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La pandémie vécue depuis la pharmacie (2)

Le précédent article revisitait les tout premiers mois de la pandémie. La pharmacie dans laquelle travaille Nathaniel Dahan fait face à une triple mise sous tension : la fabrication de gel dont la demande explose, la priorité des masques aux professionnels de santé qu’il faut expliquer aux clients, l’information que lancent les médias avant que les pharmacies disposent des directives officielles. Nous sommes en avril 2020 et un nouvel événement ajoute considérablement à la pression.

Les positions de Didier Raoult ont un effet médiatique très fort. La Covid qu’il qualifie de grippette, les médicaments qu’il recommande pour la soigner, tout cela a un effet extrêmement déstabilisant. « En tant que pharmaciens, on s’est retrouvés tout à coup avec un nombre hallucinant d’ordonnances de complaisance (et parfois de médecins dont la spécialité n’avait rien à voir). » Trois produits se sont trouvés promus au rang de remèdes miracle. « La chloroquine, un antipaludéen dont le nom commercial est Nivaquine ; l’hydroxychloroquine, un antirhumatismal pour le traitement des lucites dont le nom commercial est Plaquenil ; l’azythromycine, un antibiotique dont le nom commercial est Zithromax. ».

Les ruptures de stock ne tardent pas. « On ne pouvait plus fournir les médicaments aux patients qui avaient réellement besoin. Les infections bronchiques ou les rhumatismes articulaires n’avaient plus de traitement. Pendant ce temps, ajoute-t-il mi-amusé, mi-indigné, des gens s’enfilaient ces produits qui ne servaient à rien. »

Les morts ne comptaient pas

L’inanité des positions de Didier Raoult, Nathaniel Dahan les remarque très tôt. Par sa formation en recherche clinique, il comprend le contenu des articles du professeur et en voit le côté aberrant. Les études sont bâties sur des cohortes très faibles, de 15 à 20 personnes ; les patients en réanimation ou décédés n’entrent pas dans les résultats. On se souvient que bien des voix avaient comme lui dénoncé les biais dans les analyses. Mais une sorte d’adoration politico-superstitieuse soutient sa personne, en fait un gourou et les critiques qui lui sont adressées deviennent un signe de soumission politique aux « démences gouvernementales ».

La polémique sur les médicaments proposés par Raoult concerne surtout le Plaquenil. La DGS a envoyé des directives reprécisant les conditions de délivrance et les indications d’emploi. « Mais parfois il était difficile d’identifier le bien-fondé d’une ordonnance de chloroquine. » C’est la connaissance des pathologies des patients de la pharmacie qui permet de leur réserver les quelques boites de Plaquenil disponibles. De même, comme des cabinets médicaux suspendaient leur activité, des ordonnances arrivaient à échéance et « on savait quoi renouveler. »

La polémique dure 3 ou 4 mois. Dans les faits, la demande inconsidérée de produits se termine vers mai juin 2020 après la fin du premier confinement. Quand les terrasses des cafés se remplissent, quand les gens partent sur les bords de mer, on devient plus léger avec les gestes barrières et on se met à oublier les prescriptions « raoultiennes ». Mais en septembre, début octobre 2020, c’est la reprise de l’épidémie.

S’adapter avant tout

Pour des raisons qui restent à apprécier, le second confinement est repoussé à novembre. « Certains de nos patients sont décédés. D’autres ont développé le Covid avec anosmie (perte de l’odorat) et/ou agueusie (perte du goût) » C’est aussi le moment où la perspective de vaccins se précise. Elle devient même concrète quand Mauricette, l’ancienne aide-ménagère de 78 ans, fut la première vaccinée fin décembre. Dans d’autres pays, le vaccin arrive. En janvier 2021 un grand espoir se fait jour.

Puis Nathaniel Dahan rappelle les contraintes qui ont entouré la conservation des vaccins. Au début, elles furent drastiques avec une température de -80°C. À ce niveau, cela excluait les pharmacies qui ne disposent évidemment pas d’équipements ad hoc. Il fallait des centres spécialisés. De même quand, la connaissance s’intensifiant, la température est ramenée à -20°C. C’est quand on se sera assuré qu’à +4°C la conservation est correcte que la vaccination a pu se faire en pharmacie.

Une autre évolution, de fait une autre adaptation, a été sensible : la prise de rendez-vous. Elle a cherché ses marques en s’appuyant au début sur sante.fr et, ensuite, sur Doctolib. Des centres d’appel téléphonique ont été mis en place. Surtout une gestion plus centrale a permis de proposer des alternatives. Ces façons de progresser sont inhérentes à la médecine, surtout quand elle affronte un phénomène radicalement nouveau. « Plus on a vacciné, plus on voyait que les signaux d’effets secondaires étaient extrêmement faibles. Ceux qui ont été observés et qui ont servi à définir des contre-indications sont d’environ 1/100.000. »

C’est dire que l’expérience permet d’affiner l’ensemble des dispositifs et des conditions d’usage des médicaments. Que l’on songe à la liste impressionnante des contre-indications qu’on trouve dans une notice de médicament. La première ligne correspond à des réactions indésirables se produisant une fois sur dix, la deuxième une fois sur cent, la troisième une fois sur mille, la quatrième une fois sur dix mille. C’est une exigence de précaution. Dans le cas des vaccins, « on est donc à bien moins que ça, poursuit-il, en insistant sur l’exigence de précaution que ces indications traduisent. Le vaccin a été injecté à des milliards de personnes ! »

Convaincre en plus de délivrer

Puis vient la question sur l’acceptabilité de la vaccination. Elle fait écho aux oppositions parfois agressives qui se sont manifestées. « Dans ma clientèle, vers juin 2021, je n’ai pas eu de refus. On me demandait mon avis et quelques explications suffisaient à rassurer. Nous avions de nombreuses demandes de patients sur l’opportunité de la vaccination. Ils étaient dans le doute. S’il s’agissait d’une diabétique obèse, on le pressait. Pour un quadra en peine santé, c’était moins urgent. »

Cette valeur ajoutée de la pharmacie semble parfois s’effacer derrière la prescription du médecin qu’il suffirait d’appliquer. Sans s’attarder sur les très nombreux médicaments accessibles sans ordonnance et qu’il faut connaître, sur la fonction de contrôle des quantités prescrites ou sur le conseil sur quantité de symptômes, il faut relever une caractéristique des vaccins : ce ne sont pas des médicaments. Ils s’adressent à des personnes saines, « c’est comme la contraception, ajoute-t-il comme pour plaisanter. »

La comparaison, toute cocasse qu’elle soit (la contraception n’endigue pas, aux dernières nouvelles, une transmission par voie aérienne) est parlante. Des bien portants doivent trouver un intérêt futur dans une contrainte présente. Toute femme sait d’autant mieux ce qu’elle peut attendre de la pilule qu’elle est directement concernée. 😉 Le citoyen lambda doit, vis-à-vis du vaccin, se projeter dans un intérêt collectif, dans une solidarité sociale, dont on a pu constater qu’elle n’allait pas de soi pour tous.

À suivre Nathaniel Dahan, la relation généralisée des bien portants à la pharmacie changeait considérablement la donne par rapport aux pratiques ordinaires. La relation habituelle qui repose sur une souffrance (plus ou moins prononcée) s’est réorientée vers l’explication, la gestion des directives du ministère de la Santé ou, jusque vers novembre 2020, la distribution sélective des masques aux professionnels de santé.

On comprend en quoi le métier de la pharmacie a été chahuté. « Nous avons vécu un changement de sociologie de notre clientèle. Nous arrivaient dans l’officine des gens qu’on ne connaissait pas et qui avaient des exigences nouvelles. » Et nous ne sommes qu’en mars avril 2021. Il y a encore du chemin.

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