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L’autre vie de nos élus : Despina Bekiari

Elle est adjointe au maire de Fontenay-aux-Roses, en charge de l’environnement, des espaces verts, et du développement durable. Elle suit les associations patriotiques et ce n’est pas un hasard. Elle dirige un cabinet de gestion de biens et c’est une part de sa vie qu’elle sépare de la première avec obstination. Pas d’interférence entre les deux. Et pourtant… c’est bien la même personne très tournée : « analyse, action, résultat. » Encore faut-il comprendre ce qu’elle entend par là.

Arrivée en France à 19 ans

Etudes au lycée de Thessalonique et, en parallèle, au lycée français, Despina Bekiari vient d’une famille qui compte dans l’éducation la capacité à s’ouvrir à d’autres cultures. Ses parents sont d’anciens hauts-fonctionnaires. S’ils vivent toujours en Grèce, ils ont transmis à leurs deux filles le goût du vaste monde. Sa sœur vit au Royaume-Uni. Elle-même, après le bac, étudie 2 ans la littérature en Angleterre. C’était une sorte de césure. « Je n’avais pas l’intention d’y suivre toutes mes études, mais plutôt de m’imprégner de la langue. » Et la littérature semble, chez elle, le lieu de l’appropriation des nuances humaines. Sur son bureau, l’épais volume des lettres que François Mitterrand adressa à Anne Pingeot montre sa sensibilité à la qualité d’écriture.

Ensuite, c’est Paris. « J’avais choisi d’étudier le droit parce que le droit est utile, » dit-elle avec un naturel qui peut déconcerter ceux qui ont trouvé de l’utilité ailleurs. Mais c’est un fait et sa carrière en témoigne.

Elle suit à Paris 1 un cursus de droit social puis de droit des affaires. En 1999, son Master 2 (DEA à l’époque) inclut une spécialisation dans les baux commerciaux. La formation lui servira plus tard.

Le choix de la France et l’itinéraire qu’elle y suivra doivent quelque chose au lycée français. « Il était hébergé à l’Institut français de Thessalonique-Mission laïque française. Cette inscription (Mission laïque) sur le fronton de l’école a été très importante pour moi. Les professeurs nous expliquaient (et défendaient) ce que la laïcité est pour la France. Cela nous situait par rapport au lycée catholique de Thessalonique. » Le décor idéologique est planté.

Elle aime à citer une autre part de son éducation « qui n’a jamais été celle de la facilité ». Les petits boulots d’étudiante, de serveuse dans un café ou d’accueil dans une bibliothèque universitaire. « En Grèce, on garde à l’esprit qu’il ne faut s’en tenir qu’à soi-même. J’ai beau venir d’une famille plus aisée que la moyenne, cet esprit-là reste dans ma tête. »

Jaume Julià

Sa carrière professionnelle prend un tour formel quand elle rencontre Jaume Julià dans un salon professionnel. Il est directeur d’une entreprise catalane qui travaille dans l’artisanat d’art. Le designer travaille avec des artisans de villages de Catalogne qu’il forme aux techniques. Sa dimension sociale n’est pas dans les déclarations ; elle est concrètement dans la rémunération conséquente des ouvriers et ouvrières des villages.

Quand elle parle de lui, on comprend que pour Despina Bekiari l’expérience fut forte. « C’était un homme exceptionnel. Il avait une énorme volonté, un courage, une infatigabilité, un goût pour l’art, pour le business, pour son village. »

Si l’entreprise se situe dans le luxe, elle le veut abordable. « On n’est pas chez Cartier. » Les gammes de prix n’ont rien à voir. Un design exigeant, mais pas élitiste.

Une collaboration est née. Dans la ligne de mire : développer les circuits de vente en Grèce, puis en France, en Italie. On y conçoit des corners dans des boutiques de grandes enseignes ; on y associe les produits à des valeurs artistiques.

L’entreprise connaît une belle croissance. Elle se souvient que, lors des Jeux olympiques d’Athènes en 2004, elle marchait très bien. Avec la crise financière de 2008, les difficultés surviennent. Il faut revoir la stratégie commerciale, retravailler les cibles.

Tout comprendre

L’envie de longue date de créer une boîte, d’avoir la main sur son destin s’impose à elle avec la crise.

Une prise de conscience. Comment anticiper un crash ? Plus modestement, comment prévenir, simuler une période difficile. Elle se convainc que la volonté de créer (telle que celle de Jaume Julià) doit être intimement associée à l’inquiétude du résultat.

Elle part vers l’immobilier. C’est moins une rupture qu’une logique. Elle voit dans l’immobilier un préalable à toute activité commerciale et à ce titre un indicateur majeur de la tendance économique.

Anticiper. Elle en parle plusieurs fois. Imaginer un « comment avancer » dans l’adversité. L’esprit grec ?

Elle se lance en indépendante dans des missions en gestion de baux commerciaux (sa formation initiale). Après quelques années, elle s’associe et crée une entreprise. La différence avec ses prestations de freelance, c’est de maîtriser la relation commerciale. Patron, elle doit tout comprendre. Elle n’est pas experte en tout, mais elle veut avoir à connaître de tout. Comprendre, c’est commencer à anticiper.

La valeur ajoutée est dans la sécurisation des transactions immobilières. Se poser toutes les questions possibles pour prévenir les risques. En ce moment, son cabinet ouvre un bureau à Bordeaux et un autre à Dax. Le Sud-ouest est une région où la transmission, les donations de terres sont des pratiques en croissance qui réclament des expertises patrimoniales particulières.

Et un doigté tout aussi particulier. Dans l‘immobilier, « il faut faire extrêmement attention à la détresse que peut engendrer une transaction mal menée, ou simplement une difficulté dans la transaction. » Même ceux qui n’ont pas de terre comprendront. La Fontaine nous y aide. Le laboureur et ses enfants.

ADN politique

A 14 ans, elle est déjà dans la politique. Une partie de sa famille côté PASOK et l’autre à droite. Voilà de quoi aiguiser la sensibilité. En France, plus tard, la fibre continue de vibrer. Elle rejoint le PS.

« C’est une époque où le parti était un lieu d’échange entre sensibilités de gauche et de centre gauche. » Dans sa voix, il y a du regret. « J’ai retrouvé ce foisonnement dans le mouvement de soutien à Macron en 2016. »

En 2008, elle est élue conseillère municipale à Fontenay. Quand, plus tard, elle prend la charge du logement social, elle découvre toute une détresse. Assez empathique quand d’autres se satisferaient de leur bonne conscience, elle cherche des résultats. Or les logements sociaux ne poussent pas d’un claquement de doigts.

La marge de manœuvre n’est pas large, mais elle existe. « Je peux motiver les équipes, insister auprès des bailleurs pour une meilleure et rapide prise en compte des demandes des services, jouer sur les trois niveaux de logements sociaux. » Les bailleurs voudraient développer ceux qui rémunèrent le mieux. L’élue veut ceux qui protègent le mieux. L’opiniâtreté n’empêche pas le sens du compromis.

Elle est aussi femme d’exigence. Un jour, elle reçoit en tant qu’élue, une personne exigeant un certain nombre de choses tout en insultant la France. Elle en est révoltée. Un patriotisme de respect du pays qui l’a accueillie refuse de compatir avec qui crache dans la soupe. Réaction : elle rejoint la Réserve citoyenne de la Marine nationale. Pour expliquer le choix de l’arme, elle dit en riant : « Je suis née grecque ! » Une inscription génétique de la bataille de Salamine ? Quand les navires grecs et perses s’affrontèrent dans le détroit.

Dans l’équipe municipale, elle est correspondante Défense. Le rôle principal en est de développer un plan local de résilience (principe étudié à l’IHEDN – Institut des Hautes Études de Défense Nationale). Au niveau local, il faut prévoir les coordinations nécessaires entre les gestions des menaces qu’elles soient d’ordre sanitaire, d’antiterrorisme, etc. Chaque domaine a son protocole. Le problème pour une commune est d’assurer la cohérence des protocoles pour mettre en œuvre de façon cohérente les décisions prises par les différentes instances. Ainsi une mesure applicable à l’école demande à être déclinée en direction des parents.

Mais l’essentiel de son action d’élue est ailleurs. Chargée de l’environnement, elle suit l’engagement de Fontenay dans la transition écologique. Les projets, chantiers, actions sont nombreux. Fontenay Mag de novembre 2022 y consacre un dossier complet. On y voit mentionnés des travaux destinés à diminuer la consommation d’énergie dans des bâtiments scolaires et municipaux, en particulier l’école maternelle Scarron[1]. La baisse de température de 1°C dans ces bâtiments (sauf les crèches). Pour en compenser les effets, une polaire est offerte aux écoliers. Fair deal.

Un projet de puits de géothermie est en cours d’étude sur le site du Panorama. Ces exemples, ajoutés aux actions de sensibilisation nécessaires à l’implication citoyenne, montrent que la charge est coquette.

Chasser le superflu sans qu’il revienne au galop.

Quelle part dans la semaine entre son métier et sa charge d’élue ? Elle n’en a aucune idée. Elle ne calcule pas les temps passés. Elle n’observe que des résultats. Prenons la question autrement. « Si vous n’étiez pas élue, votre charge au travail serait-elle augmentée ? Oui. Si vous deviez cesser votre travail, votre charge d’élue serait-elle augmentée ? Non. Fontenay est une commune modeste. Il ne faut pas s’inventer des charges. Le rôle d’élu est de définir une politique et de veiller à la cohérence de l’ensemble. » Ce sont les services de la ville qui assurent les objectifs. Et ils le font bien.

Parfois, ce doit être coton de concilier travail et charge d’élue. Mais Despina Bekiari a sa « recette » : discipline de vie, lever vers 5h30, sport ; chasse au superflu. Qu’est-ce que le superflu ? C’est tout le problème. Savoir discerner, savoir circonscrire les tâches. Pas de recette de miracle. Une organisation mentale : « Si ce n’était pas faisable, j’arrêterais. » Ce qui peut s’interpréter comme : connaître ses limites et ne pas faire les choses à moitié.

Institut français de Thessalonique

[1] « La rénovation de l’école maternelle Scarron réalisée cette année était une priorité. Isolation thermique de la façade, végétalisation, nouvelles menuiseries, remplacement des luminaires, nouveau système de chauffage,..» p.17

  1. Stéphane Stéphane 6 février 2023

    Parcours de vie très intéressant. J’ai apprécié la prise en compte équilibrée de l’itinéraire personnel et du rôle d’élue. Pas beaucoup de politique. Très bien.

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