Appuyez sur “Entrée” pour passer au contenu

Le désormais lycée Missak et Mélinée Manouchian à Châtenay-Malabry

Des lycéens massés sur le talus face à l’entrée ont suivi la totalité de la cérémonie : des lectures de poèmes d’abord, puis des prises de paroles pendant une heure environ. Enfin le dévoilement d’une plaque commémorant l’événement de ce vendredi 13 septembre 2024. Le lycée Jean-Jaurès de Châtenay-Malabry, leur lycée, est rebaptisé Missak et Mélinée Manouchian.

Les lycéens devant un parterre d’élus

Sous un ciel azur parsemé de quelques nuages cotonneux, les élèves montraient des visages en phase avec la solennité du moment. Avaient-ils en tête la voix poignante d’Arthur Teboul chantant avec Feu! Chatterton l’Affiche rouge dans la crypte du Panthéon ? L’arbre feuillu près duquel ils étaient ajoutait ses variations à celles de leurs vêtements, jeans, t-shirts blancs, chemises aux teintes pastel, vestes légères aux nuances automnales. C’était comme des touches de peinture sur une toile dans une asymétrie originale avec les tenues classiques (fonction oblige) des élus venus nombreux.

Du côté du Parlement, on voyait Pierre Ozoulias, sénateur, Maud Bregeon, députée, du côté du Département, Georges Siffredi qui en préside le Conseil et Benoît Trevisani, le sous-préfet d’Antony. Et bien sûr, Carl Segaud, le maire de Châtenay. La présence de Hasmik Tolmajian, ambassadrice d’Arménie, montrait l’importance symbolique que ce pays accorde à la journée.

Car l’hommage avait une dimension particulière. Une part du combat pour la libération de la France fut incarnée par des étrangers arrivés dans le pays au terme d’une errance. Enfants, Missak Manouchian, né dans le sud de l’Anatolie et Mélinée Soukémian née à Constantinople avaient fui la Turquie pour échapper au génocide arménien de 1915. Ils furent recueillis dans des orphelinats, elle en Grèce, lui au Liban.

L’un et l’autre, dans des circonstances différentes, émigrèrent en France dans les années 1920. Ils se rencontrèrent à Paris. Missak vécut à Châtenay-Malabry, au 44 avenue Jean Jaurès, tout près du lycée dans une maison communautaire, La Cité Nouvelle, entre 1931 et 1933. Il épousa Mélinée en 1936. Engagé dans la résistance dès 1941, les FTP-MOI parisiens (Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée) composés de membres de diverses nationalités, notamment des Français, des Italiens, des Espagnols, des Arméniens et des Juifs des différents pays d’Europe centrale et orientale.

Le corps enseignant

Anne Samson, l’ancienne proviseur du lycée fit un accueil fervent à l’assistance. Elle lut un message de Karine Collin-Dessans l’actuelle proviseur qu’un puissant impératif retenait ailleurs. C’était une belle adresse aux enseignants et aux lycéens qui les remerciait de leur implication dans la cérémonie.

Anne Samson raconta comment, alors proviseur du lycée, elle avait appris avec surprise (heureuse) la proposition de Carl Segaud de de rebaptiser l’établissement. Le nouveau nom l’avait ravie, convaincue que le sentiment d’appartenance d’élèves venus de plus de 40 communes s’en trouverait accru.

Trois professeurs d’histoire, d’anglais et de philosophie insèrent avec profondeur l’événement dans la vie du lycée, du quartier et de l’enseignement. Le devoir mémoriel envers un couple dont nous ne cessons d’admirer le sacrifice pour le bien commun, pour la liberté. L’héroïsme en un mot parle à notre jeunesse dira le professeur de philosophie. « Nos élèves ont besoin de figures héroïques, ancrées dans notre temps, leur temps. » L’humanité pour laquelle il se sont battus avait un avant-goût de République. Notre pays est à la fois une promesse et une aventure.

Frédéric Fulgence l’inspecteur d’académie dit combien l’hommage, pour nous les éducateurs, est un moment de rappel d’une « citoyenneté vivante ». Il appelle à être digne de l’héritage des Manouchian et cite les Feuillets d’Hypnos que René Char écrivit pendant ses années de Résistance dans le maquis.

Lycéens lisant des poèmes de Missak Manouchian Photo LGdS

Révolution mémorielle

Historien et universitaire, Denis Peschanski, est un des acteurs essentiels de la panthéonisation des époux Manouchian et de leurs camarades de combat. Il évoqua la décision du président de la République et le rôle très actif de l’Unité laïque, association qui, dès 2021, lança une initiative dans ce sens. Les soutiens, dit-il, vinrent de tous les horizons politiques de droite comme de gauche, de personnalités comme Carl Segaud ou Valérie Pécresse pourtant d’un autre côté de l’échiquier politique. Mais rien dans l’engagement communiste de cette main-d’œuvre immigrée, les MOI, n’empêcha de soutenir l’exemplarité de leur courage. …. « Ça n’a jamais, insiste-t-il, posé de problème. »

Longtemps, depuis une loi de 1915, le statut de « Mort pour la France ! » fut réservé aux seuls citoyens français. Ce qui se comprenait pendant la 1ère Guerre mondiale devint décalé quand, lors de la Seconde, des combattants antifascistes vinrent de toutes parts pour lutter pour la liberté. En 2023, poursuit-il, la moitié des fusillés du Mont-Valérien était des étrangers qui n’étaient pas des « Morts pour la France ! » En ce sens l’inhumation des Manouchian dans le caveau 13 du Panthéon est une révolution mémorielle.

Les condamnés à mort de l’Affiche rouge sont les seuls en 1943 à combattre dans Paris même (les autres réseaux avaient été démantelés). L’occupant nazi les traita de terroristes. Ils ne violaient pourtant pas les femmes ni n’éventraient les bébés. Ils combattaient les soldats allemands.

C’étaient des Arméniens, des Espagnols, des Juifs d’Europe de l’Est, des Italiens et des Français aussi qui se sont assemblés « sans que cela pose le moindre problème. » Car ils avaient en partage une « double matrice » : le communisme qui était alors un idéal, et la France qu’ils aimaient profondément, celle des Droits de l’Homme et de la Révolution française. À cette « double matrice » qui caractérisa tous les combattants, s’ajouta pour Missak et Mélinée Manouchian l’identité formée par le génocide turc, leur orphelinat, l’exode.

L’émotion de Carl Segaud

Le discours le plus sensible est venu du maire. Le timbre de sa voix sans doute, les citations de poètes, le rappel ému des heures sombres de la guerre et du courage des résistants. Il raconta de façon bouleversante que quelques heures avant son exécution, Missak écrivait à Mélinée son ultime lettre. « Je me suis engagé dans l’armée de la libération en soldat volontaire. Et je meurs à deux doigts de la victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la liberté. »

Et Carl Segaud poursuivit en relevant combien dans la noirceur de l’instant d’avant mourir, il y a un message d’espoir et de foi en la reconnaissance de la France pour ceux qui se sont battus pour elle, tous ces étrangers de naissance qui l’avaient choisie d’amour. Et quatre-vingts ans auront passé avant que la reconnaissance leur soit reconnue. « En février dernier Missak, Mélinée et leurs compagnons d’armes ont rejoint le terrible cortège emmené par Jean Moulin. »

« Aujourd’hui, le 13 septembre, voici un autre temple républicain, un lycée dans lequel entrent Missak et Mélinée Manouchian. » Pour la première fois, leurs noms s’inscrivent sur le fronton d’un lycée de France. « Choisir un nom est un acte complexe. Nommer n’est pas seulement désigner une personne ou une chose. C’est aussi former une part de leur identité, de leur âme, chaque nom porte en lui une histoire. » Le nom des Manouchian va incarner un nouveau souffle pour le lycée car son fronton devient une source d’inspiration pour les élèves et les parents. Un nom qui rappellera que la grandeur de notre pays a aussi tenu à des Arméniens échappés d’un génocide atroce.

« Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine pour le peuple allemand » dit Carl Segaud citant la dernière lettre de Missak. « Aujourd’hui, le lycée porte leur nom et c’est à vous, proclame le maire en dirigeant son regard vers les lycéens debout sur le talus, vous, jeune génération de porter le flambeau. »

Message d’Arménie

Pour l’ambassadrice d’Arménie, Hasmik Tolmajian, l’événement est d’une portée qui dépasse la commune, la région et même la France. Ceux qui, citant Aragon, « …ne réclamaient la gloire, ni les larmes, ni l’orgue, ni la prière aux agonisants » font partie d’une mémoire que son pays s’attache à partager, qui est universelle. Si elle rappela le destin particulier des Arméniens, si elle remémora l’amitié et la solidarité entre les parents de Charles Aznavour et les Manouchian, si elle salua avec ferveur l’inauguration à Châtenay-Malabry, là où Missak vécut un moment, et si elle remercia si tous les acteurs de cette belle résolution, c’est qu’elle était animée d’un puissant espoir : que les élèves, en face d’elle, et tous les autres du lycée , se fassent les héritiers du nom et de la cause des Manouchian.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *