Résumé
Début février, Macron est pressé par le milieu médical de procéder à un nouveau confinement. Il sait qu’il faut encore 5 mois pour que la vaccination permette aux Français de revenir à une vie à peu près normale. Comment faire pour éviter le débordement des hôpitaux et le burn-out des soignants, sans enclencher une révolte sociale ? Tout cela en ne faisant pas perdre 5 mois de scolarité aux jeunes et en maintenant la vie économique à flot ? Les épidémiologistes insistent sur le premier objectif, il a certainement conscience du risque social.
Trois mois plus tard, s’il est impossible d’évaluer quel aurait été le meilleur choix, on mesure mieux les raisons de celui qui a été fait.
Enjeux sociaux
Les gens que je suis sur Twitter sont pour la plupart des gens raisonnables et bien informés. Comme eux, j’étais favorable à un confinement anticipé en février. Je craignais cependant qu’il n’ait pas l’efficacité escomptée, une partie de la population semblant peu encline à respecter les règles.
J’ai été surpris par la réaction des médias et des partis politiques à la décision de Macron de ne pas confiner, et cela m’a fait réfléchir. Pourquoi, quand tous ceux que je considérais comme sérieux s’indignaient, les médias et les leaders politiques ne le faisaient-ils pas ?
La réponse est assez simple : ces personnes « sérieuses » sont largement minoritaires ! Parmi les autres, il y a bien sûr tous ceux qui sont dans le déni, les antivaccins ou anti-masques, les fans de Raoult et consorts, les complotistes et autres.
Mais il y a aussi tous ceux qui ont du mal à comprendre ce qui se passe, ceux qui n’ont pas d’avis tranché et sont méfiants, ceux qui se permettent de temps en temps des dérogations aux règles ou en font une interprétation personnelle, ceux qui ne supportent plus d’être enfermés chez eux ou de ne plus voir personne. Ceux qui se demandent quand tout cela va-t-il encore finir !
Entre les gens sérieux et raisonnables et les anti tout, il y a la grande masse des sceptiques, méfiants, fatigués ou désabusés. Ce sont des dizaines de millions de personnes qu’il faut réussir à emmener et le faire sur la durée.
Revenons à du basique : pour que le coefficient de reproduction du virus passe en dessous de 1, il ne suffit pas que 30 ou 40 % des habitants suivent les règles. Il faut que ce soit plus de 80 %. Au moins.
De même, si on veut sortir des contraintes liées à la pandémie, il ne suffira pas que les 50 ou 60 % qui étaient prêts à le faire en janvier se fassent vacciner, il va falloir atteindre et dépasser les 80% et si possible même les 90 %.
Depuis un an, le gouvernement explique régulièrement qu’il va renforcer le programme « tracer, tester, isoler ». Cela ne signifie pas que celui-ci n’a pas d’effet. Il contribue à la baisse de R (le coefficient de reproduction du virus). N’oublions pas que sans contraintes, celui-ci est au-dessus de 3 et même 5 avec le variant anglais.
Mais ce programme n’est pas suffisant pour que R passe sous 1. Parce qu’il y a des asymptomatiques. Mais aussi parce qu’une part notable de la population ne le respecte pas. Que des gens ont des symptômes, mais vont travailler ou envoient leurs enfants à l’école.
Il y a des pays qui ont su imposer le respect de ces règles. Tant mieux pour eux. Mais est-ce qu’on croit sérieusement que c’était possible en France ?
Dans ces conditions, la question du gouvernement n’est pas, comme certains le racontent sans rire, « d’écouter les scientifiques » ou « d’écouter les économistes » ou de « préparer les élections ». La question, c’est comment faire avec tout cela, avec tous ceux-là !
La politique, c’est l’art du possible, disait paraît -il Gambetta. D’aucuns rétorquent qu’il s’agit de rendre possible le souhaitable. Plus facile à écrire sur son clavier qu’à faire dans le réel.
Et si on avait confiné en février?
Imaginons les scénarios. Le premier consistait à confiner en février pour baisser le niveau de circulation du virus et avoir plus de marges de manœuvre quand le virus anglais deviendrait dominant.
Quel aurait été le résultat de ce confinement ? Il y a une version optimiste : au bout d’une semaine, le nombre de cas se met à baisser nettement, et quatre semaines après, on atteint les 5000 cas quotidiens qui était le but affiché en novembre. On peut alors sortir du confinement, tout en maintenant le port du masque et les gestes barrières. Entretemps, on a mis en place des moyens d’un programme tester/tracer/ isoler, avec vérification que les personnes s’isolent et réservations de structures (hôtels…) pour cet isolement chaque fois que nécessaire (par exemple à l’arrivée de l’étranger). Quand le variant anglais devient majoritaire en mars, on a le temps d’observer la montée du nombre de cas et on met en place en avril un quatrième confinement, en partant d’un niveau de cas quotidiens inférieur à 15 000. Au total, les hôpitaux peuvent continuer leurs activités normales, le nombre de décès et de Covid long reste assez bas.
Il y a plusieurs raisons de penser que cette version optimiste ne répond pas à la réalité. Parce qu’il aurait été mal compris et certainement contesté, probablement par une partie de la classe politique « sérieuse » (au-delà de Philippot ou Dupont gnangnan). Quand on voit comment celle-ci n’a pas voulu être associée à celui d’avril…
En avril, il était assez simple de dire aux Français que l’épidémie était en train de flamber et que les hôpitaux étaient pleins. Mais en février, on devait dire qu’on anticipait par prudence ?
On a donc une version pessimiste du scénario avec confinement en février : le nombre de cas ne commence à baisser qu’au bout de deux semaines, et ne baisse ensuite que lentement. Au bout de quatre semaines, on est encore à 12 000 cas quotidiens. Donc il faut prolonger, pour se retrouver ensuite avec un virus anglais dominant mi-mars, qui aurait conduit soit à 3 mois de confinement, soit à deux confinements à deux mois d’intervalle.
Peut-on sérieusement affirmer avec certitude que cela aurait été socialement possible ? Il faut lire l’article du Monde du 25 avril qui annonce que deux de nos voisins sont contraints d’alléger le confinement sous la pression de l’opinion publique.
La Belgique rouvre les terrasses jusqu’à 22 heures alors que les hôpitaux sont saturés par le Covid.
Regardons aussi les très récentes élections madrilènes et ce qu’en dit le Monde :
« Mme Diaz Ayuso, ferme opposante aux strictes restrictions sanitaires, a doublé son score du dernier scrutin régional de mai 2019, en totalisant plus de 44 % des voix «
« Elle a toujours refusé d’imposer des restrictions strictes contre la pandémie afin de protéger les entreprises, notamment les bars et les restaurants, qui sont restés ouverts. …. sur fond de ras-le-bol d’une partie de l’opinion à l’égard des mesures anti-Covid. »
Ses détracteurs mettent, en avant la sombre situation sanitaire de la région de Madrid avec quelque 15 000 décès du Covid-19 sur un total de 78 000 pour toute l’Espagne et près de 700 000 cas sur un total de 3,5 millions : le pire bilan des dix-sept régions du pays.
Soyons lucides : la situation des esprits ne doit pas être très différente chez nous que chez ces voisins !
Des comportements mal partagés
La question posée en février à Macron, c’était comment faire pour tenir 5 mois en faisant accepter les contraintes nécessaires sur la durée. Et comment faire accepter la vaccination au maximum de Français ?
La réponse qu’il a choisie a finalement été un scénario alternatif au confinement anticipé. Il a profité du discours sur un confinement probable pour faire accepter des mesures qui ont permis de stabiliser la circulation du virus pendant un mois.
Regardons le graphique ci-dessous, qui montre le taux de respect par les Français de chacune des mesures prises contre le COVID. Voir notamment la courbe verte qui évoque « les réunions et rassemblements en face à face. Voir aussi la courbe violet foncé à partir de la vague 14 de l’enquête, sur les « rassemblements festifs ». Après le premier confinement, l’application des mesures de prévention avait sérieusement baissé. Le deuxième confinement a permis de faire nettement remonter leur application, à un niveau cependant inférieur à celui observé en mars avril.
A la fin du deuxième confinement, on observe que la baisse de la prévention ne se fait que très lentement, ce qui explique que le nombre de cas quotidiens n’augmente pas, du moins avant que le variant anglais soit devenu majoritaire.
Le troisième confinement ne provoque qu’une reprise assez limitée des comportements responsables, mais elle sera suffisante pour produire une forte chute du nombre de cas, après quelques semaines de stabilisation.
Cela fait presque deux mois que le gouvernement nous demande de tenir encore quelques semaines. On dirait un ânier qui fait avancer son âne avec une carotte un mètre devant lui. Maintenant on a un calendrier jusqu’à l’été.
On a pu craindre pendant les trois premières semaines d’avril que le confinement ne réussissait qu’à stabiliser l’épidémie à un très haut niveau. Mais ensuite, cela a baissé franchement. D’abord avec le nombre de cas, puis ce sont les hospitalisations et les entrées en soins critiques qui se sont mis clairement à la baisse (d’un quart environ par semaine). Actuellement, le nombre d’entrées en hospitalisation est plus de deux fois plus faible que début avril.
Le nombre de cas quotidiens va-t-il continuer à baisser, se stabiliser ou remonter, voire remonter très vite ? C’est la question majeure des prochaines semaines. Comme le dit Édouard Philippe dans une vidéo aux Havrais, il faut rester prudent.
Curieusement, l’utilisation massive des tests salivaires dans les écoles pourrait avoir un effet positif en maintenant l’alerte au sein de la population. Après la rentrée scolaire, on s’est retrouvé avec 2% environ des classes fermées pour cause de Covid. Soit au moins 10 % des établissements scolaires touchés et au moins autant de familles alertées.
Effet de la vaccination
La vaccination, commencée de manière prioritaire pour les plus âgés, a aussi un effet manifeste sur la répartition des cas. Sur les graphiques ci-dessous, qui représentent le nombre d’hospitalisations par tranche d’âge, on peut comparer, pour chaque tranche d’âges, le situation lors du pic de novembre et maintenant. Il y avait plus d’hospitalisés en novembre pour les 60 ans et plus, c’est le contraire pour les moins de 60 ans. C’est incontestablement le résultat de la vaccination prioritaire des plus anciens.
On notera aussi que le nombre d’hospitalisés varie beaucoup selon les classes d’âges. Augmenter le nombre d’hospitalisés chez les moins de 40 ans n’a guère d’effet sur la charge hospitalière. La baisser chez les plus de 60 ans en a beaucoup plus.
Or, la vaccination a beaucoup progressé chez les plus de 60 ans, y compris depuis début avril. Certes, son effet n’est vraiment complet que deux semaines après la deuxième dose, mais elle est déjà très importante 12 jours après la première dose.
Plus de 80 % des 70/79 ans sont déjà partiellement vaccinés et c’est le cas de plus de 60 % des sexagénaires. Or ce sont eux les plus nombreux en soins critiques. La proportion des quinquas vaccinés augmente aussi rapidement. Tout cela ne peut que contribuer à réduire fortement la pression hospitalière.
Il faut dire que la France recevant plus de doses chaque mois, le rythme de vaccination s’accélère. Le cap des 200 000 injections quotidiennes a été atteint le 11 février, celui des 300 000 le 11 mars, puis 400 000 le 1er avril et 600 000 le 6 mai
Dit autrement, les populations les plus fragiles sont en train d’être vaccinées. Cela va soulager fortement les hôpitaux si le virus n’accélère pas de nouveau. D’où un calendrier très progressif de desserrement des contraintes. La question est de savoir comment les Français vont le respecter.
Certains ont ironisé sur le fait que le seuil de 50 cas hebdomadaires pour 100 000 habitants évoqué en 2020 a été remplacé par un seuil beaucoup plus élevé de 400 cas. Mais avoir 400 cas parmi les 20/40 ans serait beaucoup moins dangereux que d’en avoir 50 parmi les plus de 60 ans.
On n’en est pas encore là : même si la majorité des 60 ans et plus est maintenant vaccinée d’au moins une dose, il reste encore trop de seniors qui ne le sont pas. Dans l’idéal, il faudrait atteindre un taux de 90 %. Pas forcément impossible, le taux progresse tous les jours. Les chiffres actuels laissent percevoir qu’on pourrait atteindre 85 %. Ce qui, au regard des méfiances observées cet hiver, serait déjà un très bon résultat.
Il y a six mois, on se demandait si la moitié des Français accepterait le vaccin et Santé publique France multipliait les enquêtes pour comprendre les réticences des Français :
Une partie importante des méfiants ont changé d’avis, malgré les déboires d’AstraZenica
Pari gagné ou perdu?
Cela signifie-t-il que Macron a eu raison de ne pas confiner en février ? Il faudrait pour répondre à cette question tenir compte de nombreuses données sanitaires, sociales, économiques. Mais surtout, il faudrait savoir ce qu’aurait donné la solution non choisie, ce qui est impossible.
Difficile aussi de faire une évaluation alors que l’épidémie n’est pas terminée et que les scientifiques jugent possible ou probable une quatrième vague.
Je reste cependant toujours sidéré par ceux qui sont capables de juger péremptoirement des décisions sur des sujets incroyablement complexes. Le cas présent illustre aussi que les dirigeants ont souvent à trancher entre différentes mauvaises solutions.
[…] hospitalier soit dépassé. Certains scientifiques le contestent, mais aucun leader politique n’a souhaité jusqu’à présent se positionner sur des mesures plus contraignantes ( à noter cependant que le […]