Avec Les Amis des Rencontres Littéraires et Artistiques de Sceaux, Marie-Lou Schenkel a invité Paul Guillon le 9 février dernier à l’ancienne mairie de Sceaux pour nous entretenir de l’intimité du maître Rembrandt Harmenszoon van Rijn, connu et nommé habituellement par son seul prénom.
Le succès de cette conférence était tel qu’il nous a fallu, mon épouse et moi, nous mettre sur liste d’attente lors de la réservation. Nous avons eu la chance de bénéficier de deux défections.
Diplômé de Sciences Po (Paris), agrégé d’Histoire, Paul Guillon intervient dans différents séminaires d’entreprises ou de CSE, comme conférencier et consultant en management par l’histoire de l’art.
Il enseigne à titre principal l’histoire dans un lycée parisien (Stanislas) et l’histoire de l’art dans l’enseignement supérieur (ISEP). A ce titre, il est chargé de conférences dans les classes préparatoires de Stanislas et dans de nombreux autres établissements pour les élèves, les parents, les professeurs (Franklin, Saint-Jean-de-Passy, Sainte-Marie-de-Neuilly…).
Par ailleurs écrivain, auteur de La couleur pure, et de Tes Empreintes, , il collabore à différentes revues littéraires ou philosophiques. Il est notamment cité dans un ouvrage de référence sur les liens entre littérature et peinture, Des mots pour la peinture, publié au Seuil en 2010.
Paul Guillon entame son propos en précisant que sa conférence ne sera pas la simple redite de sa conférence des années 2016/2017 faite au musée Jacquemart-André, car cette dernière était consacrée à la peinture du maître, alors qu’il s’agit cette fois d’entrer dans l’intimité du grand peintre.
En écho à la recherche de Rembrandt qui disait vouloir montrer l’invisible dans sa peinture, Paul Guillon invite le public dans son intimité psychique, voire spirituelle. Il y parvient par touches successives, tel un impressionniste, tableau par tableau, et l’heure et demie de la conférence s’achève alors que l’on a le sentiment que le propos vient de débuter.
Le conférencier commence par commenter le premier autoportrait de Rembrandt, le premier d’une très longue série (voir première illustration). Il nous prévient : Rembrandt ne cherche pas à parler de lui, ce n’est pas la traduction d’un narcissisme forcené, mais à montrer l’humanité au travers de ses traits et de ses regards. Il utilise avec génie le clair-obscur pour donner du volume et, pour la partie du regard qui est dans la pénombre, pour laisser transparaître le mystère de l’humanité.
Au fil des toiles commentées, Paul Guillon fait le parallèle entre la peinture dramatique et quelque peu théâtrale du Caravage, dont il s’est inspiré pour l’utilisation du clair-obscur et celle de l’intimité de Rembrandt.
Toile après toile, Paul Guillon montre la foi de Rembrandt, protestant un peu frustré de ne pouvoir, en conformité avec les préceptes de sa religion, couvrir de sa peinture les murs de temples. Il fera cependant sur des thèmes religieux de nombreuses toiles, toujours empruntes de sa recherche de la vérité, de la souffrance, de l’humanité, à l’exact opposé des mêmes scènes peintes par d’autres avec une volonté d’embellissement, de symbolisation.
Il compare à ce propos la lapidation de Saint-Etienne, premier tableau de scène religieuse de Rembrandt avant que son style unique ne prenne définitivement forme avec celle peinte par Charles le Brun en 1651. Chez ce dernier, la grandiloquence, la mise en scène, l’emphase, chez Rembrandt, l’humanité telle qu’elle est.
Rembrandt, apprend-on, était le neuvième de dix enfants d’une famille relativement aisée. Son épouse, Saskia, lui servira de modèle dans différents tableaux, comme personnage principal ou bien en arrière-plan, parmi d’autres. Ce sera la même chose une fois cette dernière disparue, avec son fils Titus et sa deuxième concubine Hendrickje Stoffels — qui apparaissent régulièrement dans ses peintures, l’aidant, par sa connaissance intime des modèles, dans sa recherche de l’humanité profonde des êtres.
Le conférencier se livre à une sorte de jeu de pistes dans différentes toiles où il nous aide à identifier la première comme la seconde compagne, ainsi que Titus.
Il s’attardera sur son Autoportrait à la chaîne d’or, peint à l’âge de 27 ans, alors qu’il révèle une maturité dans son art proprement incroyable (voir dernière illustration). Il évoque l’humour du maître qui s’est sciemment déguisé en bourgeois amstellodamois par ironie envers les autres comme envers lui-même.
A propos de la leçon d’anatomie du Docteur Tulp (voir deuxième illustration), comme de la leçon d’anatomie du Docteur Deyman, Paul Guillon souligne à quel point le peintre rend compte de la réalité des chairs, révèle tout, là où la tradition est de mettre en scène et souvent avec pudeur une leçon d’anatomie. Dans le second tableau, Rembrandt n’hésite pas à montrer les deux lobes du cerveau du cadavre, un condamné à mort, alors qu’un assistant du docteur tient presque négligemment la partie du crâne trépané, pour révéler ce qu’il y a en dessous.
Apothéose du siècle d’or néerlandais, Rembrandt, dont la Ronde de nuit (voir troisième illustration) exposée au Rijksmuseum d’Amsterdam, est pour moi un des sommets de l’art pictural, quelles que soient les péripéties que cette fresque a traversées (baptisée « de nuit » alors que c’est la crasse et le vieillissement qui a rendu la scène nocturne, découpée pour pouvoir être transportée, etc.) et quelle que soit l’histoire de cette gigantesque toile de commande. Elle nous est mieux comprise de l’intérieur après cette dense et vivante conférence. Ce qui ne devait être qu’un portrait de groupe est devenu un chef-d’œuvre historique en même temps qu’un manifeste baroque, révolutionnant au passage les postures et attitudes des protagonistes. C’est aussi une brillante satire sociale…On intègre mieux, en écoutant Paul Guillon, l’alchimie interne du peintre entre sa foi profonde, sa passion de la vérité, et son art. On comprend mieux l’homme derrière le génie.
Rembrandt (1606-1669) s’est éteint un 4 octobre, à 63 ans, et est enterré avec son fils dans la Westerkerk, à Amsterdam, presque dans une fosse commune. La localisation précise de sa tombe n’étant pas connue, on peut voir une plaque, placée faute de mieux, sur un pilier à côté de la tombe de son fils.
Non seulement, il est le maître incontesté d’une peinture absolument sincère, inquiète et spirituelle, mais encore, au travers de sa peinture de ses bourgeois d’Amsterdam, de son cercle familial ou de ses innombrables autoportraits, Rembrandt n’a pas du tout cherché à enjoliver l’âme humaine, mais en a inlassablement traqué la vérité sans fard.
Une bien belle conférence autour de chefs-d’œuvre connus, mais redécouverts grâce aux yeux et aux analyses de Paul Guillon. On en sort en appréhendant bien mieux l’humanité de Rembrandt et partant sa quête créatrice…