Certains métiers révèlent des organisations tout entières. Cécile Collet est DGS (directrice générale des services) de la ville de Bures-sur-Yvette, en d’autres termes elle dirige l’administration locale. Avec elle, les missions, les tâches, les contraintes d’une municipalité se découvrent un peu. On pense aux exigences que les populations expriment et on est pris d’un vertige en apercevant les mécanismes compliqués de la mise-en-œuvre.
Qu’est-ce qui a conduit cette tout juste quadra à passer de l’autre côté de la frontière invisible qui sépare les élus des services administratifs ? Les premiers font face aux électeurs, les seconds au « faire ». Cécile Collet est à Fontenay-aux-Roses conseillère municipale en charge de la condition animale. Au sein de la majorité.
Quatre masters
Née à Fontenay, élevée et vivant à Fontenay, Marie-Curie, puis Jean-Monnet, la Sorbonne et Assas, Cécile Collet est de celles pour qui les masters vont mieux en bouquet qu’à l’unité. Masters en droit public, un autre en droit administratif et gestion financière des collectivités locales. Quelques années plus tard, tout en travaillant, elle ajoute à sa formation un master en économie générale et un MBA en business management à la Sorbonne. « J’ai adoré ». On pourrait l’imaginer fébrile, survoltée, elle est à l’inverse d’une tranquille assurance.
La fille de fonctionnaires hospitaliers et petite-fille d’un contrôleur de bus de la RATP travaille pendant ses études. Animatrice de centre de loisirs au Clos Saint-Marcel et à Pierre Bonnat à FAR. Aide-soignante en soins palliatifs à Paul Brousse (Villejuif). Y en a qui se plaindraient, pas elle. Elle ne voulait pas être à la charge de sa famille. Ça l’a formée aussi.
Des mouvements dans la territoriale
Deux ans de direction financière en collectivité territoriale, puis retour à Fontenay. Elle travaille sur la refonte du service des marchés publics puis dirige les services populations, comprenez tous les services qui s’adressent à la population.
7 ans plus tard, à Bois-d’Arcy, elle prend la direction des affaires financières et celle des marchés publics, le contentieux, les services ressources. Elle assure un intérim du DGS. Un premier pas dans la carrière.
En 2019, changement de décor. La voilà à la direction administrative d’un syndicat mixte informatique au service de communes du Val-de-Marne. Elle est responsable d’une cinquantaine d’ingénieurs et techniciens en informatique, geeks épanouis aux techos anxieux. Acheter les matériels et les logiciels, héberger les applications des communes (dont la paie, les loyers, les budgets…), assurer la maintenance et la hotline. Elle a aimé.
La légitimité du maire
À Bures-sur-Yvette depuis un an, Cécile Collet est DGS auprès de Jean-François Vigier, maire et vice-président à la région Île-de-France. Si le directeur de cabinet gère les aspects politiques, l’agenda, les rencontres, les événements, la communication, la DGS gère les fonctionnaires territoriaux au quotidien, la mise-en-œuvre des projets et des programmes. Elle prépare et assiste aux conseils municipaux, aux réunions de la majorité.
À elle de comprendre tout à la fois ce que le maire veut faire, ce que la population attend, ce que les agents publics peuvent réaliser. « On ne dit pas « non » au maire. Il est légitime par définition. Il est élu pour mener la politique qu’il a défendue lors des élections. Mais on l’alerte, on l’avertit, on propose éventuellement une solution alternative. Un DGS est un garde-fou juridique et financier. »
Sous sa responsabilité, ce sont 180 personnes qu’elle s’honore de connaître par leur prénom et leur situation personnelle. Une mairie même modeste c’est de 70 à 120 métiers : depuis les crèches, les espaces verts, les juristes, les médecins, les journalistes, les imprimeurs, les ATSEM, les policiers municipaux… On ne va certainement pas citer les 70, il suffit de considérer que dans une certaine (et souvent grande) mesure, « la ville s’occupe d’un habitant de sa naissance à sa mort. Crèche, école, logement social, mariage, aide, CMS, occupation des séniors, dépendance, portage des repas, problème de l’isolement, le cimetière… »
Etre « multicasquette »
Elle coordonne, vérifie, surveille, les actions, l’avancement, la qualité, les contraintes financières. Elle gère 15 dossiers en même temps, reçoit un mail toutes les trois minutes. Dans sa tête, cent actions à prévoir sont à prioriser, organiser dans les délais. Ainsi, les travaux sur les flux (gaz, électricité, télécom) sont planifiés avec le responsable à l’urbanisme… Les festivités, les commémorations, les inaugurations, c’est de la sécurité, des traiteurs, de la logistique, de la communication vers la population, des arrêtés de blocage ou de détournement de voies ; la gestion de la propreté, les autorisations préfectorales, et pour un Quatorze juillet la présence des pompiers, la sono pour le bal, les artificiers.
Des cambriolages en série, ça arrive aussi à Bures. La responsable de la police municipale est en relation immédiate avec le maire qui est OPJ. En cas d’inondation ou d’incendie, il faut s’assurer que les services de secours ont bien accès aux lieux ; que des personnes sont relogées. Cerise sur le gâteau, si un sanglier s’installe dans une résidence universitaire de la commune (fait réel), on ne peut pas le laisser prendre ses aises.
Le maire est sans cesse interpelé par la population sur des sujets sans nombre : une piste cyclable, des arbres, un trottoir, des services à la personne, les cours d’école… Donner satisfaction, c’est du travail pour les services. « Dans un contexte de manque d’effectifs, ça peut amener à des situations pénibles. »
Quelqu’un peut se retrouver seul, se tromper, s’isoler. Le harcèlement peut survenir et non pas forcément depuis une seule personne mais de façon systémique. L’agent ne supporte plus son travail, ou, pire cas, il ne se supporte plus. Empêcher cela est le rôle qu’elle revendique en tant que directrice. Sa méthode : comprendre les charges de travail de bout en bout. Qui doit faire quoi et pour quand. Quelqu’un de seul, c’est la chaîne complète qui ne fonctionne pas. Il lui revient d’en pointer les causes, de réattribuer éventuellement les tâches, d’expliquer à chacun le rôle de sa tâche dans l’ensemble.
Devenir élue, avoir son mot à dire
Pourquoi passer de l’autre côté du miroir, celui des élus, ceux qui demandent et non plus ceux qui font ?
Pourquoi consacrer encore du temps quand on se lève à 6h30 ? Avec les trois enfants : déjeuner, habiller, préparer, déposer à l’école. Au travail jusqu’à 18h30. Les jours de réunions tardives, de conseil municipal, nounou ou papy-mamy. Sinon, elle récupère les enfants à la garderie vers 18h30. On se parle. « Comment ça s’est passé à l’école ? », les devoirs, on dîne. Pyjamas ! Au lit, on lit. Câlins. On éteint. Ensuite les dossiers. Souvent, elle n’est pas loin d’une heure du matin. Il faut pouvoir.
« J’avais envie d’avoir mon mot à dire ! Je suis entrée en politique pour faire avancer la cause animale. On demande beaucoup à la nature, on réclame de la végétalisation. Je veux ajouter l’animal. Les domestiques, les oiseaux et même les renards ! À Fontenay, il y en a plus de 100. » Elle a l’espoir chevillé au corps de faire revenir « la vie multiple ».
Comment peut-elle considérer la cause animale comme une cause politique ? C’est que son rapport à la politique est particulier. Elle n’est pas dans les grandes convictions générales, « j’ai toujours servi des maires d’opinions politiques différentes (UDI, PS, LR, communiste) ». Pour elle, son engagement ne fait sens qu’au sein d’un collectif qui traite de l’ensemble des problèmes : le social, le culturel, les sports, la sécurité… où chacun apporte sur la ville sa vision ou son expertise. « Je ne serais pas animaliste dans un groupe constitué seulement d’animalistes. »
Théorie des ensembles
La majorité municipale accepte ce qu’elle défend et cela lui convient. Elle agit dans le minuscule, mais elle y voit des progrès : aide à une asso qui accueille les chats errants ; crochets pour chiens devant les commerces de bouche ; avec Despina Bekiari, élue en charge des espaces verts, un apport d’eau pour la microfaune dans le petit parc autour de la mairie ou les buissons pour les hérissions et les accueils pour oiseaux prévus dans le parc Sainte-Barbe.
Tout ceci peut sembler bien loin de son métier de DGS, où elle est dans la décision et la maîtrise des ensembles. Et pourtant à écouter Cécile Collet, on sent des liens souterrains. Dans les deux cas, elle est dans l’ombre. « On parle d’un DGS que si quelque chose ne marche pas. Sinon, il n’apparaît jamais. » Et la protection des animaux n’occupe pas le devant des scènes municipales.
Il y a autre chose. Cécile Collet assigne à son rôle de DGS de permettre à chacun de se situer, de montrer aux agents qui est avant et qui est après, de sorte qu’ils comprennent ce qu’ils font. « On n’est pas des pions. » Elle demande toujours des tâches en en précisant le contexte. Si l’on repense à sa façon de considérer son rôle d’élue, on retrouve le besoin d’intégrer son concours dans une action globale et partagée. Comme si chez elle, donner du sens c’était se trouver, s’insérer, exister dans les projets d’un collectif.