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Le « gros mot » de densification

Le débat engagé par l’enquête d’utilité publique a été très intéressant à suivre. S’il a naturellement porté sur les zones résidentielles (c’est l’objet central de la proposition de modification du P.L.U.), la qualité des contributions, leur précision surtout, ont montré qu’il est possible d’échanger sur le sujet ô combien sensible de l’urbanisme.

Pour ne prendre que deux exemples, l’un demande « que les implantations de bâtiments hauts en limite de zones pavillonnaires (UEa, UEb, UEc) soient soumises à des règles plus strictes : épannelage progressif et distances minimales augmentées par rapport aux limites de propriété. »[1] Tandis que pour un autre « Il semble que la ville de Sceaux a besoin d’habitants supplémentaires afin de supporter les finances de la commune. Même si nous avons le souhait de conserver la majorité des quartiers pavillonnaires, il paraît important de densifier certains secteurs [… pour satisfaire…] la demande de logement dans notre ville par des familles de Scéens ou non. Le point de vue écologique également demande une densité des villes. »[2]

Un matériau chargé d’opprobre

Les points de vue dont ces contributions témoignent sont assez éloignés. On y retrouve trace de l’opposition bien connue : pour certains, il faut bâtir pour répondre au besoin criant de logements et faire baisser les prix ; faire de l’individuel, c’est étaler le bâti, artificialiser davantage les sols, engendrer plus de déplacements. Pour d’autres, faire du collectif, c’est faire de la hauteur au détriment du vert, c’est aller dans le sens de la « … densification […] souvent assimilée à la laideur, à l’insécurité, à une consommation énergétique forte… »[3]

Le débat a pourtant évité ces réductions dont on a l’habitude. Aux yeux de ses détracteurs, la densification est une « bétonisation », laquelle va des énormes barres de HLM, conçues dans les années 1960 pour répondre à l’exode rural et à l’arrivée massive des réfugiés d’Algérie, jusqu’aux quelques modestes R+3 d’une banlieue bourgeoise. C’est dire à quel point l’expression est extensive. La tour Montparnasse et les immeubles de la rue Houdan (partie non piétonnière), ça serait kif-kif béton.

Souvent, mais ce n’a pas été le cas dans le débat déjà évoqué, le discrédit sur le béton (matériau pourtant bien utile qui ne fait pas que des horreurs) se retrouve quand il est question de protéger des zones pavillonnaires. Tout projet d’immeuble devient une bétonisation et, en soi, c’est déjà monstrueux. Mais on sait bien qu’on ne défend jamais le résidentiel en général, on ne défend que le sien. L’inquiétude d’un propriétaire de pavillon n’est pas qu’un immeuble se construise à l’autre bout de la ville, mais à côté de chez lui. Il est légitime de vouloir préserver son bien, la verdure qui l’entoure, la lumière qui l’éclaire. Ce qui l’est moins, c’est de l’envelopper de considérations environnementales aussi soigneusement triées que prétendument universelles.

Ceci n’est pas contradictoire avec le fait de reconnaître que le résidentiel correspond à une demande très majoritaire (est-elle pour autant réaliste ?). Une étude de France Stratégie le confirme et l’explique.

La préférence des Français pour l’habitat individuel constitue une tendance de fond assez lourde. La périurbanisation n’est pas qu’un débordement de la concentration des grandes aires urbaines et ne doit plus être lue uniquement comme un choix « par défaut » pour des ménages ne pouvant accéder à la centralité urbaine pour des raisons économiques. C’est un choix positif, reposant sur la recherche d’un habitat individuel plus récent et un contact accru avec la nature. À l’inverse, si le modèle de la ville dense ou compacte offre des avantages économiques, il est associé à une mauvaise qualité de vie par une partie de la population.[4]

Négociation permanente

Mais cette constatation n’interdit pas de penser que développer la population d’une ville comme Sceaux, développer pour cela l’habitat nécessaire ne relève pas forcément d’un froid calcul ni d’une manie farouche de « bétonner ». Ni de la volonté de démolir consciencieusement les zones pavillonnaires. L’enquête d’utilité publique en montre la réalité. On y discute quartier par quartier, quasiment rue par rue, et c’est bien comme ça que, par les temps qui courent et les recours qui se multiplient, se forme une ville. On peut le regretter ou non, y voir ou non un bénéfice de la démocratie participative, les choses vont dans ce sens. Avec les complications qui vont avec.

Dans Le Parisien du 23 octobre 2020, Aubin Larratte rapporte des propos de Philippe Laurent cité en tant que secrétaire général de l’AMF. Il y fait part des difficultés propres à la construction. « C’est toujours la faute du maire pour tout, dit-il, des retards de livraison, les recours… » L’article évoque la volonté gouvernementale d’accroître la construction de logements, avec les efforts demandés aux communes pour s’y associer. Philippe Laurent y exprime la crainte, du fait des difficultés de mise-en-œuvre, de voir l’instruction des permis de construire échapper aux municipalités. On ne sait pas s’il s’agit d’une chute journalistique exagérant une remarque incidente ou d’une hypothèse fondée sur quelque certitude. Une question posée à notre maire.


[1] Proposition 101 de Fabrice Bernard, conseiller municipal
[2] Proposition 62, anonyme
[3] Point de vue d’Henry Buzy-Cazaux, fondateur de l’Institut du management des services immobiliers
[4] « Zéro artificialisation nette » : quels leviers pour protéger les sols ? de Julien Fosse


P.L.U. : déjà publié sur le sujet :
Le point de vue de Maud Bonté
Le point de vue de Jean-Christophe Dessanges
La vision de la municipalité
Enquête PLU à Sceaux

  1. Jean-Denis Bour Jean-Denis Bour 4 novembre 2020

    Immobilier scéen: Un partout, balle au centre ?

    Je regrette que cet article, fort bien documenté et fort bien analysé, n’évoque pas deux aspects importants de ce débat.

    D’abord le rôle des promoteurs immobilier.
    Vos héritiers décident à leur grand regret de vendre ce beau pavillon scéen, avec un superbe jardin arboré, dans la quelle il ont passé leur enfance …
    Passe un promoteur qui leur propose 50% de plus value sur les prix du marché immobilier local.
    Que croyez vous qu’il vont décider?
    Protéger le patrimoine scéen, ou bien contribuer à l’effort national de construction de logements ?
    La réponse à cette question est dans le cycle ininterrompu depuis des décennies de la spéculation immobilière.

    Le second aspect de ce débat sur lequel il me semble important de se pencher , même si il n’est apparu que récemment dans le cadre du confinement, est le nombre de couples ou de familles qui envisagent très sérieusement de déménager vers des zones plus campagnardes afin d’adopter un mode de vie digitalisée mais au grand air.
    Cette tendance reste à confirmer dans les années qui viennent , mais devrait néanmoins être prise en compte dans la politique immobilière de la ville de Sceaux

    Faut il sacrifier le cadre historique de cette ville et le bien-être de ses habitants sur l’autel de la spéculation immobilière à l’aube de probables mutations digitales ?

    • Maurice Zytnicki Maurice Zytnicki 7 novembre 2020

      Je comprends bien ces objections et les menaces qu’elles sous-entendent. Elles m’évoquent quelques commentaires:
      – les zones pavillonnaires semblent devoir être mieux protégées avec la modification du PLU. Les hauteurs maximales, ajoutées à des contraintes de surface, rendront sans doute plus difficile la construction de collectif;
      – cela dit le collectif n’est pas par définition contradictoire avec le vert ou avec une harmonie avec le quartier. Il y a de nombreuses rues scéennes dans lesquelles le petit collectif et le pavillonnaire sont mêlés);
      – la densification au sens de R+3 ou plus ne vise pas vraiment ces zones. Elle a transformé le quartier Robinson, elle est proposée place CdG, qui ne sont pas pavillonnaires. Le contre-exemple problématique que je connais est celui du quartier des Chesneaux. Peut-être y en a-t-il d’autres mais, sur le fond, la question est de savoir s’il faut maintenir, voire augmenter un peu la population de Sceaux, s’il faut contribuer à la demande de logements et, si oui, où le faire de façon équilibrée. En d’autres termes, « où densifier » et non pas forcément « ne pas densifier »;
      – tout à fait d’accord sur la tendance à désirer le rural au lieu de l’urbain; mais à quand la décentralisation d’emplois publics concentrés en IdF qui donnerait l’impulsion initiale ? En attendant, je ne vois pas qu’en mettant la campagne à la ville, à la manière d’Alphonse Allais, on résolve la chose.
      Merci en tout cas d’avoir ouvert la discussion.

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