NOTES DE LECTURE Repéré à l’Ilot Livres, la librairie de Châtenay, puis emmené à la plage, un polar de Diane Morel Le mystère Nerval. On est dans les années 1840 avec des poètes, Gérard de Nerval et Théophile Gautier, le docteur Blanche, célèbre aliéniste et surtout son fils Émile. Tout en suivant ses études de médecine, celui-ci mène une enquête avec une subtilité digne de Sherlock ou d’Hercule. La fiction bien menée est nourrie d’allusions bien documentées à des personnages réels. Le XIXe siècle littéraire n’a pas de secret pour Diane Morel.
Émile est étudiant en 2e année de médecine. Il connaît Nerval dont le père est un confrère de son propre père. Il découvre un jour Nerval du sang sur les mains, avec deux côtes fêlées. Le poète, hagard, est hanté par une femme aux yeux noirs. A-t-il commis un meurtre ? A-t-il été agressé ? Comment le savoir ? Gérard (pour les intimes) n’a pas toute sa tête.
Des personnages réels
Gérard de Nerval a vraiment été interné dans la clinique du docteur Blanche. L’établissement psychiatrique, fort renommé au XIXe siècle, fut dirigé par le docteur Esprit Blanche puis par son fils Emile. Il accueillit des artistes et des intellectuels souffrant de troubles mentaux, offrant un environnement plus humain et moins stigmatisant que les asiles traditionnels de l’époque.
Gérard de Nerval, né en 1808, de son vrai nom Gérard Labrunie, souffrant (réellement) de troubles mentaux, fut interné à plusieurs reprises. Le roman évoque l’internement demandé par son propre père, Étienne Labrunie, un médecin militaire qui servit dans les armées napoléoniennes. Sa mère suit son père dans ses déplacements et décède lorsque Gérard n’a que deux ans. Vous apprendrez que cette perte précoce marqua profondément l’enfant.
Le mode de vie de Théophile Gautier n’est pas inventé non plus. L’extravagant poète, ami de Nerval, porte gilet rouge vit, dans un bric-à-brac décrit avec humour et précision. L’auteur de Mademoiselle de Maupin fit scandale pour la raison (entre autres) que Madeleine de Maupin, une jeune femme très audacieuse, déguisée en homme sous le nom de Théodore de Sérannes pour explorer le monde, attire la passion de D’Albert, un jeune noble qui ignore qu’il s’agit d’une femme et de Rosette, elle attirée par l’homme. Vous voyez le genre. Sauf que le livre paraît en 1835. Et que réussir alors une vie de journaliste ou d’écrivain imposait à une femme de prendre un nom d’homme. Voyez George Sand.
On voit défiler Arsène Houssaye, feuilletoniste et journaliste bien réel et vraiment lié à Théophile Gautier et Gérard de Nerval. Delphine de Girardin, la poétesse et femme d’Émile de Girardin, fondateur de La Presse, quotidien parisien connu pour avoir fait paraître les premiers romans-feuilletons. Et bien d’autres, dont le préfet Delessert, solide soutien d’Émile Blanche dans son enquête.
Un plein de rebondissements
Car on enquête ! Le roman n’est pas un livre d’histoire bien qu’il s’en inspire. Ça rebondit dans tous les sens. On se bat dans les rues. Attention, il y a des blessés. On passe par la morgue puis le long de la Seine. On se course. Un fiacre passe opportunément, ouvre mystérieusement sa porte et sauve le poursuivi. Un méchant bonhomme. Théophile Gautier connaît tout de la savate. Il ne frappe qu’un coup.
Séverine est là. Depuis qu’aucune énigme sérieuse ne peut être résolue sans qu’une femme (au moins) participe à sa résolution (et de façon essentielle), il est naturel qu’Émile ne soit pas grand-chose sans Séverine. La femme de chambre au service de la mère d’Émile n’a pas qu’un mental d’acier, elle soigne, elle devine, elle calcule. Une fille du feu en quelque sorte. Est-il possible que deux êtres de conditions sociales opposées puissent aller plus loin ensemble ? Inutile d’insister, rien ne transpirera.
Nerval s’enfuit de l’asile où pourtant les soins les plus attentifs lui sont prodigués. Il ne peut y écrire et il a besoin d’écrire. La femme aux yeux noirs, la morte amoureuse, est là toujours devant lui.
Il y a bien d’autres personnages dont on se gardera de parler pour ne pas spoiler le récit. Ni du bal costumé chez Delphine de Girardin, moment essentiel des intrigues du XIXe siècle. Ni d’un coffret d’une importance extrême ! Brrr.
Un regard sur la médecine du XIXe siècle
Émile est un génie de la médecine légale. On le suit dans ses cours en amphi. Tout jeune, il analyse un macchabée comme pas deux. Même son professeur, froid comme un mandarin, est impressionné. Gabriel Delessert, préfet de police, lui propose de rejoindre son laboratoire. C’est dire. Du coup, la dissection prend une place de choix dans le panorama des passages historiques. Diane Morel aurait pu taper dans le registre gore. Elle l’a évité.
Autre allusion à la médecine de l’époque, le mesmérisme. Le roman le montre sous forme d’hypnose (qui permettra bien sûr quelque révélation). Allusion aussi au choléra qui sévit violemment au XIXe siècle. Le jeune Nerval est confronté à cette maladie que son père soignait. Et on apprend qu’elle fut la cause de la mort de sa mère près de la Bérézina.
Relations père-fils
Les relations de fils à père sont assez centrales. Chez les Blanche comme chez les Labrunie. Les deux pères sont médecins. La relation de Nerval à son père est quasiment pathologique. Le père est déçu de son fils. Il le montre. Quant à Emile, l’opposition à son directeur de père surgit à travers leurs relations opposées au malade qu’est Nerval. L’auteur n’a pas donné dans l’anachronisme. La révolte, dans ce temps, trouve ses limites dans les pouvoirs légaux du père sur le fils et une autorité qu’il n’est pas d’usage de contester. Les hiérarchies familiales sont plus proches du XVIIe que du XXe.
Ces antagonismes donnent une épaisseur humaine à l’intrigue policière. Le complot, les réunions secrètes, qui est la femme aux yeux noirs ? que se passe-t-il dans les galeries obscures de la butte Montmartre ? Le mystère Nerval mérite son titre. Le suspense est pris dans un tissage astucieux et agréable d’histoire et de fiction.