Ce 18 février, le café histoire accueillait au Patio Michel Labrousse, sur le thème « les enjeux du nucléaire ». Étant pour une fois disponible un vendredi après-midi, j’ai eu plaisir à aller écouter l’orateur.
Michel Labrousse a travaillé pendant quinze ans au CEA (Commissariat à l’énergie atomique) avant de le quitter en 1982 et il est connu depuis comme un militant antinucléaire : il connaît très bien le sujet abordé et l’a encore prouvé devant les participants.
Plutôt que de parler des différents enjeux du nucléaire, l’orateur a surtout brossé une fresque historique, ce qui paraît assez logique au regard de l’objectif de l’association qui l’accueillait. Un survol forcément rapide dans le temps imparti, mais qui a probablement fait découvrir une partie de cette histoire aux participants.
Il s’est concentré sur la partie militaire de l’histoire, avec une conviction : « mon point de vue est qu’on ne peut pas dissocier le nucléaire militaire et le nucléaire civil ».
Le présent article se veut donc un complément à ce qui a été présenté. Il abordera surtout la partie civile du nucléaire et expliquera pourquoi je ne partage pas le point de vue de l’orateur.
L’utilisation médicale du nucléaire s’est faite très tôt, avec d’abord la radiologie (grâce aux rayons X découverts par Wilhelm Röntgen en 1895) : au début de la guerre de 14, l’armée française peut faire appel à 175 praticiens en radiologie.
Le neutron est découvert en 1932. La preuve de la fission de l’uranium par bombardement de neutrons est apportée le 6 janvier 1939 par Otto Hahn, ouvrant la porte au nucléaire civil et au nucléaire militaire. Cela va ensuite très vite. Le 4 mai de la même année, Frédéric Joliot-Curie dépose trois brevets : les deux premiers concernent la production d’énergie nucléaire et le troisième l’utilisation pour des explosifs.
On peut interpréter ce dépôt de deux manières : en observant que les concepts de base sont les mêmes, ou en observant qu’il s’agit de brevets différents.
Dans les deux cas, il faut en effet créer les conditions d’une réaction en chaîne. Mais dans le cas du militaire, cette réaction doit s’emballer, et le plus vite possible (pour des raisons techniques) alors qu’au contraire, le nucléaire civil nécessite de maîtriser la réaction en chaîne.
Le mécanisme général ayant été découvert en 1939, on ne sera pas vraiment étonné que ce soit la filière militaire qui ait eu la priorité de la recherche. On trouvera sur le blog de Tristan Kamin (ingénieur en sûreté nucléaire, très actif en vulgarisation du nucléaire sur Twitter) une explication assez longue sur les intrications entre civil et militaire. On en retiendra notamment la conclusion :
- L’enrichissement s’est développé d’abord pour l’Arme et la propulsion
- Le retraitement est une technologie purement militaire à la base.
- Les premiers réacteurs électrogènes étaient à vocation militaire.
- Les réacteurs actuels produisent un plutonium dont le vecteur isotopique est incompatible avec la fabrication d’armes
- Ils ne permettent pas d’extraire le plutonium sans arrêter le réacteur pendant des jours.
- Les militaires ont développé le réacteur à eau pressurisée avant le civil.
- La propulsion navale exploite déjà pour la motorisation des sous-marins des réacteurs qui rappellent les futurs SMR
S’il y a un constat à tirer de tout ça… C’est que, hier comme aujourd’hui, entre civil et militaire, on a non pas une intrication… mais plutôt un apport unidirectionnel. Le militaire a abreuvé le civil de technologies, tandis que l’inverse est assez rare – le civil a par contre permis d’amortir le coût de développement de certaines technologies développées à but militaire.
L’armement nucléaire doit respecter deux contraintes : une taille raisonnable (on a des kilos de matière fissile dans une bombe, pas des tonnes) et une stabilité dans le temps quand on ne l’utilise pas. Cela nécessite de l’uranium enrichi à 99 % ou du plutonium très pur. La filière graphite gaz développée par les Français jusqu’au milieu des années 70 permettait de produire le plutonium adéquat. Ce n’est plus le cas avec la filière eau pressurisée qui représente 100 % du parc. Les derniers réacteurs de la filière graphite gaz ont été arrêtés en 1994.
Dans le monde, deux pays ont la bombe sans avoir de nucléaire civil : Israël et la Corée du Nord. De nombreux pays ont du nucléaire civil sans avoir la bombe atomique ni chercher à l’avoir : Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Suède, Finlande, Espagne, Suisse, Tchéquie, Canada, Corée du Sud, Brésil, Argentine…
Mais pour Michel Labrousse le vecteur fondamental du développement du nucléaire est militaire. Et sa présentation a été conçue pour justifier ce point de vue. Il est même allé jusqu’à dire qu’on avait lancé le nucléaire civil après Hiroshima pour se donner bonne conscience. Quelques faits démentent pourtant cette vision.
Évoquons d’abord un exemple qu’il n’a pas eu le temps d’exposer (mais qui était dans ses diapos), celui des « petites Curies », surnoms donnés aux véhicules que Marie Curie a équipés d’unités de radiologie pendant la Première Guerre mondiale et qui permettaient de se rendre sur les différents fronts de guerre en France (selon Wikipédia). C’est un exemple d’association du militaire et du civil ; mais il prouve aussi que la radiologie existait déjà en 1914, et il s’agit bien d’une application civile.
On conviendra que le débat sur le nucléaire « civil » ne concerne pas les applications médicales mais l’utilisation pour produire de l’électricité. On notera au passage que les Français reçoivent en moyenne 80 fois plus de radiations de source médicale que le total des radiations (marquées autres sur le graphique) liées au nucléaire civil et militaire (y compris celles des résidus de Tchernobyl ou des essais atomiques).
L’histoire du nucléaire, c’est en fait une séparation de plus en plus forte entre les deux filières, civile et nucléaire, nées toutes les deux des mêmes avancées de la science dans les années 30.
A propos de la masse critique
L’orateur a évoqué la question de la masse critique pour produire une bombe, en expliquant qu’il avait été d’abord estimé qu’il fallait une masse de plusieurs tonnes avant que les Anglais ne montrent comme faire avec beaucoup moins. On notera ici que Frédéric Joliot Curie (qui reçoit le prix Nobel avec sa femme Irène en 1935) dépose en mai 1939 trois brevets sur la réaction en chaîne. Les deux premiers visent la production d’énergie nucléaire, le troisième la production d’explosif nucléaire (voir pour plus de détail sa page Wikipédia). Peu de temps avant, il avait calculé qu’il fallait 40 tonnes d’uranium pour atteindre la masse critique, c’est-à-dire obtenir une réaction en chaîne.
L’uranium 235 est fissile : il peut se scinder s’il est heurté par un neutron. Comme sa fission se traduit par l’expulsion de deux ou trois neutrons, le nombre de fissions peut augmenter exponentiellement, exactement comme l’épidémie de Covid peut se propager si R0 est supérieur à 1. Mais de la même manière que le Covid diminue si les gens ne se rencontrent plus, la réaction en chaîne ne peut pas se produire s’il n’y a pas, à proximité de l’atome qui se scinde, suffisamment d’atomes fissiles que les neutrons produits peuvent heurter.
Une remarque au passage : la fission produit surtout des neutrons rapides (ils vont à une vitesse supérieure à 10 % de celle de la lumière), moins efficaces que des neutrons lents pour heurter les atomes proches. Les réacteurs nucléaires ont donc un système pour modérer les neutrons rapides et les transformer en neutrons lents. En cas d’incident quelconque, cette modération va diminuer et la réaction en chaîne va ralentir et cesser : une explosion atomique est impossible dans une centrale nucléaire, même si un avion tombe dessus (ou sur les piscines à combustibles).
Un exemple ancien de ce phénomène a été découvert au Gabon, dans la mine d’Oklo. Il y a deux milliards d’années, l’uranium naturel contenait une proportion plus forte d’uranium 235 qu’aujourd’hui. Dans ce qui a de nos jours été une mine d’uranium, un dépôt de minerai riche en uranium a été recouvert par de l’eau qui a fonctionné comme modérateur des neutrons rapides. Une réaction en chaîne s’est alors enclenchée, produisant une chaleur qui a fait évaporer l’eau. La disparition du modérateur a fait cesser la réaction en chaîne, le milieu s’est refroidi et l’eau a pu de nouveau fonctionner comme modérateur, enclenchant une succession de cycles (d’une durée de 2,5 heures). On considère que ce réacteur naturel a fonctionné pendant une durée comprise entre 150 000 et 850 000 ans. On observe aujourd’hui que les déchets produits n’ont pas migré en 2 milliards d’années : le projet Cigéo a été choisi à Bures, car on y trouve le même type de terrain.
…Et puis pour l’ozone : https://www.humanite.fr/sciences/academie-des-sciences/lozone-selon-quil-est-stratospherique-ou-tropospherique-600545
Nucléaire civil ou militaire ?
Voilà un débat qui n’enlève rien à la réalité de la science nucléaire. Les physiciens théoriciens et expérimentaux, comme les ingénieurs qui manipulent tout ça, sortent peu ou prou des mêmes universités et des mêmes écoles.
S’ils arrivent à faire marcher tout ça, coté civil comme militaire, c’est qu’ils comprennent ce qu’il savent et savent ce qu’ils font.
Après, ce sont des choix éthiques ou politiques.
Petit détail, le soleil est une gigantesque machine à fusion nucléaire. Sans soleil pas de vie. Mais trop de soleil, pas de vie non plus. Heureusement notre planète possède un fort champ magnétique qui dévie le vent solaire et nous protège de ses méfaits. Et puis nous sommes également protégés des ultraviolets par l’ozone stratosphérique. Rappelons nous l’alerte du « trou dans l’ozone » et de la réaction rapide et concertée de tous les responsables de la planète pour y remédier. Heureusement, il y a des responsables conscients.
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que Marie-Curie, célèbre à Sceaux, a été l’inventeur des « Petites Curies » (https://new.sfen.org/rgn/role-petites-curie-vie-soldats-blesses-grande-guerre/) dont le rôle a été déterminant dans le développement de la radiologie.
La découverte du rayonnement X a permis le développement de la radiologie .Mais .. l’émission X est un phénomène électronique ( qui concerne le cortège électronique d’un atome tandis que les phénomènes nucléaires concerne le noyau de l’atome
Jocelyne, quelle est votre idée? Quelles sont les conséquences de cette différence, selon vous?