une pensée sociale ému par l’insalubrité des quartiers populaires.

« Ebenezer Howard propose […] un projet de ville rationnelle et hygiéniste située à la campagne, offrant un équilibre entre emplois, habitations, agriculture et industrie pour lutter contre le développement incontrôlé des villes. Ainsi naît le modèle d’un ensemble de villes multifonctionnelles, articulées entre elles, dans le but de contrecarrer […] l’étalement urbain »[2].

De ces idées naîtront en France, des cités-jardins en périphérie des métropoles, les centres-villes étant déjà d’un coût excluant les milieux populaires. Toujours est-il que dans l’esprit d’Ebenezer Howard, il s’agissait de bâtir 8 à 10 villes satellites autour de Londres, avec la préservation d’une ceinture rurale.

Dans Villes-jardins de demain, publié en 1907, Ebenezer Howard s’explique sur ses intentions. Elles sont illustrées de schémas qui permettent de les suivre.

Qu’on me laisse placer ici un diagramme très grossier représentant, comme je le conçois, le vrai principe sur lequel toutes les villes devraient croître. La Ville-Jardin s’est, supposerons-nous, accrue jusqu’à atteindre une population de 32 000 âmes. De quelle manière doit-elle croître ? Comment pourvoira-t-elle aux besoins d’autres habitants qui seront attirés par ses nombreux avantages ? Empiètera-t-elle sur la zone des terrains agricoles qui l’entourent et détruira-t-elle ainsi à jamais son droit d’être appelée “Ville-Jardin” ? Sûrement non ! On aboutirait à ce résultat désastreux si le terrain entourant la ville était, comme le terrain autour de nos villes actuelles, propriété individuelle d’hommes soucieux d’en tirer profit. Car alors, dès l’instant où la ville serait bâtie, le terrain agricole se trouverait “mûr” pour la bâtisse et c’en serait bientôt fait de la beauté et de la valeur sanitaire de la ville. Mais heureusement le terrain qui entoure la ville n’est pas dans les mains d’hommes privés : il est dans les mains du peuple et sera administré, non pas dans l’intérêt supposé d’une minorité, mais dans l’intérêt de toute la communauté. Il y a actuellement peu d’objets que le peuple garde aussi jalousement que ses parcs et ses espaces ouverts ; et- nous pouvons, je crois, avoir confiance dans la population de la Ville-Jardin : elle no permettra à aucun moment que la beauté de sa ville soit détruite par la croissance de celle-ci. Mais, insistera-t-on peut-être, si cela est vrai, les habitants de la Ville-Jardin ne pourront-ils pas, en agissant ainsi, être taxés d’égoïsme, empêchant la croissance de leur ville et privant ainsi beaucoup d’autres hommes de la jouissance de ses avantages ? Aucunement. Une brillante alternative existe quoique toujours oubliée jusqu’à présent. La ville croîtra ; mais elle croîtra conformément à un principe dont le résultat sera que cette croissance n’amoindrira ni ne détruira, mais augmentera toujours ses avantages sociaux, sa beauté, sa commodité.

Villes-jardins de demain, pp.128-129

On distingue dans la vision une part d’utopie, mais dans son principe elle reste d’une étonnante modernité. Le diagramme laisse rêveur. N’a-t-on pas une distribution de la population par ce qu’on appellerait aujourd’hui quartiers, entourés de « campagnes », reliés par des transports en commun à un centre-ville, le tout étant relié à des structures semblables et distantes. Cette vue, dont l’esprit perdure dans les cités-jardins de la métropole parisienne, semble remonter de temps immémoriaux. C’est que les théories de la ville qui se sont formées pendant le XXe siècle n’ont pas donné des résultats particulièrement probants. Pour ne pas dire pire.

Suivons à nouveau Hervé Judéaux. « Camillo Sitte, ainsi que les concepts et les réalisations qui ont conduit à la création des cités-jardins, vont être mis à mal par les idées des mouvements modernistes, dès le début du XXᵉ siècle, sous l’égide de l’architecte et urbaniste Tony Garnier. Ce dernier développe le projet d’une ville moderne « idéale », d’une cité industrielle basée sur la séparation des quatre grandes fonctions urbaines : travail, habitat, santé, loisirs.

Tony Garnier est suivi par les mouvements progressistes et, dès 1920, l’ouvrage de Camillo Sitte est vilipendé par les membres des congrès internationaux d’architecture moderne (CIAM), notamment par Le Corbusier. Il le qualifie de « champion du “chemin des ânes”, c’est-à-dire de la ligne courbe que notre modernité, vouée à l’orthogonisme, condamnait à l’obsolescence. »

Tout s’explique. Voilà pourquoi nous avons eu la chance, grâce à la profondeur de vue du Corbusier et de ses émules, à leur génie orthogonal, à leur disruption progressiste, de voir proliférer des ZAC et des ZUP, des hypers, des alignements immeubles, des concentrations de bureaux, et disparaître des villes nouvelles, ces horribles mémoires réactionnaires, les petits centres, les petits immeubles, les commerces d’à côté, les ruelles et les méchants sentiers.


[1] L’article est extrait des Actes d’un colloque « Immobilier durable : de la ville d’aujourd’hui à la cité de demain » qui s’est tenu à Paris en juin 2019, sous la direction d’Isabelle Maleyre, Cathy Veil, Carmen Cantuarias-Villessuzanne et Anne-Catherine Chardon
[2] Op.cit. p. 151

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